Eric Goeman

Le Tax Freedom Day de PwC floue l’opinion publique

Eric Goeman Eric Goeman est le coordinateur du Financieel Actie Netwerk (FAN).

Le 31 mai, le RJF (Réseau pour la Justice Fiscale) et le FAN (Financieel Actie Netwerk) ont organisé le Tax Justice Day pour la troisième fois. Avec cette journée dédiée à l’équité fiscale, les deux réseaux souhaitent opposer un contrepoids au Tax Freedom Day, promu chaque année par PricewaterhouseCoopers (PwC).

PricewaterhouseCoopers constitue l’un des « Big Four » dans le monde des grands comptables et conseillers fiscaux. Les trois autres sont KPMG, Ernst & Young et Deloitte. PwC aide les entreprises à atteindre une « efficacité fiscale durable » et à « augmenter la valeur des actionnaires ». PwC possède 766 bureaux dans 154 pays et emploie 163.000 personnes. Il faut ajouter aussi que 84 pour cent de leurs clients se trouvent dans le Fortune 500, la liste de grandes fortunes et d’entreprises multinationales. Le business PwC génère un chiffre d’affaires de plus de 25 milliards par an.

Les spécialistes des « Big Four » utilisent toutes les possibilités légales et les échappatoires pour éviter un maximum d’impôts en passant à travers les mailles du filet .

Le premier message est faux, le second est un mensonge
D’après PwC, le Tax Freedom Day est le jour symbolique où le contribuable moyen ne travaille plus pour les caisses de l’état, mais pour son propre compte. Dans la plupart des pays, et certainement en Belgique, l’initiative est utilisée pour attirer l’attention sur la pression fiscale élevée.

Chaque année, PwC additionne tous les impôts et contributions sociales perçus par l’état belge. Ce montant est alors divisé par le produit intérieur brut (PIB). Ce calcul produit un certain pourcentage dont PwC déduit qu’en 2013 les Belges ne gagnent rien pour eux-mêmes jusqu’au 14 juin. Les revenus qu’ils ont gagnés entre le 1er janvier et le 14 juin se retrouvent à l’état sous forme d’impôts et de contributions sociales.

Les chemins pris par PwC pour arriver à ce résultat sont non seulement hallucinants, mais surtout faux. Faux parce qu’ils brisent le lien entre les impôts et ce que l’état finance avec les revenus générés par les impôts. Personne ne travaille d’abord six mois pour l’état et puis pour lui-même. La majorité des employés travaillent du 2 janvier au 31 décembre autant pour s’acheter des biens de consommation que pour profiter des acquis fournis par les services publics. L’état-providence dans l’intérêt de tous est rendu possible par la répartition fiscale à travers un système d’impôts progressifs.

Cependant, le message constitue également un mensonge. Tout entasser et comparer au revenu national cache la répartition inégale entre les revenus générés par le travail et entre les revenus générés par la fortune. Les revenus générés par le travail sont plus imposés que les revenus des sociétés et imposés beaucoup plus que les revenus générés par la fortune. PwC ne mentionne nulle part cette pression fiscale inégale. En examinant l’aperçu global, nous constatons que 53,9 pour cent des revenus fiscaux proviennent des revenus du travail et seulement 7,3 pour cent de la fortune.

En Belgique, le travail est fortement imposé, le capital de la fortune est favorisé. Les entreprises doivent payer 33,99 pour cent d’impôts sur leurs bénéfices. Mais à cause de toutes sortes de réductions, le tarif effectif ne s’élève qu’à peine à 11,8 pour cent.

Soyons clairs : si nous avons encore un état-providence, un modèle social, c’est surtout grâce aux efforts économiques et financiers des employés, les gens ordinaires qui paient beaucoup trop d’impôts parce que d’autres groupes sociaux n’apportent peu ou pas de contributions fiscales.

Dix pour cent des plus riches disposent de la moitié de la fortune belge

La moyenne effective de l’impôt sur les sociétés a été réduite de moitié en dix ans de temps: de 20 pour cent en 2001 à moins de 10 pour cent en 2009. C’est ce que révèle aussi une étude du think tank Itinera. Qu’entre-temps les plus grandes fortunes (10 pour cent des plus riches disposent de la moitié de la fortune belge et les 10 Belges les plus riches possèdent ensemble une fortune de 32 milliards euros) paient 0,58 pour cent d’impôts en moyenne (selon les normes PwC ils pourraient fêter leur Tax Freedom Pay le 2 janvier) échappe tout à fait aux chercheurs de PwC.

Les employés subissent la pression fiscale la plus élevée

Ce sont les employés qui subissent la pression fiscale la plus élevée avec une moyenne de 28,1 pour cent. Et si nous additionnons les contributions de la sécurité sociale de 27,3 pour cent (ce que l’on considère aujourd’hui aussi comme impôts) nous obtenons 55,4 pour cent en moyenne de pression fiscale, ce qui selon l’idéologie PwC résulterait pour le contribuable moderne à un Tax Freedom Day vers la mi-juillet.

C’est pourquoi on peut effectivement dire: « La Belgique est un paradis fiscal pour les fortunes, le capital et les grandes sociétés, mais un enfer fiscal pour les employés et les salariés ».

PwC représente l’idéologie du néolibéralisme et appelle toujours à « moins d’impôts, moins d’état, moins de régulation ». L’entreprise étaye les messages politiques du conservatisme américain qui devraient déboucher en « liberté pour l’individu de faire ce qu’il veut avec l’argent gagné à la sueur de son front, pas d’ingérence fiscale de l’état, pas de répartition sociale par la fiscalité progressive »…
PwC et ses clients ne veulent pas d’état avec de gros moyens, mais une accumulation maximale de la richesse privée qui appauvrit le dessous de la société.

PwC en Co.organisent eux-mêmes le pillage

Cela nous mène à notre dernière, mais non moins importante constatation: PwC en Co. ne défendent pas seulement le pillage du trésor public, le ciment de notre prospérité sociale, mais organisent eux-mêmes le pillage.

Ils conseillent leurs clients riches en utilisant tous les moyens légaux largement disponibles afin de payer un minimum d’impôts. C’est pourquoi PwC se sent comme un poisson dans l’eau dans les paradis fiscaux et les centres offshores. Les paradis fiscaux constituent le centre névralgique de l’industrie financière, le coeur de l’économie capitaliste. Les banques et les conseillers fiscaux pompent le sang du trésor public dans la circulation financière privée et non régulée, soutenus par la mobilité mondiale du capital.
Si les impôts sont évités légalement ou illégalement, l’état s’appauvrit. Et c’est particulièrement préjudiciable pour notre état-providence, pour tous les services dont nous, nos parents, nos grands-parents, enfants et petits-enfants avons besoin tous les jours.

PwC fait primer le droit du plus fort (et des plus riches) sur la solidarité et sur un état capable de remplir ses tâches primaires telles que la protection sociale et le service public pour tous. Les fortunes et les sociétés, soutenues par la campagne de PwC contre les impôts de PwC et toujours approuvées par les organisations d’employeurs FEB et VOKA, minent l’état et donc aussi la démocratie politique et sociale.

« Only the little people pay taxes »

Il est urgent de faire payer la plus grande part du prix de la civilisation aux plus nantis. Aujourd’hui, ce sont cependant les employés solidaires avec les riches et les plus fortunés qui doivent à chaque fois suppléer le pillage trésor public (par la déduction des intérêts notionnels, l’expatriation fiscale, l’évasion fiscale, « la gestion fiscale créative », le secret bancaire, « l’optimalisation fiscale » et les paradis fiscaux) après chaque bouclage de budget.

La richissime magnat de l’immobilier new-yorkaise Leona Helmsley avait tout à fait raison lorsqu’elle a déclaré :  » Only the little people pay taxes ».

Impôts: une lutte sociale pour une répartition fiscale

Il est temps de réagir aux attaques brutales annuelles de PwC sur la pression fiscale élevée par une fiscalité plus équitable pourvue d’un cadastre fiscal et d’un impôt sur la fortune. Ce sont surtout les travailleurs qui coulent le ciment de la prospérité publique, sur lequel les nantis et les sociétés peuvent engranger leurs richesses.

Eric Goeman

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