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Le système de santé belge est-il toujours l’un des meilleurs au monde ?

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

En cas de pépin, grave ou bénin, notre santé peut s’abriter sous une des meilleures couvertures de soins au monde. Problème : les plus défavorisés ont toujours plus de mal à s’y réfugier.

L’acquis social a de l’étoffe. Il couvre d’un épais manteau protecteur 99 % de la population et ce taux proprement stalinien qu’affiche l’assurance maladie obligatoire ne faiblit guère depuis une décennie au bas mot. Difficile de trouver plus accessibles au plus grand nombre que les soins de santé en Belgique. Maggie De Block (Open VLD), ministre des Affaires sociales et de la Santé, n’est jamais peu fière de le rappeler quand l’occasion s’en présente :  » Notre système de santé est considéré comme l’un des meilleurs au monde.  »

Les plus précarisés socialement ou les plus malades n’y sont pas oubliés, loin de là. Ils n’ont d’ailleurs pas été épargnés par des avancées majeures ces dernières années. MàF, BIM, autant de formules conçues pour soulager leur facture en cas de (gros) pépins de santé. Le maximum à facturer (MàF) vient avantageusement plafonner à un montant maximum les tickets modérateurs qu’une famille doit débourser au cours d’une année. Le  » bénéficiaire de l’intervention majorée  » (BIM) usera utilement de son droit à une réduction importante, tant sur les tarifs de médicaments que sur les consultations du médecin et les frais d’hôpitaux. Pour bétonner le dispositif, le tiers payant (le patient ne débourse que le montant qui reste à sa charge après remboursement de la mutualité) a été rendu obligatoire en juillet 2015 pour cette catégorie de personnes à faibles revenus en cas de consultation d’un généraliste.

Le filet de sécurité ne se détricote pas

Mention spéciale aussi à la suppression progressive des suppléments facturés au patient en séjour hospitalier, qui a ramené le coût d’un séjour dans une chambre commune ou à deux lits de 363 euros en 2002 à 248 euros en 2017. Ou au remboursement presque intégral de certains traitements coûteux en cas de maladie grave. Au rayon médicaments, Francis Arickx, patron de la section Politique pharmaceutique au sein de l’Inami, entonnait le même refrain devant les parlementaires, en novembre dernier :  » D’une manière générale, on constate qu’au cours de la période 2010-2018, le montant à charge du patient (le ticket modérateur) n’a cessé de diminuer, malgré le fait que le montant total des dépenses en médicaments a fortement augmenté au cours de la même période.  »

Une plaie du système : le report de soins pour raisons financières.

Rien donc qui laisse entrevoir un fâcheux détricotage des filets de sécurité tendus en faveur des moins bien lotis. Hélas, tous ne connaissent pas leur bonheur parce qu’ils sont encore nombreux à ignorer leurs droits lorsque ceux-ci ne sont pas automatiques.  » Aujourd’hui, si on recense plus de deux millions de BIM (soit près de 20 % de la population), on estime pourtant que près de 500 000 Belges ne bénéficient pas de ce statut alors qu’ils en auraient pleinement le droit « , s’est inquiétée la mutualité socialiste Solidaris dans une étude consacrée en octobre 2019 aux inégalités sociales en matière de santé. Un ayant droit sur cinq se priverait ainsi de la faculté d’économiser jusqu’à 450 euros par an en soins de santé. Moche.

Ce défaut de la cuirasse échappe de moins en moins aux radars des mutuelles. Avec le concours des données fournies par le fisc, elles sont depuis 2015 en mesure d’identifier les ménages à faibles revenus détenteurs à leur insu d’un statut privilégié. L’octroi automatique du régime préférentiel s’en porte mieux.  » Les avancées sont indéniables. Il faut rappeler que nous sommes passés d’1,1 million de détenteurs du statut Vipo à deux millions de bénéficiaires de l’intervention majorée « , souligne Jean Hermesse. Mais le diagnostic positif que livre le secrétaire général de la Mutualité chrétienne s’arrête à  » la partie régulée des soins de santé, liée au ticket modérateur « . Jean Hermesse se garde de tenir pareil langage quand il s’agit de s’aventurer dans la partie immergée de l’iceberg,  » celle qui nous est inconnue car liée aux prestations de soins non remboursées  » et qui peuvent faire très mal aux portefeuilles les moins garnis. Ici, Solidaris s’alarme d’une régression sournoise dans l’accès aux soins de santé :  » Sous l’effet de la politique d’austérité menée dans l’assurance maladie, un nombre croissant de prestataires de soins se déconventionnent, entraînant à la hausse la facturation de suppléments aux patients. Ainsi, le patient belge paie en moyenne la moitié du coût d’une consultation auprès d’un spécialiste non conventionné (22,5 euros soit 45 % du coût total).  »

Peu d’amateurs pour le dentiste gratuit

C’est le versant moins reluisant du système. Très perceptible dans les soins dentaires. La couverture des services y reste faible, l’accessibilité financière laisse à désirer, 62 % des soins y sont prodigués par des prestataires non conventionnés. Nomenclature complexe, nombreux tarifs, le citoyen y perd trop souvent son latin. La bonne vieille peur de se rendre chez le dentiste jointe à l’incertitude liée aux coûts des soins achève de dissuader de franchir le pas. Plus regrettable encore, une armée invisible d’ayants droit persiste à bouder les soins bucco-dentaires pourtant mis à leur disposition gracieusement ou à des conditions avantageuses. Pourquoi diable priver un jeune jusqu’à ses 18 ans de sa visite annuelle gratuite chez le dentiste ? Les acteurs de la santé s’échinent à inverser la vapeur et à inciter les parents à frapper aux portes des cabinets sans devoir pour cela casser leur tirelire.

Il ne suffit donc pas de tendre la main, il faut encore le faire savoir à l’intention de celles et ceux qui lui tournent le dos. Par ignorance ou par refus d’entreprendre les démarches nécessaires, à moins que ce ne soit par découragement devant la complexité des formalités à accomplir.

Voilà qui relance la balle dans le camp des organismes censés faciliter l’accès aux soins. Simplifier encore et encore, serrer de plus près les publics cibles qui se dérobent. Et démentir au passage le soupçon de la part cynique de calcul budgétaire que dissimulerait une sous-utilisation organisée.  » Le Centre fédéral d’expertise des soins de santé a récemment estimé que le nombre de personnes ayant droit à l’intervention majorée augmenterait de près de 45 % en cas d’utilisation complète de ce système « , notait Solidaris dans son étude de 2019.

Si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Et, aime rappeler Maggie De Block,  » si les soins de santé belges ne sont pas gratuits, les contributions personnelles des patients restent modestes. Entre 2004 et 2016, elles ont diminué pour passer de 18,2 à 15,9 %, pourcentage inférieur à la moyenne européenne (17,7 %).  »

Le constat ne dissipe pas, loin de là, l’ombre persistante au tableau.  » L’ un des meilleurs systèmes de santé au monde  » souffre, plus que dans les autres pays européens, d’une inégalité croissante entre les plus fragiles et les plus nantis face à l’accès à ses bienfaits. Jusqu’à engendrer un taux élevé de report de soins pour des raisons financières (2,2 %, supérieur à la moyenne européenne), qui touche de plein fouet les ménages aux revenus les plus bas (6,7 %). Ou comment le taux de satisfaction plutôt élevé qu’affiche la population envers ses soins de santé est assombri par une inquiétude grandissante face au budget qu’il faut leur consacrer. Ce qui nourrit le sentiment d’un recul persistant des acquis. Impression trompeuse.

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