Jules Gheude

Le pronostic vital de la Belgique est engagé

Jules Gheude Essayiste politique

Dans l’ouvrage  » Onvoltooid Vlaanderen  » (la Flandre inachevée) de Jan Seberechts, Bart De Wever, le président de la N-VA, présente son projet confédéraliste pour 2019.

La Belgique devient une confédération axée sur deux Etats-membres, Flandre et Wallonie, lesquels exercent les compétences liées au sol et aux personnes. La confédération, elle, est compétente pour les matières qui lui sont décernées explicitement par ces deux Etats. La N-VA mentionne ici la défense, la sécurité et les finances, et les affaires étrangères.

Pour exercer ces compétences, la confédération dispose d’un gouvernement composé paritairement de quatre ministres. Chaque Etat y désigne en outre un ministre, celui-ci n’ayant que voix consultative. Au sein du « conseil belge », on prévoit une concertation permanente « entre les ministres-présidents de Flandre, de Wallonie, de Bruxelles et des Germanophones ». Je traduis littéralement. Il est aussi question de « conseils ministériels thématiques », permettant de se réunir suivant les compétences : les ministres en charge de l’Agriculture, par exemple. L’objectif est d’éviter les conflits d’intérêt et de coordonner les points de vue sur la scène internationale.

« Nous achèterons Bruxelles ! »

Aujourd’hui, la Flandre a fait de Bruxelles sa capitale. Le projet confédéraliste ne dit mot à ce sujet.

La Région de Bruxelles-Capitale est citée telle quelle, avec, pour compétences, « toutes les matières liées au territoire et celles exercées aujourd’hui par les dix-neuf communes et CPAS, ainsi que par les six zones de police ». Pour ce qui est des matières personnalisables, « chaque habitant de Bruxelles choisit librement – indépendamment de sa langue et de son origine – entre le paquet flamand ou le paquet wallon pour l’impôt des personnes, le système de sécurité sociale, l’aide sociale, la protection de la jeunesse, la migration et l’intégration, ainsi que le droit de vote pour le Parlement flamand ou wallon.

Il est clair que la Flandre entend ici modifier le rapport de forces à Bruxelles, en alléchant les non-néerlandophones par des mesures financièrement plus avantageuses. L’ancien ministre-président flamand Gaston Geens avait un jour lâché : « Nous achèterons Bruxelles ! ».

Monarchie protocolaire et fin du bicaméralisme

Le projet de la N-VA maintient la monarchie, mais de façon « purement protocolaire et totalement transparente ». Notons aussi la fin du système bicaméral, avec la suppression du Sénat. Quant à la Chambre, elle ne comprend plus que 50 députés, issus paritairement du Parlement flamand et du Parlement wallon.

Communauté germanophone

Bart De Wever ne parle que du « ministre-président des germanophones ». Celui-ci serait-il à la tête d’une région propre, compétente à la fois pour les matières liées au sol et aux personnes ? On peut le supposer, mais ce point reste à préciser.

Financement

La Flandre et la Wallonie déterminent et perçoivent tous les moyens liés aux compétences personnalisables, à savoir l’impôt des personnes, les droits de succession et de donation, le précompte mobilier, ainsi que les impôts assimilés aux impôts sur le revenu. La Flandre, la Wallonie et Bruxelles déterminent et perçoivent les moyens provenant des matières territoriales, comme l’impôt des sociétés, les droits de donation et le précompte immobilier.

Pour ce qui est de la confédération, le projet précise qu’elle est financée « par la TVA et les accises pour le paiement de la contribution européenne obligatoire, les charges d’intérêt et le remboursement de la dette publique et la solidarité entre les Etats-membres ».

Solidarité

Bart De Wever souligne que « les transferts ne sont pas le problème en soi, mais ils doivent être transparents, avoir un objectif précis et inciter à l’amélioration ». Le projet prévoit donc, comme en Allemagne, « un mécanisme de solidarité objectivement mesurable, transparent et qui incite à la responsabilisation ». Selon la N-VA, ce n’est pas le cas avec les transferts actuels, « qui sont opaques, complexes, et ne stimulent pas une région à avoir de meilleures performances économiques ». Aujourd’hui, « la bonne gouvernance n’est pas récompensée, mais sanctionnée », souligne-t-elle.

Vers le séparatisme

Le projet de la N-VA rejoint clairement les résolutions que le Parlement flamand a adoptées en 1999. L’échelon central est réduit à sa plus simple expression, l’objectif étant de démontrer très vite qu’il est en fait superflu. La Région de Bruxelles-Capitale reste, quant à elle, limitée aux dix-neuf communes, avec une cogestion de la part de la Flandre et de la Wallonie. D’une manière générale, le système est simplifié, plus efficace et nettement moins onéreux. Il offre aussi l’avantage d’inciter la Wallonie à se montrer plus responsable dans le choix de sa gestion.

Reste à voir comment réagiront les francophones. Les Bruxellois semblent de plus en plus attachés à leur spécificité, mais ils pourraient aussi être séduits par les mesures financières plus avantageuses proposées par la Flandre en matière notamment d’imposition et de sécurité sociale. Quant aux Wallons, il est clair que, dans les circonstances présentes, ils auraient de grosses difficultés à assurer une sécurité sociale propre.

On a vu, ces dernières années, les responsables francophones se présenter en « demandeurs de rien » pour finalement céder. Aujourd’hui, le contexte est différent. Le projet confédéraliste constituerait l’antichambre du séparatisme. La Flandre, en effet, aurait beau jeu de souligner l’inutilité de conserver cette confédération-coquille vide. Par ailleurs, la Wallonie ne serait pas en capacité d’assumer financièrement une telle autonomie. D’autre part, un refus francophone rendrait quasiment impossible la formation d’un nouveau gouvernement belge. Bref, dans un cas comme dans l’autre, le pronostic vital de la Belgique est engagé.

Je songe à cet article que François Perin avait écrit dans « La Meuse », le 28 avril 1981 : « Après d’éventuelles élections (…), le malheureux chef de l’Etat se mettra à courir après un gouvernement introuvable : la Belgique peut disparaître par « implosion ». Qu’est-ce qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future légitimité. (…) Les Wallons pourraient se retrouver indépendants à leur corps défendant, contraints à une discipline dont ils n’ont aucune idée, devenant eux-mêmes les débiteurs de leurs fameux « droits acquis ». (…) La seule nationalité à laquelle ils pourraient facilement s’assimiler après que la nationalité belge leur eût claqué dans la main, est la nationalité française (…). Encore faudrait-il nettoyer seuls nos écuries, car la France n’est pas demanderesse et n’a aucune envie de prendre des fous en charge. »

36 ans plus tard, ces propos résonnent de manière éminemment prophétique. Le démantèlement du pays est bel et bien irréversible. Voilà près de dix ans que je m’efforce de préparer les esprits wallons à l’après-Belgique. Mais il n’est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

Dernier ouvrage paru de Jules Gheude : « Un Testament wallon – Les vérités dérangeantes », Mon Petit Editeur, Paris, 2016. La version néerlandaise vient de sortir chez « Doorbraak Boeken », avec une préface du politologue Bart Maddens.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire