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Le pacte migratoire ou la politique à premier senteur, premier péteur

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Dans les couloirs de la Chambre, ce mardi 4 décembre, MR, Open-VLD, CD&V et N-VA ont surtout tenté de mutuellement s’attribuer la responsabilité de la chute d’un gouvernement que tous semblent penser inéluctable. Sauf Charles Michel qui, malgré les provocations de la N-VA, a lancé des consultations bilatérales pour tenter de sauver sa coalition.

La diversion est bien connue, surtout des prosélytes de la vesse en public. Elle consiste à se laisser flatuler, sous le couvert du silence, dans un train, un tram ou un avion bondé, et puis, si s’impose une urgence olfactive, à lancer le premier une alerte indignée, qui prendra la forme d’un double reniflement, sourcils froncés, d’un soupir réprobateur ou d’une insulte à la cantonade, selon l’audace de son protagoniste.

C’est le théorème du premier senteur, premier péteur. Et ce mardi 4 décembre, à la Commission Affaires étrangères de la Chambre des représentants, des parlementaires, un ambassadeur et sept juristes ont participé à cette pétarade, qui voue un terme anticipé au gouvernement de Charles Michel dès lors que la N-VA a décidé de faire un problème d’un problème qu’elle a elle-même créé, avant de crier que ça pue.

Le matin, à la VRT, le chef de groupe N-VA Peter De Roover avait déjà dit, après avoir répété que la N-VA ne soutiendrait pas un gouvernement favorable au pacte des Nations unies sur les migrations, qu’il était prêt, après l’audition des sept experts, à soumettre au vote de la commission les deux propositions de résolution de l’opposition. Celles-ci enjoignant le gouvernement à soutenir le pacte sur les migrations, leur vote signifiait la fin de l’exécutif Michel, et confortait la N-VA dans son rôle de lanceur d’alerte face aux dangers putatifs de ce pacte pour les valeurs occidentales.

Dans un fauteuil à l’entrée, devant la salle Mercator de la Chambre des représentants, dès neuf heures, il y avait Sander Loones, le tout récent ministre N-VA de la Défense, qui venait de twitter que ce pacte mettait nos valeurs en danger, et puis des caméras qui l’ont effleuré mais pas trop parce qu’elles attendaient Peter De Roover, qui a répété ce qu’il avait dit à la VRT mais pas trop fort, parce qu’il fallait laisser parler les experts, qui chacun ont pointé un doigt dégoûté sur ce qu’ils identifiaient, eux, comme la source des mauvaises odeurs.

Parce qu’à la fin, qui a pété ?

Jean-Luc Bodson, le diplomate chargé par la Belgique de négocier, aux Nations unies, les termes du pacte migratoire, a expliqué combien son travail avait été contrôlé par le gouvernement, dont, bien sûr, le secrétaire d’Etat à la Migration Theo Francken et son cabinet. Jusqu’à septembre 2018, à des titres divers, trois ministres N-VA ont été associés au processus : le ministre-président flamand, Geert Bourgeois, le vice-Premier Jan Jambon et donc Theo Francken. Sachant la question sensible, Jean-Luc Bodson a même demandé à être entendu par les parlementaires nationalistes flamands. En vain. A l’époque sans doute la N-VA ne le sentait-elle pas.

Le pacte migratoire ou la politique à premier senteur, premier péteur
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Six juristes, recommandés par les partis de l’opposition et de la majorité, ont ensuite respectivement démontré :

1. que le pacte de l’ONU n’était pas contraignant mais qu’il pourrait avoir des effets à terme, pour les cinq professeurs d’université invités par tous les partis sauf la N-VA. Tous les parlementaires sauf ceux de la N-VA et du Vlaams Belang les ont félicités parce qu’ils trouvaient leur exposé très instructif et courageux.

2. que le Pacte de l’ONU pourrait avoir des effets à terme même s’il était contraignant pour l’avocat invité par la N-VA. Tous les parlementaires sauf ceux qui n’étaient pas de la N-VA et du Vlaams Belang les ont félicités parce qu’ils trouvaient son exposé très instructif et courageux.

De plus en plus les gens se tournaient vers Peter De Roover en se pinçant un peu le nez, sauf Filip Dewinter, du Vlaams Belang, qui ne pouvait pas se retourner en se pinçant un peu le nez parce qu’il était derrière Peter De Roover et qu’il était tout rigolard.

Et puis le président de la commission a fait sortir les gens, mais pas parce que ça sentait mauvais, et il y avait Zuhal Demir, secrétaire d’Etat N-VA à l’Egalité des chances, à l’entrée de la salle Mercator. Il a donné vingt minutes de pause, puis la parole aux experts pour qu’ils poursuivent encore un peu leurs exposés très instructifs et courageux, et alors est arrivé le moment où on devait décider si on discutait ou pas de ces propositions de résolution de l’opposition.

Mais quand on a commencé à en discuter, sur les réseaux sociaux, la N-VA avait commencé à diffuser des images avec plein de méchants musulmans qui envahissaient notre beau pays à cause de cet horrible pacte. Ça a énervé tout le monde sauf les parlementaires du Vlaams Belang qui rigolaient bien et de la N-VA qui souriaient.

C’est dégoûtant cette campagne mais de toute façon attendons avant de voter ces résolutions, parce que Charles Michel est en train de négocier en kern et que ça ne servirait à rien de se positionner alors que peut-être le gouvernement va trouver un compromis admissible pour tous les partis de la majorité cet après-midi a dit Patrick Dewael, chef de groupe Open VLD.

C’est populiste et ignoble cette campagne, et allons au vote, quoi, a dit Georges Dallemagne, député CDH.

Donc un moment, il ne va plus pouvoir reculer, Charles Michel. Il va devoir s’asseoir sur un coussin péteur et ça va péter.

C’est dégueulasse cette campagne, quand va-t-on enfin dire « No Pasaran ! » à la N-VA, et votons tout de suite ces résolutions, a dit Kristof Calvo, du groupe Ecolo-Groen !

C’est scandaleux, soit on fait campagne soit on négocie, mais là la N-VA fait campagne alors que les négociations sont en cours, a dit Servais Verherstraeten, chef de groupe CD&V.

C’est le moment de laisser une chance au Premier ministre de négocier avec les partenaires, ne votons pas, a dit David Clarinval, chef de groupe MR.

C’est dégueulasse et scandaleux, parce que David Clarinval n’a pas dit que la campagne de la N-VA était dégueulasse et scandaleuse, et votons, a dit Julie Fernandez Fernandez, députée PS.

C’est dommage ces réseaux sociaux qui forcent à simplifier outrancièrement les débats et ne votons pas, a dit Peter De Roover, chef de groupe N-VA.

C’est génial cette campagne, bravo les gars, a dit Filip Dewinter.

Mais on n’allait pas voter ce mardi. On se verrait demain, à 10 heures, pour voir s’il y avait encore un gouvernement. Mais personne n’y croyait encore, même pas dans la majorité.

« Ça pue, hein ? », que quelqu’un a même demandé.

Ça puait tellement que Charles Michel a dû reporter son kern de la dernière chance. Au milieu de l’après-midi, il annonçait vouloir continuer à chercher un compromis, mais en commençant par des consultations bilatérales. Mais la N-VA ne veut pas valider ce pacte.

Donc un moment, il ne va plus pouvoir reculer, Charles Michel.

Il va devoir s’asseoir sur un coussin péteur et ça va péter.

Et il y en a beaucoup qui diront que c’est sa faute : la N-VA pourra dire qu’elle avait senti que ça puait avant tout le monde.

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