Johanna Pellegrini

Le Pacte d’Excellence ou le Livre des Monstres

Johanna Pellegrini Enseignante à l'athénée de Marche-en-Famenne et à l'ICA de Libramont

L’avis n°3 du Pacte d’Excellence, qui prévoit une réforme en profondeur de l’enseignement francophone, a été rendu public en décembre 2016. Il s’articule autour de cinq axes stratégiques aux énoncés valeureux et ambitieux. Mais prenez garde ! Dans ce grimoire, tout est illusion et derrière chacun de ces axes, se terre… un monstre antique !

AXE 1 : Enseigner les savoirs et les compétences de la société du XXIe siècle et favoriser le plaisir d’apprendre (…) grâce à un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire…

Un programme séduisant… dont seuls les préfixes poly- et pluri- avertissent le lecteur attentif : nos élèves affronteront désormais une chimère d’un genre nouveau, appelée tronc commun. Mais si la créature hybride, qui portait une tête de chèvre sur le dos, une queue en serpent et, selon certains auteurs, trois têtes à l’avant, pouvait du moins se définir par son corps de lion, la chimère tronc commun ne semble par contre pas constituée d’une unité porteuse de sens. Quant à ses membres, ils sont aussi nombreux que flous : à en croire les rumeurs, se grefferaient à ce tronc pour tous un minimum de latin, une goutte (d’huile) de mécanique, un zeste de cuisine, peut-être, ou un cheveu de coiffure, une esquisse d’éducation artistique ?

Cette chimère chimérique est aussi négationniste : en liant explicitement le plaisir d’apprendre au tronc commun, elle nie la réalité du terrain.

Cette chimère chimérique est aussi négationniste : en liant explicitement le plaisir d’apprendre au tronc commun, elle nie la réalité du terrain. Nous, professeurs, savons que la motivation de nos élèves va de pair avec le sentiment de progresser et de s’accomplir dans une voie et qu’au contraire, le maintien forcé dans le premier degré commun est bien souvent pour eux une stagnation néfaste. Et si le héros Bellérophon put vaincre la chimère antique grâce au cheval ailé Pégase, nos élèves, frustrés dans leur volonté de s’investir par le morcellement et la dispersion des disciplines, parviendront-ils à prendre leur envol et à triompher du monstre tronc commun ?

AXE 2 : Mobiliser les acteurs de l’éducation dans un cadre d’autonomie et de responsabilisation accrues…

Par acteurs de l’éducation, comprenez surtout directeurs et enseignants (les élèves et leurs parents étant relégués au rang de figurants) et sous responsabilisation, lisez culpabilisation (ajoutez par rapport aux résultats, ce qui est spécifié dans le corps du texte). Ô criminels en série, coupables de trop nombreux redoublements et complices des mauvais résultats de la Belgique aux tests PISA, redoutez les terribles Furies, divinités ailées qui poursuivent les meurtriers, les persécutent de leurs fouets et les rendent fous ! Mais laissons aux syndicats, sans nul doute conseillés par la sage Athéna, le soin de soustraire le corps professoral, nouvel Oreste, au courroux de ces créatures vengeresses !

AXE 3 : Faire du parcours qualifiant une filière d’excellence…

OEdipe, au secours ! Toi qui vainquis jadis le sphinx en trouvant la réponse à l’énigme bien connue sur l’Homme qui marche à quatre puis deux puis trois pattes, as-tu la moindre idée, la moindre piste pour résoudre la devinette – ô combien plus tortueuse – du monstre de l’axe 3 : où diable se cache dans ce Pacte l’excellence et la revalorisation du qualifiant ? Réduction de la filière à trois ans au lieu de quatre. Nécessité de suivre une 7ème année pour accéder aux études supérieures, comme c’est aujourd’hui le cas pour l’enseignement professionnel et non technique. Généralisation, sans évaluation probante, de la C.P.U., décriée par tant d’enseignants de cours pratiques, qui déplorent que leurs élèves n’acquièrent plus l’automatisme des gestes et l’expérience manuelle nécessaire. Tant de mesures qui laissent plutôt penser que les savoirs et compétences du qualifiant seront revus à la baisse…

AXE 4 : … Favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement…

Nul ne connaît le contenu du chant grâce auquel les sirènes, sorte de femmes-oiseaux qui n’avaient d’autre charme que leur voix, attiraient les marins et provoquaient leur naufrage. En revanche, dans le Pacte d’Excellence, et en particulier dans cet axe 4, se dévoile volontiers un chant doux et racoleur… dont les implications sont autant d’écueils qui risquent fort bien de faire s’échouer le navire scolaire ! Quel marin naviguant dans les eaux incertaines de l’enseignement ne mettrait pas le cap droit vers l’ode prometteuse de la mixité sociale et de la lutte contre l’échec scolaire ? Mais voilà l’écueil : pour réduire le redoublement, le Pacte a prévu une mesure radicale : plus d’évaluation certificative avant 15 ans ! Autrement dit, la stratégie de lutte contre l’échec scolaire se résume à … la suppression pure et simple des examens ! Et voilà que nos élèves qui, dans l’axe 1, n’avaient pas la maturité pour poser des choix, sont maintenant considérés comme des adultes accomplis, capables de travailler et d’étudier régulièrement depuis les classes maternelles jusqu’à 15 ans sans craindre la sanction de l’échec ! Que nos étudiants en première année à l’université en soient à peine capables sur une durée d’un an, les sirènes du Pacte n’y font pas la moindre allusion dans leur chant lénifiant. Mieux vaut donc, comme l’équipage d’Ulysse, se boucher les oreilles avec de la cire et ne pas se laisser guider par les formules enchanteresses du Pacte d’Excellence.

AXE 5 : … Faire évoluer l’organisation scolaire afin de rendre l’école (…) mieux adaptée aux conditions du bien-être de l’enfant.

L’éducation à une alimentation saine, la prévention en matière de santé, l’organisation d’activités extra-scolaires sont cités à titre d’exemples. A défaut d’instruire, le Pacte se donne à présent pour mission d’éduquer. Un détail frappe : ce n’est plus de l’élève dont on se soucie ici mais de l’enfant. Voici l’école transformée en la créature la plus maternelle rencontrée dans les mythes grecs : telle la chèvre Amalthée qui nourrit de ses mamelles un mineur en danger et socialement défavorisé, le jeune Zeus (son père, Cronos, menaçait de le dévorer…), l’école du Pacte se chargera de l’allaitement par substitution de tous les enfants, que leurs parents donnent ou pas satisfaction.

Ce monstre vous paraît-il inoffensif et bienveillant ? Dans le Pacte de l’Illusion, les formes sont trompeuses : la douce Amalthée, qui s’impose pour éduquer tous les enfants, prendre en charge les devoirs et organiser les activités extra-scolaires à la place des parents, poursuit en vérité le même objectif que la chimère tronc commun et les autres monstres : empêcher les différences ou – dans le langage des sirènes – réduire les inégalités. Dans cette « tératomachie » idéologique, les monstres du Pacte s’unissent pour affronter Scylla, alias Élitisme, insupportable créature qui, perchée sur son rocher, se permet de faire le tri parmi les moussaillons ! Mais à force de vouloir éviter Scylla l’élitiste, le Pacte tombe… en Charybde, ce monstre marin qui engouffre, lui, l’entièreté de l’équipage. Son nouveau nom ? Je vous laisse deviner…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire