Eva Smets

Le devenir du monde entre les mains de la Belgique pendant 29 jours

Il y a environ un an, la Belgique entamait son sixième mandat en tant que membre non permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies sous la devise  » Bâtir le consensus, agir pour la paix « . À partir du 1er février, la Belgique présidera pour un mois le Conseil de Sécurité, l’organe chargé de maintenir la paix et la sécurité dans le monde. Que peut-on attendre de notre pays à la tête de la plus puissante instance de l’ONU ?

Bâtir le consensus

Des intérêts géopolitiques divergents ont rendu l’atteinte de compromis difficile en 2019. Il y a eu la guerre commerciale entre Trump et Xi Jinping, les veto russes aux résolutions onusiennes sur la Syrie, et l’absence des États-Unis lors d’importantes réunions du Conseil.

Pourtant, les Belges ont su parvenir à imposer un multilatéralisme équitable à plus d’une reprise. En s’unissant avec l’Allemagne, la France, la Pologne et le Royaume-Uni – soit les quatre autres membres européens du Conseil – et alerter le monde sur le processus électoral délicat au Burundi, et en appelant à une solution juste et durable en Israël et en territoires palestiniens occupés. Plusieurs fois, la Belgique a pris des décisions fondées sur des principes humanitaires et elle est parvenue à obtenir le soutien d’autres membres. Sur la question de l’acheminement de l’aide humanitaire au Yémen et en Somalie ou sur la prolongation du mandat de la MONUSCO, une décision indispensable pour la sécurité des Congolais, notamment à l’est.

Du beau travail que l’on se doit de saluer. Mais la Belgique sera-t-elle capable d’arriver à sceller des accords en février qui auront un impact bénéfique pour les millions de personnes qui vivent en zone de conflit ?

Le temps est compté

Les défis humanitaires restent nombreux en 2020. La guerre continue d’affamer les Yéménites. En Syrie, des dizaines de milliers de civils fuient les bombardements dans la région d’Idlib tandis que l’épidémie d’Ebola ne faiblit pas au Congo. Enfin, des milliers de réfugiés demeurent bloqués dans des conditions effroyables à nos portes, en Grèce, en Turquie ou en Libye.

Les défis géopolitiques de 2020 s’avèrent tout aussi complexes que ceux de l’an dernier. Le « deal du siècle » de Donald Trump prévoit l’annexion de parties de la Cisjordanie occupée par Israël, les élections au Burundi de mars prochain inquiètent la communauté internationale tandis que la Russie et la Chine continuent de s’opposer à l’accès de l’aide humanitaire en Syrie. En l’espace d’un mois, la Belgique ne pourra pas faire de miracles. De plus, le compromis ne peut devenir une fin en soi, sachant qu’un large fossé sépare déjà les résolutions adoptées par l’ONU de la réalité sur le terrain pour les millions de personnes qui vivent dans des zones de conflit.

Que peut-on dès lors attendre de la Belgique ce mois-ci ? Faire bouger les lignes semble hors de portée pour un membre non permanent comme la Belgique, qui ne dispose pas d’un droit de veto et d’à peine un mois, de surcroît le plus court de l’année, pour résoudre des conflits qui perdurent parfois depuis plus de 50 ans.

Construire des processus de paix inclusifs

Ce n’est pas un plaidoyer pour jeter l’éponge, mais plutôt une invitation à se retrousser les manches. Avec ses alliés, la Belgique peut prendre des mesures importantes pour atteindre des solutions durables. Elle peut remettre au centre de l’attention les populations qui subissent directement et de plein fouet les conséquences désastreuses de la politique mondiale et rappeler leurs obligations aux membres du CSNU. Des petits pas certes, mais indispensables pour celles et ceux qui ont encore foi dans l’Organisation et dans sa Charte. Les femmes qui sont les premières victimes du conflit au Yémen, par exemple, totalement absentes de la table des négociations jusqu’à présent. Ou les jeunes qui revendiquent le droit à avoir des perspectives d’avenir, il s’agit de leur futur après tout.

L’enjeu est de taille sur le plan international, même si la Belgique est toujours en affaires courantes. Le ministre des Affaires étrangères Philippe Goffin déclarait sur RTL en décembre que « Les affaires étrangères et la défense n’ont pas d’actualité. Il y a des obligations internationales et ma mission est de remplir à 100% mon rôle. »

Monsieur Goffin peut choisir de faire retentir la voix des femmes syriennes ou de la jeunesse burundaise au lieu de celles de leurs dirigeants. Parler davantage avec les gens au lieu de parler d’eux. « Rien sur nous, sans nous », en somme. Peut-on en faire notre devise en 2020 ?

Eva Smets, Directrice d’Oxfam-Solidarité. Elle a mené un travail de lobbying ONG pendant près de 9 ans au Conseil de Sécurité des Nations-Unies à New York.

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