Jules Gheude

Le cordon sanitaire, cette hypocrisie (carte blanche)

Jules Gheude Essayiste politique

En Belgique francophone, il est interdit de former des alliances avec l’extrême droite et il est très mal vu de débattre avec elle, comme l’a (re)démontré l’affaire Bouchez. Mais… l’extrême droite n’est pas interdite de se présenter aux élections, ce qui est une hypocrisie, selon l’essayiste politique Jules Gheude. Tout comme le fait que les partis s’émeuvent de la montée des extrêmes, alors que leurs propres errements en sont sans doute responsables.

En France, le débat politique contradictoire est sacré et il n’exclut aucun courant de pensée. Les partis dits « républicains » ne se privent évidemment pas de souligner le danger que représentent, pour la démocratie, les tenants de l’extrême-droite, avec lesquels il ne peut, en aucun cas, être question de s’allier pour gérer le pays. C’est ce que l’on appelle le « cordon sanitaire« . Mais le débat existe et il est largement utilisé.

Il est d’ailleurs curieux de constater que l’on aborde l’extrême-gauche sous un angle différent, comme si l’Histoire manquait d’exemples pour nous montrer qu’elle pouvait, elle aussi, être funeste…

En Communauté française de Belgique, la position est plus radicale, dans la mesure où le cordon sanitaire exclut tout débat avec l’extrême-droite. La position est délicate, dans la mesure où, en Flandre, le Vlaams Belang est arrivé en tête à l’issue des dernières élections législatives, ce qui a même contraint le roi, lors de ses consultations pour la formation d’un gouvernement, à recevoir en audience son président, Tom Van Grieken. Cela n’avait certes pas manqué de susciter des réactions indignées chez certains responsables politiques francophones.

Ce 21 avril au soir, un pas supplémentaire a été franchi lorsque le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a accepté d’échanger avec son homologue du Vlaams Belang sur le plateau de l’émission « Terzake » de la VRT.

Cris d’orfraie immédiats de la part de ses collègues francophones, ainsi qu’au sein même de son parti. Ainsi, pour Sabine Laruelle, ex-ministre fédérale et députée wallonne : « Comme libérale et réformatrice, je désapprouve avec la plus grande fermeté toute rupture du cordon sanitaire et toute banalisation de l’extrême droite ! A l’heure où les partis démocratiques doivent faire face à la réapparition des bruits les plus sombres, il convient plus que jamais de respecter et faire respecter les engagements de la Charte de la Démocratie. Tout écart par rapport à ces valeurs ne recueille ni mon adhésion, ni le moindre respect ».

Il y a une bonne dose de tartufferie dans cette dialectique. Car ne sont-ce pas les partis « démocratiques » qui, par leurs failles (népotisme, engagements non tenus, affaires judiciaires…) engendrent la méfiance des citoyens à leur égard et alimentent le populisme ?

On a vu également le président du PS, Paul Magnette, tenter de négocier un accord régional wallon avec Raoul Hedebouw du PTB, dont les références historiques nous ramènent pourtant aux jours les plus sombres de l’Humanité.

La real-politik amène les responsables politiques à faire de bien curieuses contorsions.

En mars 1981, Luc Beyer, député européen PRL, refuse de se lever au Parlement européen pour observer une minute de silence en hommage aux victimes de la dictature chilienne. Sommé, au bureau de son parti, de s’expliquer sur ce geste, il allègue que les Etats-Unis sont derrière le régime chilien pour défendre les valeurs de l’Occident. Coup de colère de François Perin : « M. Beyer, quand on se dit libéral, on est contre toutes les dictatures, qu’elles soient de gauche ou de droite ! »

En juillet 2001, Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, prend la présidence du Conseil européen pour une durée de six mois. Quelques semaines plus tard, il effectue une mission exploratoire à Cuba. Dans « Le Soir » daté du 25 août, on peut lire, sous la plume de Colette Braeckman, ces lignes : « Si Louis Michel écrit un jour ses Mémoires, le voyage à Cuba figurera certainement dans son livre de records personnel. Quelques heures lui ont permis de réaliser plusieurs rêves de jeunesse : conduire une Chevrolet de 1940, qu’il emprunta à l’ambassadeur de Belgique pour traverser La Havane endormie, piloter une Harley Davidson le long de la baie et, surtout, s’entretenir jusque tard dans la nuit avec plus insomniaque que lui, Fidel Castro. »

Pas de géométrie variable

Si la diplomatie consiste à arrondir les angles, il importe toutefois d’être cohérent. On ne peut, à la fois, déconseiller aux Belges d’aller skier en Autriche parce que l’extrême-droite y est arrivée au pouvoir (Jörg Haider en février 2000) et déclarer que Joseph Kabila représente l’espoir du peuple congolais.

En d’autres termes, l’appréciation des valeurs démocratiques ne peut être à géométrie variable.

On comprend mieux cette complaisance à l’égard du pouvoir à Kinshasa en lisant cet article du journal « Le Monde » du 26 mars 2008 consacré au libéral Georges Forrest, qualifié par le journal de « vice-roi du Katanga », et qui explique comment l’intéressé a bâti dans la région un empire industriel et minier de première importance.

Dans un article du journal suisse « Neue Zûrcher Zeitung », daté du 21 juillet 2006 et intitulé « Viel Unterstützung fûr Kabila in Katanga » (Beaucoup d’appui pour Kabila au Katanga), on peut lire ceci : « Dans l’interview, Forrest ne nie pas avoir soutenu financièrement le PPRD (le Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie, du président Kabila). Mais il l’a fait aussi pour d’autres partis qui, sans son aide, n’auraient pu mener campagne. Le droit congolais n’interdit pas ces pratiques et d’ailleurs Forrest souligne qu’il agit strictement dans le cadre de la loi. Selon lui, ces financements de partis ne visent qu’à promouvoir la démocratie – un humaniste totalement désintéressé, donc. » Georges Forrest, un « humaniste totalement désintéressé » ? Qui est assez naïf pour le croire ? Et l’on sait comment Kabila concevait la démocratie…

En fait, la nature réelle du régime congolais est contestable, mais les intérêts financiers qu’on peut en retirer sont considérables. Ah, si les mines du Katanga pouvaient révéler tous leurs secrets !

Le 12 mars 2015, Le Vif se penchait sur « les réseaux africains du MR », parlant de vraie addiction. Une addiction qui touche également les libéraux flamands : « De l’autre côté de la frontière linguistique, le patriarche Herman De Croo ne fait pas mystère de ses liens avec le Congo. Il y a des intérêts privés en tant qu’administrateur de la société d’investissement Texaf. Il est également président-fondateur du Centre belge de référence pour l’expertise belge en Afrique Centrale ».

Si l’on ne peut faire abstraction, au niveau de la politique internationale, de la «  realpolitik « , encore faut-il ne pas renier des principes éthiques ou moraux au profit d’intérêts nationaux, voire personnels. Peu doivent se souvenir de Robert Fabre, qui fut l’une des figures marquantes du radicalisme français des années 1970-1980. Dans son livre « Toute vérité est bonne à dire » (Fayard, 1978), il écrivait : « Que de ruses, que de détours, que d’habiletés maladroites dans ce monde politique qui vise pourtant à l’essentiel, le service d’autrui, et y parvient si rarement ! « 

Ce sont précisément ces ruses, ces détours, ces habiletés maladroites qui mettent directement la démocratie en danger. En un mot, la politique politicienne, celle que de Gaulle exécrait.

Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos. Les formations extrêmes ne sont pas ma tasse de thé. Mais force est de constater qu’on les autorise à prendre part aux compétitions électorales. Ce n’est pas en pratiquant l’ostracisme à leur égard qu’on les enraiera, mais en débattant avec elles, argument contre argument, pour apporter la preuve de leur toxicité. En ce sens, le débat Macron – Le Pen pour le second tour de l’élections présidentielle fut bénéfique et enrichissant !

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