. © JULIETTE PAVY/BELGAIMAGE

Le clito, nouvel emblème féministe

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Mon nom est clitoris vient de recevoir, aux Magritte du cinéma, le prix du meilleur documentaire. Signe, parmi bien d’autres, que cet organe dédié au plaisir féminin sort de sa cachette, où la science l’avait trop longtemps laissé. Porté par une nouvelle vague féministe, comme symbole de pouvoir.

Dans les courriels, il s’appelle juste  » le film « . Parce qu’écrire en objet  » Mon nom est clitoris  » conduit tout droit aux spams ; parole d’attaché de presse. Pourtant, pas de quoi fouetter une prude boîte mail. Malgré quelques dessins de vulves et de pénis,  » le film  » n’a rien de porno/a. Juste des filles, entre 20 et 25 ans, qui évoquent leur plaisir sexuel.  » C’est ce qu’on aurait voulu voir quand on était adolescentes.  » Pas qu’elles soient près d’être ménopausées, Daphné Leblond (28 ans) et Lisa Billuart Monet (24 ans). Mais même à cette jeunesse-là, on ne parle pas de  » ça « . Du clito. Ces deux étudiantes de l’Institut supérieur des arts, à Bruxelles, s’étaient demandées pourquoi tant de tabous, un jour qu’elles papotaient en vacances, et elles avaient décidé d’en réaliser un documentaire. Qui vient d’être primé, le 1er février, aux Magritte du cinéma.

C’est un organe qui perturbe profondément l’ordre de la société.

Le soir de la cérémonie, Daphné Leblond est montée sur scène pour recevoir sa statuette, un grand collier en forme de clitoris autour du cou, rose assorti à ses cheveux. Certains ne l’ont peut-être pas reconnu, avec ses grands bulbes et ses corps caverneux. C’est qu’il est rarement représenté tel qu’il est réellement, l’organe. Autrement qu’un point. Tout le monde a cru qu’il ne se limitait qu’à ça et ce n’est que depuis… 1998 que le monde scientifique a appris qu’il était bien plus qu’un gland. Personne avant l’urologue australienne Helen O’Connell n’avait eu l’idée de disséquer des cadavres féminins pour découvrir ce qui se cachait exactement derrière ce  » bouton « .

Une sorte de bretzel (ou d’abeille, ou d’émoji, selon les perspectives) de onze centimètres en moyenne, avec deux bulbes caverneux, deux racines et pas moins de 8 000 terminaisons nerveuses (contre 4 000 environ pour un pénis, juste pour info). Cela fait donc vingt-deux ans qu’on le sait et pourtant, il y a fort à parier que quasi personne ne serait capable de le dessiner. Il paraît même, selon un sondage, qu’un quart des Françaises de 15 ans ne savent pas qu’elles en sont pourvues, tandis que 83 % ignorent sa fonction érogène.

« Et si c’étaient des pénis ! »

Daphné Leblond, elle, le crayonne presque les yeux fermés et en cas d’improbable trou de mémoire, le clitoris ornant sa salopette aurait pu servir de pense-bête. Elle entend parfois d’outrés  » et si c’étaient des pénis, exhibés comme ça, quelle vulgarité !  » mais la réalisatrice reste persuadée qu’exhiber des clitoris est essentiel.  » Car l’afficher, c’est le faire exister. Dans les esprits comme dans les corps.  »

L’afficher au cinéma. L’afficher sur des murs, tagué à la bombe. L’afficher dans une exposition ( Le clitoris s’expose, du 20 au 26 avril prochain à la Maison des arts, à Schaerbeek). L’afficher sur des pages ( Le Petit Guide de la masturbation féminine de Julia Pietri, Politique du clitoris de Delphine Gardey, Le Livre (très sérieux) du clitoris, de Caroline Balma-Chaminadou…) L’afficher sur des comptes Instagram aux milliers d’abonnés (Je m’en bats le clito, Gang du clito, Clit Revolution…) L’afficher partout, fièrement, sans tabou. Un emblème.

Rendu possible par un retour de balancier scientifique, analyse le psychologue et sexologue Philippe Kempeneers (ULiège).  » Durant ces dernières décennies, le sexe masculin a été au centre des recherches.  » Et de citer le Viagra, la découverte du fonctionnement des corps caverneux, l’induction d’érections par injections, les prothèses péniennes, le traitement des éjaculations précoces… La sexualité féminine ? La science s’en fichait. C’est en train de changer.  » Il y a eu des recherches, poursuit-il. Essentiellement de type anatomique (NDLR : comme la première échographie du clitoris, réalisée en 2008 par Odile Buisson, ou la modélisation en 3D, par Odile Fillod en 2016), mais aussi sur les manières de booster la libido par voie chimique, même si cela a été très décevant.  »

Daphné Leblond, son Magritte et son collier en forme de clitoris.
Daphné Leblond, son Magritte et son collier en forme de clitoris.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Empouvoirement du corps

La reconnaissance scientifique a permis aux mouvements féministes de se structurer autour de la thématique de la réappropriation, l' » empouvoirement des corps « , comme le surnomme le collectif La Fronde, actif dans les collages dans l’espace public. Notamment de ce fameux organe dédié uniquement au plaisir.  » La réappropriation du clito et son utilisation comme emblème par les féministes est une chose puissante qui permet une réelle libération « , nous explique le collectif.

Selon Sylvie Lausberg, présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique, cette réappropriation  » revendique l’exception du féminin « , pour démontrer que  » le corps féminin n’est pas passif « . Il n’a pas besoin du masculin pour jouir, il peut très bien s’en charger seul, merci pour lui. Grâce à son  » organe de l’insoumission « , comme la caractérise la sociologue suisse Delphine Gardey.  » En (le) mettant en évidence, déclarait-elle en octobre dernier, dans une interview au magazine Elle, les femmes affirment qu’elles ont des personnalités complètes, alors qu’on les a souvent éduquées dans l’idée qu’il leur manquait quelque chose […], que seuls les hommes avaient un vrai sexe et de vrais appétits sexuels.  »

Le clito comme symbole de pouvoir. A revendiquer, à conquérir. Pas que dans la chambre à coucher.  » Ce qui nous plaisait, avec cette thématique, c’est que c’est un « petit sujet » qui permet de soulever plein d’autres tabous « , pointe Océane Davin, l’une des organisatrices du Clitoris s’expose.  » C’est un organe qui perturbe profondément l’ordre la société, prolongeait Delphine Gardey. Les modèles en place, l’ordre social et politique.  » Le patriarcat ambiant.

Pour ça, qu’il dérange. Que les manuels scolaires n’en font toujours pas correctement mention. Qu’il n’y a aucune obligation de l’évoquer dans des cours d’éducation à la sexualité. Que des tags sur les murs continuent à choquer, et qu’une boîte mail classe le mot parmi les indésirables.  » Le plaisir féminin pourrait être considéré comme une chose simple, résume Daphné Leblond. Or, le fait qu’il perturbe laisse à penser qu’il peut être une arme incroyable. Qui procure une indépendance, sexuelle et affective, au sein du couple et en dehors.  » Ceci n’est (définitivement) pas un bretzel.

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