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Le casse-tête de la hausse des prix de l’énergie: pourquoi réduire sa consommation est la seule solution

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

De la chaudière à la pompe en passant par l’électricité, l’énergie ne sera plus bon marché. D’autant qu’à moyen terme, la Belgique ne pourra se passer ni du gaz ni du pétrole. La seule issue: réduire à tout prix notre consommation.

Bien plus qu’une simple zone de turbulence, c’est une tendance implacable: quelle qu’en soit la forme ou la provenance, notre énergie nous coûtera de plus en plus cher. Dans les prochaines décennies, toute accalmie ne sera qu’un mirage provisoire. Alimentée par la reprise économique, puis par le conflit russo-ukrainien, l’explosion du prix du pétrole, du gaz et donc de l’électricité rappelle à quel point l’avidité énergétique de notre société, particulièrement peu résiliente, l’expose aux plus grands chocs. Economiques, vu les factures impayables d’un nombre croissant de ménages et d’entreprises. Ecologiques, comme l’atteste le crasseux retour au charbon à l’échelle mondiale.

On va payer tru0026#xE8;s cher notre indu0026#xE9;cision et notre incapacitu0026#xE9; u0026#xE0; ru0026#xE9;duire notre consommation d’u0026#xE9;nergie.

La Belgique fait à peine mieux. Si elle a pu réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 22% par rapport à 1990, c’est en bonne partie grâce à la délocalisation de certaines activités polluantes. Depuis une quinzaine d’années, sa consommation finale d’énergie s’est stabilisée autour des 470 térawatt-heures par an (hormis en 2020, marquée par les mesures de confinement), soit 29% de plus qu’en 1990. Par ailleurs, en 2020, le pays n’est pas parvenu à en couvrir au moins 13% grâce à des sources renouvelables, comme le prévoyait l’objectif fixé de longue date par l’Europe. Et malgré l’indéniable essor de ces dernières, c’est la sempiternelle saga du nucléaire qui est au centre de l’agenda de 2022. Déjà vivement critiquée pour son empreinte carbone, la stratégie belge visant à remplacer l’atome par le gaz d’ici à 2026 se voit désormais torpillée par l’hégémonie de la Russie sur ce marché.

Le gaz, fumeux allié

La guerre en Ukraine constitue bien un électrochoc. Dans une récente note, la Commission de régulation de l’électricité et du gaz (Creg) indiquait que la dépendance de notre pays au gaz russe avoisinait les 40%, et non les 6% comme l’estimaient d’autres sources. Sa conclusion: la Belgique doit tout faire pour réduire sa dépendance actuelle et future en gaz naturel, y compris en vue de produire son électricité. Et donc renoncer à la construction de deux nouvelles centrales à gaz, comme le prévoyait le mécanisme de rémunération des capacités (CRM), censé pallier la perte du productible nucléaire.

A l’heure de boucler ces lignes, Le Vif n’avait pas pu prendre connaissance du rapport que le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension, Elia, devait remettre ce 18 mars. Cet ultime examen du CRM était censé éluder les derniers doutes à son égard sur le plan du prix de l’énergie et de la sécurité d’approvisionnement. Avec une question centrale: faut-il prolonger deux de nos neuf réacteurs nucléaires, à savoir Doel 4 et Tihange 3, au-delà de l’échéance fatidique de fin 2025? La réponse semble plus que jamais positive, quels que soient les défauts de l’atome et les incertitudes techniques. Ecolo ne l’exclut plus, comme l’a indiqué récemment son coprésident, Jean-Marc Nollet. De son côté, le président de la N-VA, Bart De Wever, a même plaidé pour le maintien de cinq réacteurs.

La plupart des gens ne se rendent plus compte de la valeur de l’u0026#xE9;nergie.

Dans le mix énergétique actuel, la Belgique dépend déjà fortement du gaz naturel: 47% des ménages l’utilisent comme combustible de chauffage, devant le mazout (37%) et la biomasse (10%), d’après une analyse du SPF Economie. Complémentaire à l’intermittence des énergies renouvelables, le gaz assure en outre 25% de notre production en électricité. Si la Belgique veut éviter d’accroître sa dépendance au gaz, il lui manquera donc quelque 20 TWh d’électricité à l’horizon 2026, soit environ 22% de son niveau de consommation actuel (voir les graphiques ci-dessous). Même en maintenant deux réacteurs nucléaires en activité. Même en comptant sur un déploiement ambitieux mais réaliste des filières renouvelables, nécessitant par ailleurs d’importants moyens de stockage. L’équation paraît encore plus insoluble quand il est question de chaleur: dans les faits, un statu quo du gaz reviendrait à maintenir bon nombre de chaudières au mazout, dont le bilan environnemental pose davantage problème.

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« Pas d’alternative bon marché »

« Pour le moment, nous n’avons tout simplement pas d’alternative bon marché au gaz, constate Francesco Contino, professeur à l’institut IMMC de l’UCLouvain. J’essaie de ne pas être cynique, ni désabusé. Mais je constate que l’on ne s’intéresse à d’autres sources d’énergie, comme les biogaz, que lorsque les prix augmentent. Or, on ne peut se permettre de négliger certaines filières. On paiera très cher notre indécision et notre incapacité à réduire notre consommation d’énergie. La seule chose que l’on puisse faire désormais, c’est en tirer les leçons. Il est inutile de critiquer les seuls pouvoirs publics: ils sont aussi les reflets des citoyens. »

Les scientifiques et les industriels travaillent activement sur de nouvelles voies pour produire de l’énergie de façon plus durable. « Mais ces technologies arriveront dans une échelle de temps incompatible avec l’horizon 2026″, souligne Francesco Contino. L’hydrogène vert? Pas avant 2030, au mieux. Les petits réacteurs nucléaires modulaires (PRM, ou SMR en anglais)? 2035 dans le meilleur des cas. La fusion nucléaire à grande échelle? Entre 2050 et 2070, soit au-delà de la fenêtre d’action que le Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) laisse à l’humanité pour éviter le scénario du pire en matière de réchauffement climatique. Acheminer de l’énergie verte depuis d’autres continents? Marginalement activable dans les prochaines années, cette hypothèse questionnerait la légitimité de l’Europe à « coloniser » des contrées lointaines pour produire une énergie ne bénéficiant pas aux populations locales, tout en leur imposant l’impact paysager.

Dans cette nouvelle ère, le rationnement énergétique deviendra-t-il la norme? Est-il à ce point démesuré de payer deux euros pour un litre de diesel? Faut-il nécessairement chauffer un logement à 22° C? « La plupart des gens ne se rendent plus compte de la valeur de l’énergie, conclut Francesco Contino. Pour égaler la quantité d’énergie que contient un litre d’essence ou de diesel, il faudrait pédaler cent heures à une puissance de 100 Watts. Au prix actuel à la pompe, cette personne ne serait payée qu’à hauteur de 2 cents de l’heure. » Certes désastreuse sur le plan socio-économique, seule une flambée des prix semble susceptible de renvoyer l’homme à son train de vie, même modeste en apparence, dans un monde aux ressources limitées.

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