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Le boom du double emploi

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Ils sont presque 200 000 à exercer deux emplois différents en Belgique. La crise, la lente disparition du contrat de travail classique, les avantages fiscaux et… la passion expliquent le succès de ce cumul.

En dix ans, le nombre de travailleurs qui comptent deux emplois n’a cessé d’augmenter en Belgique: ils étaient 156 645 en 2004, ils sont aujourd’hui 197 262 (chiffres calculés sur les trois premiers trimestres de 2014). Soit 4,4 % de la population active. Notre pays se situe ainsi dans la moyenne européenne. Dans leur écrasante majorité (80 %), ce sont des salariés qui font ce choix. Ils sont surtout actifs dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale (19,9 %) et dans l’enseignement (16,6 %). Viennent ensuite les commerçants et les mécaniciens (9,5 %), puis les représentants de l’industrie manufacturière et les fonctionnaires.

« Ce sont des catégories de travailleurs pour lesquelles il est souvent normal d’avoir deux emplois, précise Stephan Moens, conseiller général au SPF Economie, parce qu’ils occupent souvent des postes à temps partiel. » Dans l’enseignement, par exemple, où les professeurs cumulent plusieurs postes, dans des écoles différentes. Certains médecins travaillent aussi à la fois dans un hôpital et comme indépendant.

Parmi ces doubles professionnels, les divorcés sont davantage représentés que les célibataires ou les citoyens mariés. « Ces chiffres sont révélateurs de plusieurs logiques, souligne le sociologue de l’UCL Marc Zune. Les divorcés disposent ainsi de plus de temps libre, mais ils ont aussi besoin de revenus accrus. »

Les travailleurs de niveau d’instruction élevé sont les plus nombreux parmi les collectionneurs d’emplois : 5,3 %, contre 3,6 % pour les niveaux d’instruction moyen et 2,3 % pour les niveaux faibles. « Ce n’est pas seulement le besoin de ressources financières supplémentaires qui les motive, précise Stephan Moens : certains aiment avoir une vie professionnelle bien remplie. D’autres sont passionnés par un hobby, qu’ils développent de façon professionnelle en plus de leur métier principal. »

Poussés par des formes flexibles d’emplois

Les trois secteurs plébiscités par les travailleurs pour leur seconde activité professionnelle sont la santé humaine et l’action sociale (14,9 %), l’enseignement (12,9 %), le commerce et la réparation mécanique (10,1 %). Dans 60 % des cas, ces travailleurs optent alors pour un statut d’indépendant. Il est fréquent que des salariés « testent » une activité nouvelle comme indépendant à titre complémentaire avant de se lancer dans cette filière à titre principal.

« Cette tendance à additionner les emplois s’observe partout en Europe, souligne François Pichault, professeur à l’ULg. Elle confirme une mutation qui fait du contrat à temps plein et à durée indéterminée (CDI) une denrée de plus en plus rare. Les gens sont poussés vers des formes flexibles d’emploi. » Et de citer cette entreprise de transport qui comptait initialement 300 chauffeurs. Aujourd’hui, seuls 30 routiers y bénéficient d’un CDI. Les autres ont été priés d’acheter leur camion et de prester, en tant qu’indépendant, pour le même employeur qu’autrefois.

De nombreux travailleurs se déclarent aussi indépendants à titre complémentaires pour des raisons fiscales. Les revenus de cette catégorie ne cessent en effet de fondre, passant de 4 500 à 3 700 euros par an entre 2009 et 2013. « Ils ne gagnent en moyenne que 308 euros par mois ! » souligne Thierry Evens, porte-parole de l’Union des classes moyennes. Certains des « doubles travailleurs » ne le deviennent donc que pour pouvoir déduire certains frais dans leur déclaration d’impôts. Ces statistiques ne disent rien, enfin, de ceux qui exercent plusieurs métiers sans le déclarer…

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