Thierry Fiorilli

Le banquet

Thierry Fiorilli Journaliste

Mi-2012 : l’époque où les Hannibal Lecter sont rois. Et nous, soit leurs convives, soit leur menu

Début du mois, la police de Miami a lancé une alerte qui glace les sangs : une nouvelle drogue de synthèse pouvant expliquer le caractère effarant de deux agressions : un SDF avait hurlé : « Je vais vous manger » aux deux policiers qui l’embarquaient, tentant d’en mordre un, entre deux grognements bestiaux ; une semaine plus tôt, un type avait sauvagement mordu au visage un sans-abri. Du coup, on parle de « junkies/zombies cannibales », en Floride.
Au même moment, arrestation à Berlin de Luka Rocco Magnotta. Ce Canadien de 29 ans est accusé d’avoir tué à coups de pic à glace un jeune Chinois, puis de lui avoir démembré le corps. Il est désormais surnommé « le dépeceur de Montréal ». Fin mai, à Châtelineau, Juliana Santana Duran étranglait sa petite Diana, 4 ans, puis la découpait en morceaux qu’elle a fourrés dans le congélateur. Depuis le 15 mars de l’an dernier, en Syrie, la répression a fait plus de 15 000 morts. Régulièrement, des femmes et des enfants y ont été égorgés. Une boucherie.
Dès lors, certains parlent de « résurgence du thème de l’anthropophagie » (1). On (ré)apprend ainsi, pêle-mêle, que :

– « Nous sommes tous des cannibales. Après tout, le moyen le plus simple d’identifier autrui à soi-même, c’est encore de le manger ! » (feu Claude Lévi-Strauss, anthropologue et ethnologue).

– « Nous devenons des absorbeurs de culture. Sans même nous en rendre compte, nous déglutissons, avalons, mâchons, régurgitons et cannibalisons d’autres cultures. L’intime devient ainsi assimilable, avalable, régurgitable. Georges Bataille disait du baiser qu’il est le début du cannibalisme. Que dirait-il des réseaux sociaux ? » (Thomas Jamet, auteur de Ren@issance mythologique, aux éditions François Bourin)

– « Un cannibale muet reste peut-être tapi en nous et nos manières de dominer l’autre vivant ne sont pas nécessairement plus « civilisées » que celles des anthropophages, qui mangent l’autre mais… mort. » (Jean Lebrun, présentateur de La Marche de l’histoire, sur France Inter) (2).

Ce XXIe siècle déjà bien entamé ravalerait encore nos existences au rang de banquets. Soit on y est convive, et on y dévore les autres, par concupiscence, égocentrisme, perversité ou irresponsabilité. Soit on y est le plat de résistance, et on s’y fait engloutir par le stress, l’angoisse, les loups ou les mantes religieuses. Entre deux campagnes sur l’obésité galopante par ici et la famine persistante par-là. Au bout, nous voilà toujours réduits à une vulgaire question d’estomac à rassasier. Bien plus qu’à de belles âmes ou nobles esprits à nourrir. Avouons que c’est un peu dur à digérer.

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