Le CA d'Ackermans et van Haaren en 2016, au premier rang à gauche, Alexia Bertrand, au milieu, Luc, président. © SDP

L’Arabie saoudite, priorité pour la société de la chef de cabinet de Didier Reynders

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Ackermans & van Haaren, la multinationale anversoise dont Alexia Bertrand, chef de cabinet du ministre MR des Affaires étrangères, est administratrice rémunérée, fait du Royaume des Saoud une de ses priorités stratégiques. Or, un revirement de la diplomatie belge vis-à-vis de l’Arabie saoudite nuirait aux intérêts d’une entreprise qui a au moins versé 80 000 euros l’an dernier à la chef de cabinet de Didier Reynders.

Le baron Luc Bertrand est un vieil ami de Didier Reynders. Patron de la multinationale Ackermans et van Haaren, gigantesque holding actif dans des dizaines de pays du monde entier et dans de nombreux secteurs (la banque, l’ingénierie maritime, l’énergie, le transport, l’immobilier etc.) qui affiche aujourd’hui cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires, et propriétaire de Dredging, aujourd’hui DEME, Luc Bertrand a rencontré Didier Reynders alors que celui-ci présidait la SNCB, dans les années quatre-vingt. Aujourd’hui, Luc Bertrand est toujours président du Conseil d’Administration d’Ackermans et van Haaren – il en présidait le comité exécutif jusqu’à mai 2016 -, président du Conseil d’Administration de DEME et président du Conseil d’administration de Dredging International. Les liens entre les deux hommes ne se sont, depuis, jamais distendus.

Même pas depuis que Didier Reynders, devenu ministre des Affaires étrangères, dirige une diplomatie belge dont les inflexions peuvent largement influencer le chiffre d’affaire de la multinationale anversoise. « Partout dans le monde on a besoin de ports ! Cela veut dire du travail pour nous, si nous voulons être compétitifs » expliquaient d’ailleurs, le premier mars dernier, dans une interview à nos confrères de L’Echo Luc Bertrand et le CEO de DEME, Alain Bernard. Mais dans « partout dans le monde », il y a le Moyen-Orient, dont DEME lorgne goulument les marchés en développement. Et en particulier le saoudien, lancé dans une vaste opération de modernisation de ses infrastructures portuaires. Le Royaume, tout en y investissant huit milliards de dollars, se cherche d’ailleurs des partenaires privés. « Nous voyons beaucoup d’endroits dans le monde où il y a de grands travaux à faire », proclamaient-ils, entamant leur énumération par l’Arabie saoudite, avant d’y ajouter « Doha, le Qatar, l’Inde, qui va sans doute devenir la Chine de demain ». La monarchie sunnite mise en tête des priorités de l’entreprise dirigée par Luc Bertrand. Il faut dire que DEME y a des ambitions depuis longtemps, en Arabie saoudite. La multinationale du dragage a déjà pu tisser des liens avec la péninsule lors de sa participation aux travaux d’élargissement du Canal de Suez. Et elle a installé une filiale de Dredging International à Al-Khobar, grand port saoudien sur le Golfe Persique, tandis que Manuchar, dont Ackermans et Van Haaren est actionnaire à 30 %, y a constitué une joint-venture. Nous aurions aimé avoir plus de précisions sur les ambitions saoudiennes de la multinationale scaldéenne, mais dix jours de sollicitations continues n’ont pas convaincu sa direction de nous en apporter.

N’empêche : le raidissement diplomatique de la Belgique, auquel Didier Reynders semble aspirer, nuirait spectaculairement aux intérêts de la société, puisqu’il la couperait d’un marché auquel elle s’intéresse beaucoup.

Et alors ?

Et alors, la fille de Luc Bertrand, Alexia, avocate, est depuis 2015 chef de cabinet « affaires générales » du vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, mais elle est aussi administratrice rémunérée d’Ackermans et van Haaren, poste pour lequel elle a perçu 80.000 euros en 2016. Elle a également perçu des rémunérations de deux filiales de droit néerlandaise de la multinationale anversoise. Ce qui rend sa situation personnelle difficile, entre un mandat privé qui profiterait de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, et une fonction politique qui lui imposerait d’entériner une dégradation de ces relations.

Déjà épinglée par Le Vif/L’Express pour sa délicate position dans deux dossiers offshore impliquant le gouvernement fédéral, c’est cette fois sur une question internationale que son cumul interroge. Mais pas aux yeux de l’intéressée. « D’abord, je n’exerce aucune fonction exécutive chez AvH (j’y suis administrateur non exécutif) et encore moins chez DEME ou chez Manuchar (où je ne siège pas) et je ne suis donc pas habilitée à m’exprimer au nom de ces sociétés », nous a-t-elle expliqué pour ce qui concerne le volet privé de ses activités professionnelles.

Pas de problème non plus, à ses yeux, pour la dimension politique de ces mêmes activités. « Le ministre Reynders, comme tout vice-Premier ministre, a deux cabinets: un pour ses compétences fonctionnelles (Affaires Etrangères) et un pour le volet vice-Premier qui assure le suivi de la politique générale. Ces deux cabinets ont deux chefs de cabinet différents. Je m’occupe de la politique générale tandis que c’est un diplomate qui assure la direction du cabinet Affaires Etrangères. Je ne traite pas les dossiers qui ont trait aux Affaires Etrangères. Je n’étais pas au courant ni de la candidature de l’Arabie Saoudite dans la commission des droits des femmes de l’ONU ni de la mise au vote de cette candidature. J’ai découvert cela dans la presse. Je n’étais copiée sur aucun des mails ayant trait à ce sujet, ce qui est normal et habituel puisque cela relève de la compétence des Affaires étrangères et donc de la diplomatie. Je pense utile de rappeler les quelques éléments supplémentaires suivants: D’abord, comme vous le savez certainement, DEME est actif dans (presque) toutes les régions du monde et donc dans un nombre très important de pays. Ensuite, le ministre Reynders a communiqué en toute transparence sur mon mandat d’administrateur chez AvH et sur le fait que des dispositions sont prises pour éviter tout conflit d’intérêt. Enfin, la principale mesure mise en place au cabinet en ce qui concerne les conflits d’intérêt (et qui existait avant mon arrivée) est inspirée du droit des sociétés et consiste à faire connaître le conflit d’intérêt et ne pas être en charge de la prise de décision », précise Alexia Bertrand.

Le dossier « Didier Reynders, un homme assiégé », sur levif.be et dans Le Vif-L’Express dès ce jeudi matin.

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