Philippe Buelen (à droite), en compagnie de Stéphane Moreau (Nethys) : acculé, le chef de cabinet du superministre CDH Maxime Prévot a démissionné de la plupart de ses mandats. © PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY - BPPA

L’affaire Publifin est un nouvel exemple du profond mal wallon

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Oui, l’affaire Publifin témoigne qu’il y a décidément quelque chose de pourri en Wallonie socialiste. La preuve par ces promesses jamais tenues de couper l’herbe sous le pied des « parvenus ».

Un séisme. L’affaire Publifin et ses nombreuses ramifications, faites de rémunérations disproportionnées et de conflits d’intérêts en tous genres, donne à nouveau une image désastreuse de la politique francophone.  » Cela donne l’impression grave que la Wallonie retombe toujours dans ses vieux travers « , déplore Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo au parlement de Wallonie.  » Cela rappelle le système Van Cau à Charleroi, appuie François Gemenne, politologue à l’université de Liège. Dans un bassin où le PS est archidominant, on arrose tout le monde pour maintenir la Pax Socialista. C’est un système mafieux dans lequel on a payé le silence de tout le monde.  »  » C’est avant tout le résultat de l’hégémonie socialiste, il faut en être conscient ! « , s’emporte Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR.

« De l’irresponsabilité politique »

Stéphane Hazée et Pierre-Yves Jeholet ont déposé, le 23 janvier, au parlement wallon une motion de méfiance contre le ministre socialiste des Pouvoirs locaux, Paul Furlan, qui a aujourd’hui démissionné. Une première dans l’histoire régionale – davantage symbolique qu’utile, car la majorité PS-CDH serre les rangs. Derrière l’homme, les deux ténors de l’opposition visent surtout un  » système  » protégé au plus haut niveau depuis des années.

Ces derniers jours, les présidents de la majorité, Elio Di Rupo et Benoît Lutgen, ont pourtant multiplié les initiatives afin de restaurer la confiance.  » Le mot éthique doit figurer au fronton du Parti socialiste « , a asséné le premier, présentant 21 mesures et réclamant que Stéphane Moreau choisisse entre la direction de Nethys et le mayorat d’Ans (Moreau a depuis choisi de renoncer à son poste de bourgmestre, ndlr). Le second a démissionné virilement les administrateurs CDH de Publifin et annoncé dans la foulée un  » printemps de la gouvernance « .

 » Comment croire à la mise en oeuvre de nouvelles réformes dès lors que les précédentes votées par le parlement n’ont pas été exécutées, rétorque Stéphane Hazée. La bonne gouvernance est passée tout en dessous des priorités du gouvernement. Et qui assume la responsabilité de ces failles ? Il y a manifestement des puissants qui vont rester intouchables, c’est inquiétant pour la démocratie.  »  » L’irresponsabilité politique est totale en Wallonie, acquiesce Pierre-Yves Jeholet. Le PS a sauvé le CDH quand a éclaté, l’an dernier, le scandale de l’Office wallon des déchets, avec le détournement de deux millions d’euros par un fonctionnaire et un conflit d’intérêts majeur dans le chef du ministre Di Antonio. Voilà le retour de manivelle : cette fois, le CDH sauve le PS.  »

François Gemenne, politologue à l'ULg :
François Gemenne, politologue à l’ULg :  » Une logique totalitaire. « © RTBF

PS et CDH, qui tirent les ficelles de la Région depuis 2004, auraient tout fait pour protéger ceux qui dérogeaient aux règles. Au nom de l’intérêt supérieur liégeois, dans le cas de Publifin. Et pour éviter de raviver des plaies béantes au sein du PS.  » Cela ne veut pas dire que toutes les intercommunales sont synonymes de mauvaise gouvernance, disent écologistes et libéraux. Les règles ont été améliorées depuis le transfert de la tutelle à la Région. Mais il n’y a eu aucune volonté de les appliquer…  » Certaines intercommunales, dont la nébuleuse Publifin/Nethys mais aussi Ores, y ont échappé. Délibérément.

Les entourloupes du PS et du CDH

L’histoire de ces  » ruses  » s’inscrit dans un contexte institutionnel complexe dont la Belgique a le secret. Au début des années 2000, la tutelle sur les intercommunales est transférée aux Régions en vertu des accords du Lambermont.  » Dès le début, Tecteo, puis Publifin, ont tout fait pour contourner les règles en matière de gouvernance, souligne Stéphane Hazée. Stéphane Moreau a placé son intercommunale dans une sorte de no man’s land en le transformant en institution interrégionale, suite à des adhésions à Fourons et Uccle : elle n’était pas hors la loi, mais du seul ressort de la loi fédérale de 1986. En clair, elle est restée en dehors de toutes les réformes lancées depuis en matière de cumuls, de rémunérations, d’accès aux documents, de contrôles des conseils d’administration, de pluralisme au sein des organes de gestion…  »

L’absence d’un accord de coopération entre les trois Régions empêche le transfert des intercommunales interrégionales vers la Région où elles sont majoritairement actives. Pendant des années, cet accord est bloqué en raison d’un contentieux d’une toute autre nature entre Bruxelles et la Flandre. Cela arrange bien Tecteo : le blocage maintient l’intercommunale dans une situation confortable, sans contrôles.  » La réforme de l’Etat de 2011 fournit enfin le levier nécessaire pour le résoudre, raconte le chef de file Ecolo. Le sujet ne figure pas dans l’accord politique initial, mais apparaît par l’entremise de Marcel Cheron (Ecolo) lors de la Comori, la commission chargée de traduire la réforme de l’Etat en textes de loi. L’achat du groupe L’Avenir par Tecteo/Publifin a été un coup de semonce supplémentaire, car cette nébuleuse prenait le contrôle d’un organe de presse majeur en Wallonie.  » Ecolo lie le règlement de cette question au vote de la réforme de l’Etat. Le MR, en croisade contre la  » berlusconisation  » de la Wallonie, l’appuie. Dans les derniers mètres, le CD&V voit le problème et arrive à convaincre le gouvernement flamand d’arrêter la bagarre avec Bruxelles. Fumée blanche.

Stéphane Hazée et Pierre-Yves Jeholet (au centre), chefs de groupe Ecolo et MR dans l'opposition, dénoncent
Stéphane Hazée et Pierre-Yves Jeholet (au centre), chefs de groupe Ecolo et MR dans l’opposition, dénoncent  » l’irresponsabilité politique  » du gouvernement Magnette dans ce dossier.© JOHN THYS/BELGAIMAGE

L’accord de coopération est voté par le parlement wallon en toute fin de la législature.  » Enfin, on rattrape ces intercommunales, se réjouit Stéphane Hazée. Au 1er juillet 2015, en vertu de cet accord, elles devaient se mettre en règle avec le droit wallon. Finie la vieille loi, avec toutes ses limites. Mais il se passe alors quelque chose de totalement singulier. A quelques jours de ce 1er juillet, PS et CDH déposent une proposition de décret qui vise à reporter de deux ans l’application de cette législation.  » L’actualité, alors dominée par l’ajustement budgétaire, éclipse ce coup fourré. La majorité passe en force. La proposition de décret est adoptée le 15 juillet 2015.  » Pendant quinze jours, nous étions dans l’illégalité la plus totale « , constate Hazée.

On a l’impression que ce ne sont pas le gouvernement et le parlement qui ont le pouvoir. C’est extrêmement grave

Ce ne sont pas les seuls contournements de la loi dénoncés par l’opposition, loin s’en faut.  » En 2010, on vote un décret précisant :  » ne peut pas être bourgmestre tout directeur d’intercommunale « , prolonge son chef de groupe. Cela vise clairement Stéphane Moreau. L’intercommunale Publifin décide alors de transférer son activité opérationnelle à ses filiales, de telle sorte que le bourgmestre d’Ans n’est plus directeur d’intercommunale, mais d’une de ces filiales. J’ai alors déposé une proposition de décret qui dit :  » ne peut pas être bourgmestre tout directeur d’intercommunale, mais aussi tout responsable de filiale ou de filiale de filiale « . Elle est restée embourbée dans la commission parlementaire du renouveau démocratique. On a l’impression que ce ne sont pas le gouvernement et le parlement qui ont le pouvoir. C’est extrêmement grave. Comment se fait-il qu’un bourgmestre et un président de collège provincial imposent leurs vues à des personnes aussi importantes qu’un ministre-président ou que le président du plus grand parti de la Région ?  »

La liste des  » ruses  » utilisées ou des contrôles non exercés s’allonge telle une litanie. En avril 2014, un décret prévoit la possibilité de désigner des commissaires de gouvernement, baptisés  » délégués au contrôle « , pour tenir à l’oeil ces intercommunales stratégiques.  » Le gouvernement n’a jamais désigné personne, il n’y a jamais eu de point à l’ordre du jour avec la liste de ces délégués « , pointe Ecolo. Idem pour la commission d’éthique et de déontologie, dont la création a été votée par le parlement avant les élections de 2014.  » Cette autorité indépendante, composée de sages, anciens politiques ou anciens juristes, devait avoir le pouvoir de lutter contre les conflits d’intérêts ou de contrôler les mandats. Cela n’a jamais été mis en oeuvre. On ne parle pourtant pas d’une proposition d’Ecolo ni même d’un projet de décret, mais d’un texte passé au Moniteur belge, du droit réel !  »

De nombreux conflits d’intérêts

Jour après jour, depuis la fin décembre 2016, on assiste éberlué à un grand déballage, qui éclabousse la Région wallonne. Après les rémunérations démesurées pour emplois fictifs à Publifin, ce sont les conflits d’intérêts qui occupent le devant de la scène. Exit Claude Parmentier, chef de cabinet adjoint de Paul Furlan en charge des Pouvoirs locaux, qui était un des piliers de l’intercommunale. L’autre chef de cabinet du ministre, Julien Donfut, est visé à son tour : il est en charge des dossiers énergétiques alors que son père, Didier Donfut, est à la tête d’une intercommunale puissante dans le domaine, Ores. Philippe Buelen, chef de cabinet du superministre CDH Maxime Prévot, est lui aussi sur la sellette : sous la pression, il a abandonné plusieurs de ses nombreux mandats, dont la tête d’une filiale de Publifin, mais conserve le plus rémunéré – la vice-présidence de la Société de gestion et de participations (Sogepa) – et un rôle d’administrateur à titre bénévole dans la société privée immo Circus, – précisément celle qui investit massivement dans le casino de Namur, ville dont son ministre est bourgmestre en titre.

 » Il y a un mois ont été votées les limites de rémunérations au sein des organismes d’intérêt public, peste Pierre-Yves Jeholet. On a augmenté les plafonds de 245 000 euros à 302 000 euros pour les organismes financiers, dont la Sogepa. Tout ça pour que les cabinettards concernés en profitent, dont le chef de cabinet de Prévot. Or, 245 000 euros, c’était déjà trop. L’administatrice générale du Forem, avec trente ans d’expérience et un temps plein, touche 115 000 euros. Je ne suis pas toujours d’acord avec elle, mais elle boulotte ! Pour les directions générales d’administration, on est à 110 000 euros. On est largement au-dessus pour les administrateurs de la Sogepa, alors que ces gens n’y passent que de temps en temps. Je l’ai dit à Magnette : « Vous ne m’enlevez pas l’idée que c’est un décret sur mesure ». Aussi longtemps que l’on accepte ça…  »

L'affaire Publifin est un nouvel exemple du profond mal wallon
© PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY – BPPA

Le chef de file libéral rappelle qu’il avait instamment prié Paul Furlan, en 2011 déjà, de mettre en place un cadastre des intercommunales reprenant les mandataires dans les comités exécutifs et dans les conseils d’administration, ainsi que leurs rémunérations, leurs fonctions politiques…  » Si on avait eu le cadastre et pas des informations parcellaires, on aurait vu qu’il y avait des rémunérations tout à fait indécentes ! s’exclame-t-il. Et l’on disait au sujet de ce cadastre qu’il ne fallait mentionner que les fonctions, pour protéger la vie privée. Pour moi, c’est fini, on peut faire une grosse croix sur la protection de la vie privée. Un gars comme Buelen, qui gagne plus qu’un Premier ministre chaque année, on ne devrait pas le mentionner ? Sans compter les conflits d’intérêts majeurs que cela représente ! Franchement, ça suffit ! Il faut prendre la mesure de l’incompréhension légitime de la population.  »

Le système mis en place, dénonce-t-il, permet la distribution  » de tas de fonctions, totalement en disproportion avec le pouvoir politique des partis « .  » Quand je vois que l’on désigne madame Simonet présidente de l’aéroport de Liège – et j’ai beaucoup de respect pour elle -, on croit que c’est sans l’aval de Stéphane Moreau ? La répartition que Lutgen et Di Rupo ont signée en 2014, c’est sans l’aval de Stéphane Moreau ? Quand le groupe Nethys désigne Jean-Pierre Grafé en dérogeant à la limite d’âge, c’est sans l’accord de Stéphane Moreau ? Quelle hypocrisie de la part des présidents de parti à l’égard d’une structure dont on sait qu’ils l’utilisent…  »

Dans ce brouhaha, il est encore question d’Alain Mathot (PS), député-bourgmestre de Seraing, président de NeWin, filiale de Nethys. Il y touche ses rémunérations… via une société, pour maximiser le profit.  » Comment accepte-t-on ça ? s’étrangle Jeholet. Alors que les députés socialistes, dont Mathot, attaquent Charles Michel au fédéral, au nom de l’éthique fiscale… Si j’apprends qu’un mandataire libéral est payé à travers une société, je peux vous assurer que j’exigerai sa démission et que j’en ferai une affaire personnelle. Et dire que le président du PS voulait s’en prendre, il y a quelques années, aux parvenus…  » C’était le voeu exprimé avec détermination par Elio Di Rupo en personne, après les affaires de Charleroi. Aujourd’hui, certains, y compris au sein de son parti, comme le président de la fédération namuroise, Robert Joly, estiment qu’il est temps pour lui de se remettre en question et de songer à  » laisser la place aux jeunes « .

Un « système totalitaire »

Le coeur de ce profond mal wallon résiderait dans la multiplicité des institutions. C’est un clou sur lequel les partis d’opposition ne cessent de taper… quand ils sont dans l’opposition.  » Doit-on maintenir en Wallonie cinq TEC et une société wallonne du transport ? demande une nouvelle fois Pierre-Yves Jeholet. Est-ce normal d’avoir autant de sociétés financières : SRIW, Sowalfin, Sogepa… Et neuf invests, c’est surréaliste quand on a déjà des structures régionales ! A quoi cela sert-il, si ce n’est pour désigner des gens au conseil d’administration ? Idem pour les sociétés de logement. Et ce n’est pas tout : on va créer des pôles hospitaliers. Ca suffit ! Il faut réorganiser et simplifier. Les intercommunales devraient simplement devenir les bras armés de la décision politique provinciale.  »

Le MR rappelle en passant qu’il fut le seul parti à dénoncer ouvertement la diversification de Tecteo/Publifin vers la presse, lors de la précédente législature, quand Ecolo était au pouvoir avec le PS et le CDH.  » Ce sont des investissements à risque avec de l’argent public, clame-t-il. Revenons-en à la mission historique des intercommunales : des associations de communes pour répondre à des besoins que l’on ne peut plus gérer au niveau local.  »

Le politologue François Gemenne, qui a fortement chargé Publifin en tant que  » citoyen liégeois « , très engagé, dénonce une  » logique totalitaire  » dans le chef de cette intercommunale, rien de moins :  » Ce groupe s’occupe des différents aspects de l’économie et de l’emploi, étend son emprise sur la société dans son ensemble, cherche à contrôler tous les aspects de la vie des citoyens, avec une logique ultralibérale. Nethys m’attaque aujourd’hui en justice pour calomnie et diffamation. Cela ne m’étonne pas, c’est le propre d’un système mafieux. La loi, à Liège, c’est Stéphane Moreau qui la fait. Il suffit de voir comment Demeyer et Marcourt se taisent pour le comprendre.  »

En attendant, les Wallons suivent le développement de ces nouvelles affaires d’un regard effaré.  » L’impact potentiel, c’est la montée des extrêmes et la perte de légitimité du politique « , grince Stéphane Hazée.  » Comment voulez-vous encore convaincre des citoyens de se présenter aux communales ? « , demande Jeholet. Comme si le climat politique n’était déjà pas assez délétère…

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