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 » L’affaire Dutroux a cristallisé l’angoisse des parents « 

Depuis l’affaire Dutroux, la Belgique est-elle devenue hypersensible aux faits divers concernant des enfants ? C’est l’avis du correspondant bruxellois du journal Le Monde. Les réactions outrées n’ont pas tardé.

Dans un article mis en ligne mercredi après-midi, Jean Pierre Stroobants, correspondant du Monde et ancien journaliste du Vif/L’Express et du Soir, établit un lien entre le « traumatisme » de 1996 et l’émotion qu’a suscitée le drame du tunnel de Sierre. « Et chaque accident impliquant des enfants ravive désormais les plaies mal cicatrisées des Belges », conclut notre confrère.

Cet article a suscité sur le Web une vague de réactions indignées. Comparaison fantaisiste et indécente ? Nous avons posé la question au psychologue, anthropologue et psychanalyste François Martens, auteur d’une contribution à l’ouvrage collectif Procès Dutroux : penser l’émotion, édité par la Communauté française en 2004.

Diriez-vous que les Belges sont plus émotifs que d’autres lorsqu’il s’agit d’enfants ?

J’ignore ce qui en est ailleurs. Ce que je pense, c’est que quelque chose s’est cristallisé en Belgique à l’occasion de l’affaire Dutroux. La défaillance des services publics a révélé une angoisse de société qui a notamment entrainé un vacillement des relations entre générations.

Comme les rapports entre parents et enfants ?

Tout à fait. Le rapport entre génération n’est plus assuré. Les mots parents et enfants existent toujours dans le lexique, nous les employons vous et moi, mais ils ne représentent plus la réalité. La réalité, c’est qu’il y a des grands et des petits dans les familles. La fonction des parents est vacillante, ils n’ont plus de sentiment de légitimité. Je pense qu’à l’occasion de l’affaire Dutroux, toutes les angoisses de société, et notamment ces rapports parents-enfants, ont flambé tout à coup. C’était un catalyseur. Pendant la marche Blanche, des centaines de milliers de personne ont défilé avec des calicots « protégez nos enfants », et non « protégeons ». C’était une sorte d’aveu d’impuissance. Cela dit, l’affaire n’était qu’un révélateur d’une angoisse déjà présente, le sentiment tout à fait irrationnel que les enfants n’étaient pas protégés.

Près de seize ans après l’affaire Dutroux, le pays a-t-il surmonté le traumatisme ?

Non, on ne l’a pas surmonté. Child Focus, née de l’affaire Dutroux, vient ainsi de lancer une campagne d’affichage où un enfant dit en gros : « Papa, je ne veux plus que tu viennes dans mon lit le soir ». C’est un message constant adressé aux enfants : les adultes ne sont pas fiables. Une forme de figure protectrice s’est détruite à l’occasion de l’affaire, plus qu’à cause d’elle.

Voyez-vous une parallèle possible entre l’affaire Dutroux et le drame suisse ?

Je pense qu’une sorte d’angoisse s’exprime. Les adultes projettent leur propre fragilité dans la crainte de ce qui pourrait arriver aux enfants, qu’ils soient abusés ou accidentés. L’accident en Suisse est dû à la fatalité. Mais on part de l’idée qu’il faut absolument tout éviter, tout contrôler. Nous vivons dans une société qui se veut sans risque. Or le risque zéro, c’est la vie zéro finalement. Ce sentiment existait déjà avant l’affaire Dutroux, qui n’a fait que le renforcer.

Propos recueillis par Ettore Rizza

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