La taxe Gafa pourrait rapporter cent millions d’euros à la Belgique. De quoi mettre du beurre dans les épinards du budget du chef De Croo. Encore faut-il vouloir allumer le fourneau... © belga image

La taxe GAFA en Belgique, cette promesse de la Vivaldi que tout le monde a (bizarrement) oublié

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

En 2020, le gouvernement De Croo s’engageait à introduire, en 2023, une taxe nationale sur les Gafa si un accord international n’était pas trouvé. On l’attend toujours. Pourtant, personne dans la Vivaldi ne semble se rappeler sa promesse…

C’est une recette politique qui ne rate jamais. Quand bien même les recettes budgétaires seraient très incertaines.

Prenez un président de parti, un député de la majorité fédérale ou, à la rigueur, un ministre bien dodu.

Retournez-le une fois ou deux et saisissez-le en le faisant revenir à un engagement de l’accord du gouvernement.

Débitez sa réponse en très petits morceaux.

Si ce que vous obtenez est une salade de bredouillements, assaisonnée de suggestions incertaines du type «mais c’est l’OCDE qui s’en occupe… Non? Ou bien c’est pas l’Europe?», et relevée d’une pointe de surprise «Ah oui? C’est nous? Sûr?», vous pouvez servir.

C’est qu’il s’agit de la taxe sur les services numériques, dite «taxe Gafa», que la Belgique est censée introduire en 2023, mais que tout le monde a oubliée.

C’était pourtant tracé d’une plume très ferme, loin des insipides préparations sur lesquelles s’étaient accordé les sept présidents de parti tout le long de ce menu de 98 pages.

A l’issue de la législature, d’une manière ou de l’autre, elles allaient enfin passer à la caisse, les Gafa – Google, Apple, Facebook, Amazon, le cinquième géant du numérique, Microsoft, n’étant concerné qu’à la marge. Les quatre multinationales qui valorisent des données du cru et reportent leurs bénéfices bien loin s’engraissent insupportablement.

Et la Vivaldi allait les soumettre à la diète.

«Une forme de taxation numérique doit voir le jour. La Belgique prendra l’initiative dans les discussions en la matière au niveau international (OCDE et UE). Un accord international sera privilégié. Si un tel accord ne peut être trouvé (au sein de l’OCDE et de l’UE), la Belgique instaurera une taxe sur les services numériques en 2023», est-il ainsi écrit à la page 53 de l’accord de gouvernement.

Dans l’Union européenne, la France – qui en a retiré 375 millions d’euros de recettes en 2020 – , l’Italie, la République tchèque et l’Autriche ont déjà adopté une telle législation, qui bouleverse assez largement les habitudes en matière de taxation des entreprises: elle impose le chiffre d’affaires – généralement calculé en proportion de son activité mondiale – réalisé sur un pays donné plutôt que les bénéfices éventuellement perçus par le siège central.

Selon les tableaux budgétaires en annexe du menu signé par les sept chefs-coqs de la Vivaldi, cent millions d’euros abonderaient les caisses fédérales dès l’exercice budgétaire 2023.

Deux ans plus tard, alors qu’ Alexander De Croo et ses commis préparent d’un coup un budget gargantuesque à deux services, 2023 et 2024, plus personne n’en parle, ni en salle ni en cuisine.

La recette de cent millions d’euros figurait encore dans les calculs de trajectoire présentés avec le budget 2022, en octobre dernier.

C’était quelques mois après des avancées, que l’on pensait décisives, dans les «discussions en la matière au niveau international» dont parlait l’accord de gouvernement.

L’Union européenne, à l’époque, avait en effet déjà lancé une initiative visant à introduire une taxation des services numériques, et la Belgique comptait dessus.

Si un tel accord ne peut être trouvé (au sein de l’OCDE et de l’UE), la Belgique instaurera une taxe sur les services numériques en 2023.

L’estomac sensible de Joe Biden à la taxe Gafa

Mais cette initiative régionale était contrecarrée, et rendue caduque, par une impulsion américaine, donc mondiale.

En juin 2021, en effet, Joe Biden convainquait ses collègues du G7, puis du G20, puis de l’OCDE, de résoudre ensemble «les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie». Ce modèle de solution, validé en octobre 2021 par 137 membres de l’OCDE, reposait sur deux piliers: un premier qui prévoit la réattribution de l’imposition pesant sur les plus grandes entreprises multinationales vers les pays où elles exercent une activité commerciale et plus seulement là où elles siègent physiquement – donc, pour les Gafa, pas aux Etats-Unis… – et un second qui promeut un impôt mondial minimal de 15% sur les bénéfices des multinationales.

Les deux piliers ainsi érigés, et surtout le premier, rendraient les taxes Gafa nationales non seulement inutiles, mais, surtout, interdites. C’est bien, au fond, ce que voulait Joe Biden, dont les lettres de l’acronyme sont des sociétés compatriotes.

Biden
Une taxe Gafa, au goût de Jo Biden ? © Getty

Le ministre CD&V des Finances ne disait pas autre chose que son collègue de la Maison-Blanche. «Tous les membres du G7 plaident pour une annulation des mesures unilatérales de taxation des services numériques parallèle à l’entrée en vigueur des projets Piliers un et deux, mais il faudra encore définir plus précisément ces plans», spécifiait, effectivement, Vincent Van Peteghem, devant la commission des Finances de la Chambre, le 30 juin 2021.

La taxe Gafa à la sauce belge était vouée à une péremption rapide, avant même d’avoir pu être cuisinée. La Belgique allait la recevoir toute prête, dans des barquettes préparées à l’OCDE par l’intermédiaire de l’Union européenne. Or, aujourd’hui, il apparaît qu’aucun des deux piliers ne sera dressé avant 2023.

L’impôt à 15% sur les multinationales souffre en Europe d’une interdiction alimentaire posée par la Hongrie. Les autres membres espèrent la lever à l’automne – et certains comptent même passer outre la réticence hongroise.

Mais quelles qu’en soient les répercussions pour les finances publiques belges (les estimations allant de 10,5 milliards d’euros par an selon l’Observatoire européen de la fiscalité à… une centaine de millions d’euros, selon une étude du SPF Finances), il est certain que cet impôt bourratif ne sera pas ingéré avant 2024.

Il était, lui aussi, prévu dans l’accord du gouvernement, et budgété à 300 millions dès 2023. Le PS en a fait le plat de résistance de sa rentrée politique. Il veut que la Belgique se concocte cette taxe Gafa apéritive pour elle seule pour patienter en attendant la plus roborative imposition européenne.

Quant au premier pilier, qui concerne plus spécifiquement les Gafa, le calendrier révisé de l’OCDE garantit désormais qu’il ne sera pas prêt à être dégusté l’an prochain.

L’ organisation s’engage désormais à boucler «une nouvelle convention multilatérale d’ici à la mi-2023, pour une entrée en vigueur prévue en 2024», précisait son secrétaire général dans un rapport adressé «aux ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale des pays du G20» en juillet dernier, avant leurs agapes en Indonésie.

La Belgique est donc certaine de ne pas pouvoir compter sur les cent millions prévus en 2023 si elle ne se la prépare pas dans son coin au cours des prochaines semaines.

Pourtant, personne n’a l’air de vouloir allumer ce fourneau, dans la cuisine noir-jaune-rouge.

N’allez surtout pas croire que c’est parce qu’au pays de Coca-Cola, de McDonald’s et, surtout, des Gafa, on trouverait ça indigeste.

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