Jos Digneffe

« La SNCB et le scénario Sabena: une véritable peur ou un désir secret de la pensée libérale ? »

Jos Digneffe Ancien syndicaliste à la SNCB

« Pour amener le navire de la SNCB à bon port, on pourrait commencer par retourner à une structure intégrée qui aurait un CEO, un Conseil d’administration et cinq directions » estime l’ancien syndicaliste Jos Digneffe. « On économiserait des millions par an ».

La SNCB ne va pas bien du tout. Les plaintes quotidiennes contribuent à ce que le seul mot de « SNCB » éveille la réticence, même auprès des 90% de Belges qui n’utilisent jamais les transports en commun. On entend sans cesse les histoires de gens qui arrivent en retard au boulot ou aux réunions parce que leur train n’était pas à l’heure. Par contre jamais un mot sur ceux qui sont tous les jours coincés dans les embouteillages. Bien que cela n’empêche nullement les trains d’arriver à l’heure, ce constat devrait néanmoins permettre d’ouvrir le débat.

Pour le professeur Matthijs, il n’y a pas de doutes: la SNCB est mal gérée, le matériel est vétuste et souvent défectueux, les structures sont ingérables, il y a trop de coûteux hauts fonctionnaires, la mutuelle est déficitaire et le statut du personnel trop avantageux. Et puis il y a la caisse de retraite,elle aussi déficitaire, que l’état belge a « heureusement » reprise sous peine d’accroître la débâcle financière. Du moins, c’est ce que dit « l’expert ».

Le professeur Matthijs veut convaincre la société qu’une privatisation est la seule issue

En réalité le professeur ne fait que ressasser toutes les nouvelles négatives parues dans les médias au sujet de la SNCB pour convaincre la société qu’une privatisation précédée d’un bon assainissement est la seule issue. Un procédé limpide et simpliste si vous voulez mon avis.

Commençons par ses affirmations à propos de la caisse de retraite. Pour la reprise de la caisse de retraite (en 2006) la SNCB a versé 300 millions d’euros au trésor belge. Par conséquent, elle a contracté une dette supplémentaire de 300 millions d’euros pour que l’état ne doive pas supporter les régimes de pensions particuliers.

Quant à la mutuelle de la SNCB, la Caisse des Soins de santé, 10% de ses travaux ont trait au Fonds des oeuvres sociales. En outre, les services de la mutuelle sont souvent assurés par du personnel muté dans ce service suite à des problèmes médicaux les empêchant de continuer dans leur ancienne fonction . Si cette mesure augmente les coûts du personnel, cela évite d’indemniser le personnel concerné. Tiendra-t-on compte de ces arguments quand on comparera le prix aux mutuelles privées ?

En revanche, je suis heureux de lire que le professeur constate que la structure actuelle ne fonctionne pas. Depuis 2004, je continue à affirmer qu’une structure intégrée constitue la meilleure solution. À l’heure actuelle, il n’y a pas de pilotage central. L’armée évoquée par le professeur est due en partie aux structures illogiques. Un roi a une cour. Il y avait trois rois aux chemins de fer, maintenant il en reste toujours deux.

« Le jour où la SNCB s’est mise à dégringoler »

Aussi ne suis-je pas du tout étonné que la SNCB soit mal gérée dans certains domaines. Lorsque les managers externes ont pris la barre de la SNCB, il fallait implémenter une nouvelle culture d’entreprise. Le know how de la société a été désavoué avant de faire appel à des consultants coûteux qui devaient recommander les candidats les plus adéquats pour les hauts postes. C’est à partir de ce moment-là qu’a commencé la longue chute de la SNCB. Certaines personnes ont été nommées responsables de services alors qu’elles n’y connaissaient rien. Le consultant avait simplement dressé une liste de personnes au profil adéquat, mais au final seul le CEO tranchait si l’honneur échoyait au numéro 1 ou au numéro 4. Celui qui hurlait le plus fort que les couleurs politiques n’avaient pas d’importance était le roi de l’équilibre politique et communautaire. À partir de ce moment-là, les postes de cadres bien payés pouvaient également être occupés par des personnes étrangères à la société. Aussi n’est-il pas étonnant que certains chasseurs de têtes soient devenus cheminots. L’hypocrisie au sommet donc.

Le matériel vétuste. Ici aussi, l’explication est assez simple. Vous vous souvenez probablement de la fameuse norme de Maastricht qu’il fallait absolument atteindre au temps où feu Jean-Luc Dehaene était premier ministre. La SNCB, qui était dirigée par l’icône du CD&V Etienne Schouppe, devait également mettre la main à la pâte au travers d’un arrêt total des investissements. C’est la meilleure preuve que des décisions d’économies irréfléchies peuvent ressurgir des années après. Cependant, les investissements récents n’ont pas vraiment fait mouche non plus. Il suffit d’observer l’achat des trains Desiro décidé par l’ancien CEO Descheemaecker sans parler du Fyra. Pour citer Jo Cornu (l’actuel CEO) : « Que suis-je avec du nouveau matériel qui tombe en panne tous les 8.000 kilomètres ? ».

Finalement, l’histoire de B-Logistics (la filiale de marchandises de la SNCB) a indirectement exercé un impact important sur une ponctualité en berne. La SNCB a en effet dû céder un grand nombre de locomotives presque neuves (T13) à B-Logistics. Des locomotives souvent inemployées alors que la SNCB souffre d’un manque criant de matériel fiable. Ce que personne ne semble ou ne souhaite se rappeler, c’est qu’après ABX la libéralisation du transport de marchandises avait eu des conséquences financières désastreuses pour le groupe de la SNCB. Le Holding de la SNCB s’est couvert de dettes pour réaliser ce rêve. En outre, B-Logistics a du même coup dilapidé indirectement et subrepticement une grande partie du budget prévu pour la circulation des voyageurs.

Les droits de passage pour les trains de marchandises étaient ridiculement bon marché avec comme conséquence que les droits de passage pour trains de voyageurs étaient extrêmement élevés, jusqu’à trois fois le prix pratiqué à l’étranger.

Les travaux d’entretien des locomotives et wagons de Logistics étaient effectués dans les ateliers de la SNCB, à 20% sous le coût réel. Le directeur-général du service de voyageurs de l’époque m’a confié dans un moment d’inattention qu’il n’avait plus la moindre idée des flux monétaires au sein de la SNCB. « Quand je demande des explications, je me fais rabrouer, mais certaines choses ne sont pas justes » m’avait dit le brave homme.

Monsieur Matthijs, qui a été vice-président du SLFP enseignement, devrait également savoir que le statut particulier du personnel de la SNCB n’est pas exceptionnel. À l’armée, à la police et même dans l’enseignement – n’est-ce pas monsieur Matthijs ? – les statuts diffèrent des services publics ordinaires.

Un CEO, un Conseil d’administration et cinq directions

L’opinion de monsieur Matthijs n’est ni plus ni moins qu’un premier pas vers tous ceux qui veulent mettre fin le plus rapidement possible aux chemins de fer tels qu’on les connaît aujourd’hui. Ils rient sous cape aux perspectives des bénéfices que peut leur procurer une prochaine libéralisation. Conformément au parti de leur programme, ils veulent voir la SNCB historique s’effriter jusqu’à un minimum absolu.

Et que faire de la fonction principale que la SNCB exerce toujours en tant que prestataire de services public ? Doit-on laisser tous ces gens en rade ?

Non, pour amener le navire SNCB à bon port, on pourrait tenter de revenir à une structure intégrée avec un CEO, un Conseil d’administration et seulement cinq directions : Exploitation, Matériel roulant, Infrastructure, Personnel et Finances. Cet exercice permettrait déjà d’économiser des millions par an. Il faut subdiviser le service des Finances en une comptabilité Infrastructure et une comptabilité Exploitation afin de correspondre à la réglementation européenne qui n’exige pas de subdivision physique, mais comptable. Finalement, transférez le service qui attribue ces droits de passage et les indemnisations au gouvernement fédéral afin de garantir à terme l’indépendance absolue. Ensuite, appliquez des tarifs honnêtes aux droits de passage.

L’ancien CEO Marc Descheemaecker a affirmé un jour qu’un train de la SNCB, si l’on prend tous les coûts en compte, subit 1,5 euro de pertes par kilomètre roulé. On peut donc en conclure que si l’on fixait le coût du droit de passage (à présent 6,2 euros/km) à la moyenne européenne de 3 euros/km, le bénéfice moyen par kilomètre roulé s’élèverait en moyenne à 1,5 euro. Le service de voyageurs de la SNCB réaliserait donc des bénéfices au lieu de subir les pertes qui lui sont attribuées actuellement.

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