L’introduction des véhicules scanners a permis de doubler le nombre de contrôles : de 8,9 millions en 2019 à plus de 17 millions en 2020. © IsoPix

La ‘scancar’ ne manquera pas votre voiture : une machine à fric impitoyable… et injuste? (analyse)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La ‘scancar’, de plus en plus présente dans les grandes villes du pays, doit permettre un contrôle rapide et automatisé du stationnement. En théorie. Car en pratique, cette nouvelle technologie pose bien des problèmes : erreurs dans les redevances, discrimination envers les véhicules de personnes handicapées, ou encore manque de discernement entre les voitures classiques et celles avec dérogations… entre autres. Sans compter son coût à l’achat, exorbitant pour les communes. Focus sur les déboires d’une voiture à problèmes… et les pistes mises en place pour y remédier.

Et si l’outil qui devait tout rendre plus efficace ne faisait que compliquer les choses? La ‘scancar’ sillonne de plus en plus les grandes villes de Belgique. Ce véhicule équipé de caméras ANPR permet de contrôler le stationnement à distance. Avec sa technologie capable de reconnaître la plaque d’immatriculation, la ‘scancar’ est en mesure de déterminer instantanément si le véhicule est en ordre de stationnement, ou non. Sur papier, elle peut contrôler environ 1.200 voitures stationnées par heure. Soit jusqu’à 10.000 par jour. A titre de comparaison, un agent à pied contrôlera entre 450 et 500 véhicules par jour.

Sur papier, la différence d’efficacité est donc flagrante. La ‘scancar’ est censée verbaliser plus, et plus vite. Objectif : dissuader les fraudeurs, maximiser les revenus liés au stationnement, mais aussi contribuer indirectement au désengorgement automobile des grandes villes.

En théorie, donc, le véhicule semble être l’outil magique pour certaines villes : malgré un gros investissement au départ (on parle d’une valeur pouvant grimper jusqu’à 800.000 euros pour une voiture neuve, avec 80.000 euros d’entretien annuel), la rentabilité peut devenir dantesque, avec une main d’œuvre limitée.

Problèmes et confusions

Dans les faits, tout n’est pas si rose pour ce bijou technologique. Car, rapidement, les dysfonctionnements se sont accumulés au fur et à mesure que la ‘scancar’ s’implémentait dans certaines grandes villes du pays.

“Cette technologie est intéressante mais les problèmes constatés sur le terrain sont beaucoup trop nombreux: problèmes de logiciel; incapacité d’assurer le contrôle des cartes PMR ou des cartes de dérogation pour le personnel médical; incapacité à reconnaître des places de stationnement disposant d’une borne de recharge électrique ou de prendre en compte le stationnement des professionnels du bâtiment; de faire la différence entre un arrêt et un stationnement ou encore une absence de temps raisonnable pour se faire délivrer son ticket. Il n’y a pas eu de rodage sérieux de ces véhicules scanneurs….Ces dysfonctionnements doivent d’abord être réglés avant de poursuivre avec l’usage de cette technologie”, listait récemment la députée Anne-Charlotte d’Ursel (MR), présidente de la Commission mobilité au Parlement bruxellois.

Par ailleurs, la ‘scancar’ fait souvent l’objet de confusions quant à son rayon d’action. En réalité, elle se concentre uniquement sur le respect du stationnement payant. « Si vous êtes garés sur un trottoir, un passage piéton, ou un autre endroit interdit par le code de la route, ce n’est pas la ‘scancar’ qui va prendre votre plaque », précise Benoit Godart, porte-parole « sécurité routière » et « mobilité » de l’institut Vias. « La ‘scancar’ sanctionne uniquement des gens qui n’ont pas payé l’horodateur », précise-t-il.

La ‘scancar’ n’émet dès lors pas de contraventions, mais bien des redevances, comme l’explique Pierre Vassart, porte-parole de parking.brussels, l’agence bruxelloise du stationnement. « Pour les amendes liées à la ‘scancar’, on parle bien de redevances. Les contraventions sont appliquées par la police, qui sanctionne les fautes de roulage et/ou de stationnement. La redevance est simplement liée à la taxe communale qui donne le droit de se garer.»

Des déboires tous azimuts

Les témoignages et les exemples de défaillances liées à la ‘scancar’ sont légion. En voici un petit tour d’horizon.

A Charleroi, c’est le côté légal d’un tel véhicule qui a posé problème. Un récent jugement s’est attaqué au système, et il en conclut que la ‘scancar’, qui circule dans la ville depuis mai 2017, a été utilisée de façon illégale, selon un juge de paix, entre 2018 et 2020. Selon les informations de la Nouvelle Gazette, le véhicule ne respectait pas la nouvelle loi sur les caméras de surveillance entrée en vigueur le 25 mai 2018. La loi en question interdit l’usage de caméras cachées. Les caméras fixes ou mobiles doivent être signalées par un pictogramme.

A Mons, le prix d’achat de la ‘scancar’ a fortement divisé. La Ville a décidé d’en acquérir deux, avec un prix interpellant : environ 800.000 euros par voiture

Constatation identique du côté de Schaerbeek, où la question de la légalité de la ‘scancar’ y est également abordée. Le débat a divisé le conseil communal. A la base des discussions : cette même loi de 2018 relative à l’usage des images de vidéosurveillance dans l’espace public, qui oblige les communes à demander l’avis du conseil communal et de la zone de police avant d’utiliser des caméras en rue. Le PTB, qui plaide pour le remboursement de toutes les amendes perçues (l’activité de la scancar a commencé en 2020, soit après la loi de 2018), envisage d’en référer à la Région pour obtenir un avis juridique tiers.

A Liège, un problème d’identification avec les cartes riverains a beaucoup fait parler. Des centaines d’habitants ont reçu des amendes par erreur, fin 2021.

A Mons, le prix d’achat de la ‘scancar’ a fortement divisé. La Ville a décidé d’en acquérir deux, avec un prix interpellant : environ 800.000 euros par voiture, selon Sudinfo. Avec un entretien estimé à 80.000 euros par an. L’investissement porté par le collège communal a suscité de nombreuses interrogations.

A Uccle, le nombre d’infractions est passé de 31.000 en 2020, à 83.000 en 2021, selon la DH. Soit une augmentation de plus de 260%.

Dans la seule commune d’Ixelles, où les ‘scancars’ sont arrivés en 2019, 95.000 demandes de redevances ont été dressées en 3 mois. En raison de problèmes de logiciel, elles ont toutes dû être annulées. La commune a néanmoins multiplié par deux ses recettes entre 2018 et 2019, passant de 5 à 9 millions d’euros pour le stationnement.

A Genk, c’est un autre problème majeur qui a été remarqué: dans la ville limbourgeoise, les ‘scancars’ ne faisaient pas la différence entre une voiture qui s’arrête moins d’une minute et celle qui se gare vraiment. Un juge de paix de Genk a d’ailleurs donné raison à une personne victime du dysfonctionnement.

Enfin, la justice bruxelloise a estimé que les ‘scancars’ discriminent (indirectement) les personnes handicapées. C’est ce qu’a jugé le tribunal de première instance de Bruxelles le 2 mai. Le jugement a en effet conclu que les scancars n’étaient pas capables de détecter les cartes de stationnement des personnes handicapées, qui reçoivent dès lors des amendes alors qu’elles ont le droit de se garer gratuitement partout. L’Agence bruxelloise du stationnement, parking.brussels, a dû adapter ses pratiques en conséquences.

Comment sont traitées les redevances?

La ‘scancar’ détermine si les véhicules en stationnement sont en ordre de paiement. Tout passe via le screening des plaques d’immatriculation. Une fois réalisé, il permet de vérifier, dans une base de données, si le véhicule est en ordre de paiement. En plus du scannage, les véhicules sont tous photographiés. « Il y a six caméras, qui permettent de prendre des photos du véhicule sous différents angles et de le géolocaliser. Les photos sont envoyées à un desk central avec la géolocalisation et le minutage de la photo », détaille Pierre Vassart, porte-parole de parking.brussels. Une validation humaine est ensuite opérée par des employés, qui valident le constat (ou non) et envoient une redevance (ou pas). Seules les photos des véhicules qui ne sont pas en ordre sont envoyées.

« La redevance peut être annulée suite à la vérification humaine, sous certaines conditions : si une personne est à l’intérieur du véhicule, si un ticket a été pris à un horodateur à une heure très proche du passage de la scancar ou lorsqu’il y a une carte PMR présente dans le véhicule », liste Pierre Vassart, qui souligne l’efficacité de la voiture. « Une ‘scancar’ est capable de vérifier 1.200 véhicules par heure. A titre de comparaison, un steward à pied en vérifie 450-500 par jour. »

Combien coûte une ‘scancar’?

Le coût du véhicule peut aller jusqu’à 800.000 euros (comme c’est le cas pour les ‘scancars’ achetées par la Ville de Mons). Concernant parking.brussels, il s’agit d’un leasing, nous précise son porte-parole. « Un seul fournisseur gère tout le système : horodateurs, système informatique de gestion et véhicules. Le leasing d’un véhicule revient à environ 6.200 euros par mois. »

Quel chiffre d’affaires?

Si l’on se concentre sur Bruxelles uniquement, et pour les 10 communes bruxelloises où parking.brussels est gestionnaire, 8 ‘scancars’ sont en activité -Uccle et la Ville de Bruxelles en utilisent indépendamment de parking.brussels. Ce sont effet les communes font appel à la société de parking, et non l’inverse. Parking.brussels fait état d’un chiffre d’affaires de 32 millions d’euros en 2020.

Quid du discernement entre les voitures?

Plusieurs problèmes techniques liés à l’utilisation de la ‘scancar’ sont apparus au fil du temps (voire les exemples cités ci-dessus), notamment dans la reconnaissance des cartes de personnes à mobilité réduite, qui se voyaient infliger une redevance malgré leur droit de stationner gratuitement. Parking.brussels fut d’ailleurs condamné à fournir une réaction rapide face au problème. « Plusieurs initiatives sont prises, dit Pierre Vassart. « Il y a désormais un bouton PMR sous la page d’accueil de parking.brussels qui permet d’inscrire sa plaque d’immatriculation sur une liste blanche, afin d’être automatiquement identifié comme personne à mobilité réduite. En cas de contestation, la procédure a été facilitée. Les PMR ne sont pas obligées de payer une redevance avant de payer, comme c’est le cas pour les autres. Enfin, un bouton spécial PMR est en cours d’installation sur certains horodateurs. C’est une adaptation prioritaire et tout à fait légitime », explique le porte-parole de parking-brussels.

Quant aux personnes dont la profession demande un stationnement régulier dans la ville (bâtiment, médical, etc.), il existe des cartes de dérogation: parking.brussels en délivre. Cependant, tout dépend de la commune: certaines n’ont pas de cartes professionnelles. 

La ‘scancar’ est-elle légale?

L’utilisation de la ‘scancar’ se retrouve régulièrement confrontée à la loi ‘caméra’ de 2018 (voir ci-dessus). Concernant la région bruxelloise, une nouvelle ordonnance stationnement est en cours d’élaboration. «Cette version modifiée a pour but de revoir la législation et l’adapter à l’utilisation de la ‘scancar’ en rue. La législation actuelle est obsolète », selon le porte-parole de parking.brussels.

Quelle marge d’erreur?

« On a eu beaucoup de problèmes durant le lancement de la ‘scancar’, en avril 2019 », reconnaît Pierre Vassart. « Des difficultés liées à cette nouvelle technologie. Par exemple, des redevances étaient bloquées dans le système d’envoi de courrier. Après le déblocage, des personnes ont reçu 20 ou 30 redevances d’un seul coup, qui ont évidemment été annulées. Les débuts étaient donc très difficiles », admet-il. Mais, selon le porte-parole, les choses évoluent et la marge d’erreur d’une ‘scancar’ se réduit. Selon lui, elle se situe entre 1 et 2%. « Le nombre de réclamations et de gens mécontents n’est pas si élevé. La ‘scancar’ n’est pas populaire car elle est très efficace. »

« Est-ce que le système est juste ? » s’interroge Benoit Godart, porte-parole de l’institut Vias. « Disons qu’il est plutôt impitoyable, on le constate au nombre de plaintes que l’on reçoit. Pour les communes c’est un jackpot. Mais les voitures utilisées commettent encore des erreurs, et c’est tout le nœud du problème. Il y a une certaine injustice. D’un autre côté, il faut que les communes perçoivent cet impôt. »

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