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La RTBF et le « cordon élastique »

Muriel Lefevre

Alors qu’en Flandre, ce dernier n’est presque plus qu’un lointain souvenir, en Belgique francophone il existe encore ce qu’on appelle un « cordon médiatique » autour du Vlaams Belang. Pour certains, la RTBF se serait montrée trop flexible ce dimanche.

Les politiciens du Vlaams Belang ont, pour l’instant, encore un statut particulier dans les journaux francophones : on écrit beaucoup de choses sur eux, mais ils n’ont pas droit de parole. A la RTBF aussi, on ne traite pas les personnalités politiques du Vlaams Belang comme les autres politiciens. Ils ne sont pas invités pour les débats et n’étaient pas non plus interviewés en direct lors de la soirée électorale de dimanche. Une interview de Filip Dewinter sera pourtant diffusée lors du Grand direct. Détail subtil, il ne s’agissait pas d’un vrai direct, mais d’un léger différé comme l’indiquait un bandeau. Un point que François De Brigode prendra encore la peine de préciser par la suite. Tom Van Grieken aura droit au même traitement un peu plus tard.

Malgré les pincettes et les précisions, ces interviews vont choquer de nombreux téléspectateurs. Ce qui va également choquer certains téléspectateurs, c’est que le PTB-PVDA n’aura pas droit au même traitement puisque lui aura droit au vrai direct et à être présent pour des débats. Par exemple, dit le Standaard, le fait que la chaise de Peter Mertens soit restée vide mercredi dernier lors du débat présidentiel à la RTBF n’était pas une question de cordon, mais de timing : Mertens a considéré qu’un débat avec Maggie De Block était plus important et Raoul Hedebouw, figure de proue francophone, ne pouvait y participer puisqu’il n’est pas président. On notera que Mertens ne sera pas non plus présent à la VRT pour le débat entre présidents. Mais ce ne sera, là encore, pas à cause du cordon, puisque seuls les partis flamands représentés au parlement étaient autorisés à y participer.

Un cordon médiatique qui n’existe plus vraiment en Flandre

Le cordon sanitaire est balayé depuis longtemps dans les médias flamands. « Car si les membres du Vlaams Belang restent persona non grata dans les émissions de divertissement de la VRT, leur président Tom Van Grieken a participé à l’émission De Grote Karrewiet Verkiezingsshow, diffusée sur la chaîne pour enfants de la VRT Ketnet. Entre-temps, les journalistes politiques de tous les médias flamands traitent à peu près le Vlaams Belang comme un parti comme les autres, tandis que les services commerciaux de ces sociétés de médias continuent à bloquer les publicités du parti. Dans les années 1990, les médias ont beaucoup réfléchi, peut-être trop, à leurs relations avec le Vlaams Blok, mais maintenant ils n’en parlent plus du tout. Les décisions sont prises de manière purement intuitive. » dit Peter Casteels du Knack.

Lire aussi : Comment les médias flamands ont fait sauter le cordon médiatique autour du Vlaams Belang

Visiblement, on n’en est pas là du côté francophone. Pour preuve, face à l’importance des remous, la RTBF s’est sentie obligée de préciser et d’expliquer sa politique éditoriale dans un long article publié sur son site Internet lundi soir sous le titre « PTB et Vlaams Belang sur nos antennes : un cordon sanitaire élastique ? » « Ce n’est pas un problème d’extrême » dit ainsi Jean-Pierre Jacqmin, le directeur de l’Information. « Ce sont les propos racistes ou discriminants, des propos sanctionnés comme des délits par la Loi Moureaux. Une règle qui veut que nous ne recevions pas en direct et en débat des personnes qui appartiennent à des partis, des mouvements, des associations qui profèrent des propos discriminants, que ce soit en fonction de la prétendue race, du genre, de la culture. »

Le cordon sanitaire a été adopté dès 1991 par la RTBF qui a estimé que « l’extrême droite était dangereuse pour la démocratie et qu’il était important de ne pas ouvrir l’antenne du service public à des partis non respectueux de la démocratie. Depuis, le paysage politique a continué à évoluer et cette volonté s’est maintenue. »

« Faut-il dès lors étendre le cordon sanitaire médiatique au PTB ? », se demande encore la RTBF. Depuis 1999 la RTBF peut elle-même déterminer si un parti respecte les valeurs démocratiques fondamentales en épluchant le programme des partis politiques et les déclarations des mandataires politiques. « Par exemple, s’il y a des indications d’hostilité manifeste et répétée à l’encontre des valeurs fondamentales de la démocratie. » Toujours selon la RTBF, Le PTB aurait passé l’examen sans encombre et peut donc, contrairement au Vlaams Belang, être interviewé en direct. Une analyse partagée par Jean Faniel, directeur général du CRISP, est-il encore précisé sur le site: « j’ estime qu’on ne peut pas dire, à ce stade, en l’état de ce que l’on connaît du PTB, que ce soit un parti non démocratique ».

Le différé, une manoeuvre hypocrite ?

« Si la rédaction se donne un délai avant de diffuser une interview d’un représentant de l’extrême droite, c’est pour se donner le temps d’écouter attentivement ce qui est dit et de décider si, oui ou non, les propos peuvent être diffusés et ne sont pas contraire à la loi », dit encore la RTBF. « L’idée est aussi d’éviter d’offrir une tribune, en se donnant la possibilité d’encadrer, de décoder et de contextualiser les propos tenus. »

« Si les interviews sont tout de même diffusées, c’est parce que « le Vlaams Belang, deuxième parti de Flandre et de Belgique, est un fait d’actu », souligne Thomas Gadisseux, responsable éditorial Politique. « On doit pouvoir décoder ce fait d’actu et donner la parole à ces acteurs-là. D’autant plus que ces acteurs, cette jeune génération, incarnent une partie du succès. Ce pour quoi ça a fonctionné et ce pour quoi l’extrême droite perce, c’est parce qu’elle a trouvé de nouveaux visages pour mettre du vernis sur les vieilles méthodes fascistes et d’extrême droite ». Un vernis que la RTBF compte bien « continuer à gratter » est-il encore précisé , « y compris par le biais d’interviews. »

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