Anja Meulenbelt

La résurrection du féminisme : « La tolérance vis-à-vis des violences faites aux femmes est toujours terriblement grande »

Anja Meulenbelt Anja Meulenbelt

« Combien de temps allons-nous encore ignorer qu’il y a 43 000 viols par an en Belgique » se demande la féministe Anja Meulenbelt.

Le revirement a eu lieu après « Cologne ». La nuit du réveillon de Nouvel An de l’année dernière, il s’est avéré que la violence contre les femmes – une question presque oubliée, mais urgente – est devenue un jouet politique de la droite populiste. Récapitulons. La nuit de la Saint-Sylvestre, des femmes ont été agressées devant la gare de Cologne. Les auteurs, a-t-on raconté, étaient des hommes « d’apparence nord-africaine ». Les rumeurs ont commencé à circuler : c’étaient sûrement des demandeurs d’asile, des réfugiés à peine arrivés de pays islamiques. Le politique néerlandais Geert Wilders a immédiatement prétendu qu’à présent on voyait le danger de laisser entrer ces « bombes de testostérone ». « Nos » femmes n’étaient plus en sécurité.

La réalité était un peu plus nuancée. Ce n’étaient pas des demandeurs d’asile. C’étaient des hommes d’origines diverses, entre autres nord-africaine, qui une fois arrivés en Allemagne, se réunissaient en bandes. Ils se spécialisaient en vol de sacs à main, en utilisant une technique spéciale. Dans la masse, ils tâtaient les femmes qui de peur oubliaient de veiller à leurs effets. Une méthode efficace connue de la police. Seulement, c’était la première fois qu’autant d’hommes à la fois attaquaient. Et que les agressions fassent la une des médias.

Ce sont là les faits : depuis le début de la deuxième vague féministe, l’attention pour les violences sexuelles contre les femmes a augmenté, mais la violence n’a pas diminué. « Nos femmes » ne doivent pas seulement se défendre contre des hommes étrangers, mais aussi bien contre « nos hommes ». Pire : la majorité des femmes violées ou agressées sexuellement connaissent l’auteur. C’est chez elle que les femmes sont le moins en sécurité.

Cette constatation contrecarre l’image véhiculée par la droite populiste. Dans cette image, les femmes de notre culture supérieure sont déjà égales aux hommes, et les hommes de pays islamiques ne l’ont pas encore compris. Donc il fallait enseigner sur-le-champ aux migrants et aux réfugiés que ce n’est pas ainsi qu’on traite les femmes. Seulement, c’est bel et bien ainsi que nous traitons les femmes.

Quand on parle de notre culture, on part d’une image idéale : nous sommes éclairés, les homosexuels et les femmes jouissent de droits égaux. Nous les mettons face à la réalité misogyne d’autres pays où les femmes sont lapidées ou mutilées. Ce que nous ne faisons pas, c’est mettre l’idéalisation de l’islam, qui est principalement pacifique, contre la réalité plus désagréable d’ici : la réalité qui montre qu’aux Pays-Bas et en Belgique, on tabasse et viole allègrement. Et que dans la Bible, on lapide beaucoup alors que cette pratique ne figure nulle part dans le Coran.

Comme un poisson sera le dernier à comprendre qu’il nage dans l’eau, nous avons du mal à reconnaître que « ces autres » ne sont pas les seuls à avoir une culture qui mène la vie dure aux femmes. J’ai affirmé quelques fois que la révolution sexuelle qui a accompagné la vague féministe donnait le droit aux femmes de dire « oui » à la sexualité libre, mais nous a privées de l’ancien droit de dire « non ».

On ne veut pas savoir que chez nous aussi, il y a une culture du viol

Notre image d’une société éclairée, dans laquelle le féminisme est une notion d’autrefois, fait qu’on ne veut pas savoir qu’il y a 43 000 viols par an en Belgique. Qu’on ne veut pas savoir que chez nous aussi, il y a une culture du viol qui commence par l’objectification commerciale en apparence innocente du corps féminin, la musique pop agressive, les garçons qui trouvent normal de juger les filles sur leur « baisabilité », des filles qu’on incite à être sexy et à qui on reproche ensuite de ne pas réussir à retenir un garçon qui les raccompagne chez elles, parce qu’il ne comprend toujours pas que « non » c’est vraiment « non ».

Il est grand temps de travailler à la conscientisation des hommes. Les hommes ordinaires, blancs et autochtones et pas seulement « les étrangers » dont nos politiciens estiment qu’ils doivent apprendre comment traiter les femmes dans notre pays.

En d’autres termes : les femmes ne peuvent compter sur une protection que si elles si les auteurs sont de couleur. C’est là mon cauchemar : que la peur blanche qui s’accompagne de misogynie et de racisme se voit doter d’un pouvoir politique. Comme Donald Trump qui trouvait que les Mexicains étaient des violeurs, mais qui s’autorisait à « grab the women by their pussy » et qui a été élu président par une majorité d’hommes blancs et malheureusement aussi de femmes blanches.

Mais il y a aussi d’autres hommes. Des hommes qui donnent une interprétation solidaire à l’idée traditionnelle que les hommes doivent protéger les femmes. Des hommes qui manifestent contre les violences contre les femmes. Jens Van Tricht, un pionnier néerlandais en matière d’émancipation masculine l’a très bien expliqué : « Le féminisme a besoin d’hommes pour un monde plus juste, et les hommes ont besoin du féminisme pour une meilleure vie. »

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