Selon le politologue, le PS (ici, Laurette Onkelinx et Rudi Vervoort) " ne risque pas l'implosion ". © LAURIE DIEFFEMBACQ/belgaimage

« La question migratoire a pris tant d’importance parce que la gauche n’a pas mené les combats matériel et culturel « 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Si la question migratoire a pris autant d’importance dans les débats contemporains, c’est, dit le politologue Pascal Delwit (ULB), parce que les partis de gauche ont renoncé à leurs fondamentaux socio-économiques et ont laissé la droite dicter l’agenda culturel et médiatique. Interview.

Les débats d’aujourd’hui sur l’identité et sur les migrations ne signent-ils pas l’installation d’un nouveau clivage dans nos systèmes politiques ?

Une chose est d’observer des acteurs par ailleurs universalistes ou par ailleurs ethnocentristes, une autre est d’observer s’il s’agit de leur identité première. Prenons l’extrême droite par exemple : est-elle d’abord ethnocentrique ou animée par une vision de la nation comme entité fermée, biologisante ? Cela n’aurait rien de spécialement nouveau…

Peut-on comparer ce que fait la N-VA aux libéraux de 1961, qui avaient abandonné le combat laïc pour se focaliser sur les questions économiques ? Bascule-t-elle vers un autre versant ?

Je défends plutôt que c’est un positionnement électoral réel, mais pas son identité première…

Comment la détermine-t-on ?

Par ce que le parti dit de lui-même, et par ce pourquoi les gens viennent au parti. Quand on étudie les adhérents des partis d’extrême droite, leur première raison est nationaliste, pas ethnocentriste. Bien sûr, l’ethnocentrisme s’agence au nationalisme, mais il vient en second lieu. La première raison pour laquelle on penche vers un parti socialiste, c’est la question sociale. Celle qui mobilise vers les libéraux est fiscale, environnementale vers les écologistes, etc. La N-VA voit le jour en 2002 sur une double posture, à droite sur les questions socio-économiques, et indépendantiste par rapport au cadre belge. Ces deux éléments l’identifient encore très fort auprès des adhérents et des électeurs, même si elle affiche une posture très ethnocentriste. A l’échelle européenne, la N-VA, comme l’OVP en Autriche et la CSU en Bavière, est un parti nationaliste conservateur, qui est aussi ethnocentrique.

Le fait que Theo Francken dépasse Bart De Wever dans les sondages n’est-il pas pourtant un signe du basculement de l’indépendantisme vers l’ethnocentrisme ?

Pascal Delwit :
Pascal Delwit :  » Il est invraisemblable que la question des migrants éclipse toutes les autres. « © hatim kaghat/id photo agency

N’oublions pas qu’une part de l’histoire du nationalisme flamand témoigne d’une relation parfois ambivalente avec la démocratie… Francken fait partie de ceux qui se trouvent à ces confins. Mais il faut distinguer le conjoncturel du structurel : à un moment, Maggie De Block se trouvait bien plus haut que Theo Francken dans les sondages. Cela illustre donc que la thématique parle, en Flandre et en Wallonie. Mais ça n’empêche pas qu’en Wallonie, le Parti populaire n’ait fait que 4,5 % des voix plutôt que 25 %.

Des partis sont-ils aujourd’hui menacés d’explosion sur cette question migratoire, comme d’autres se scindèrent sur la question sociale ou linguistique ?

Les verts en sont exonérés, car ils ont très peu d’électeurs susceptibles de voter pour un parti ethnocentriste. Il y a des tensions chez les socialistes, mais elles touchent plus à des segments territoriaux : dans l’espace francophone belge, il y a des sensibilités différentes entre PS bruxellois et PS wallon, pour être schématique. Mais, pour autant, je n’y vois pas de risque d’implosion. Peut-être que la formation la plus susceptible de traverser des moments difficiles est le MR. Il est devenu, au sens scientifique du terme, le parti conservateur du système francophone, et il l’assume, comme lorsque Charles Michel dit que ce n’est pas son parti qui suit la N-VA mais l’inverse. Cela peut créer un certain trouble tandis que DéFI joue la carte du libéralisme humaniste. Le positionnement dur du MR comporte à ce titre un certain risque.

A gauche, le sociologue Mark Elchardus recommande au SP.A la ligne flinks, contraction de flink (dur) et de links (de gauche), pour ne pas perdre un électorat populaire tenté par l’ethnocentrisme…

Cette ligne est appliquée depuis vingt ans par le SP.A, qui est à son minimum historique… Le débat qu’Elchardus pose ramène à une problématique importante. Si les partis sociaux-démocrates restent fixés sur la question socio-économique, une partie de la compétition politique se jouera sur ce terrain. Si, comme ça s’est largement passé ces quinze dernières années, l’apport social-démocrate sur les questions socio-économiques est trop peu perceptible, le corps électoral ne se fixe plus sur ce clivage-là. Aux Pays-Bas, le PVDA est passé de 25 % en 2012 sur une ligne socio-économique à 5 % en 2017 après avoir échoué à apporter la moindre touche sociale au gouvernement… Si un parti n’apporte pas de valeur ajoutée sur son clivage de référence, il perd tout motif de vote, d’adhésion et de campagne. Pourquoi encore voter pour lui ?

Le PTB est taxé de double discours sur ces questions, entre un public issu de la diversité et une vieille classe ouvrière blanche. N’est-ce pas un exemple efficace de focalisation sur ce « core business » ?

L’identité première du PTB est clairement sur le versant travailleur du clivage possédants-travailleurs, dans une perspective de rupture. Que dans son corps électoral, il y ait des tensions, oui, il y en a. Mais on les retrouve déjà dans les débats de la deuxième internationale, à la fin du dix-neuvième siècle ! Le travail du PTB, comme celui du PS, c’est de montrer que la question sociale est la question première. S’ils y parviennent, ils peuvent combiner cette fixation sur la question sociale, même avec des franges d’électorat populaire tentées par l’ethnocentrisme, avec un discours de conviction universaliste. Le PTB est historiquement très universaliste, mais a bien compris que c’était une question génératrice de tensions. Il est donc silencieux, sauf quand on l’interroge, et il agit sur le terrain, via des associations périphériques, mais il sait que le sujet est délicat.

Quand Bart De Wever pose l’alternative entre frontières ouvertes et Etat providence, il force la gauche à se positionner sur ce sujet délicat…

C’est l’angle pris par l’extrême droite scandinave. Elle prône le  » Welfare chauvinism  » : oui à la sécurité sociale, mais uniquement pour les vrais nationaux. Ce discours-là existe pour deux raisons. Premièrement, les partis de gauche ne sont plus parvenus à marquer une différence sur la question sociale. Et deuxièmement, ils n’ont pas mené le combat culturel. L’agenda est dominé par les idées et les questions de droite. Allez, l’impact de la question environnementale n’est-il pas aussi important que celui de la question migratoire ? Et celui des inégalités économiques ? N’avoir pas voulu influer sur cet agenda fait, qu’aujourd’hui, beaucoup de gens considèrent que l’actualité se résume à la question des migrants. Je ne nie pas que ce sujet relève d’une activité brûlante, mais il est invraisemblable qu’il éclipse tous les autres.

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