Els Witte

La question linguistique belge

Un ouvrage récemment paru (1) analyse la question linguistique belge dans une perspective historique en privilégiant, entre autres, l’angle sociolinguistique.

Par Els Witte, Historienne, recteur honoraire de la VUB, membre de L’académie royale flamande de Belgique.

Jusqu’au début du siècle passé, le français fut la langue de prestige de l’élite. Le néerlandais ne fut reconnu ni comme langue de la culture et des sciences, ni comme langue officielle et fut plutôt associé au phénomène de la pauvreté et à l’indigence intellectuelle. La francisation de nombreux Flamands, et surtout de Bruxellois, en fut la conséquence. Le Mouvement flamand a donc engagé une rude bataille en faveur de l’équivalence et de la réciprocité du néerlandais et du français. Dans une première phase, il s’est appuyé sur sa situation de force, grandie avec la démocratisation, en vue de l’adoption de lois linguistiques protectrices pour la Flandre. En dépit de l’immigration de milliers d’ouvriers flamands, les francophones ont maintenu coûte que coûte l’homogénéité linguistique de la Wallonie et n’étaient pas du tout disposés à autoriser l’apprentissage d’une langue « moins éclatante » que la leur. Or en 1932 a été conclu un compromis qui consistait à accepter le principe de la territorialité : chaque région demeurait homogène sur le plan linguistique et Bruxelles se voyait attribuer un statut bilingue. Parce que, pour les néerlandophones, la frontière linguistique délimitait une security area, elle se devait d’être sacrée. Cette position fondée sur la notion de frontière ne pouvait s’accorder avec la demande francophone de droits linguistiques pour ceux qui s’établissaient dans les régions frontalières et surtout dans les communes flamandes de la périphérie bruxelloise, censées constituer la zone d’extension démographique naturelle de la capitale. On sait que, jusqu’à nos jours, ces points de vue divergents persistent dans le dossier BHV.

Mais l’angle sociolinguistique fait aussi apparaître que la situation d’une langue subit de profonds changements parallèlement au statut socio-économique et sociopolitique des locuteurs de cette langue, au fur à mesure que celui-ci s’élève. Le néerlandais, la langue de la majorité flamande prospère du pays, n’est plus une langue de rang inférieur en Belgique. Les francophones de Wallonie adoptent une tout autre attitude envers le néerlandais. Témoin, presque la moitié des élèves de l’enseignement secondaire choisissent le néerlandais comme deuxième langue, le nombre d’écoles d’immersion (français-néerlandais) ne cesse de se développer, le secteur touristique est aux petits soins des cohortes de visiteurs et d’immigrants néerlandophones (tant flamands que néerlandais), une cinquantaine de communes participent au projet wallon offrant des facilités aux néerlandophones sur Internet, et les entreprises, elles aussi, insistent sur l’importance de la connaissance du néerlandais. Cette élévation du statut du néerlandais est également très perceptible à Bruxelles. Le nombre d’immigrants flamands n’y augmente certes pas, mais celui des néerlandophones a bel et bien le vent en poupe. Le dernier baromètre linguistique montre que 30 % des Bruxellois avouent parler le néerlandais et le comprendre, l’enseignement néerlandophone attire 20 % de la population scolaire, et en journée, quand 250 000 navetteurs flamands sont présents dans la capitale, les tonalités néerlandaises y sont très fortement audibles. A Bruxelles, le néerlandais n’est pas une langue minoritaire parmi d’autres, comme certains politiciens francophones bruxellois voudraient encore le faire croire.

(1) Els Witte & Harry Van Velthoven, Strijden om taal. De Belgische taalkwestiein historisch perspectief. Uitgeverij Perckmans, Kapellen, 2010.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire