Frank Brichau

La prolongation de Doel 1 et 2 marque un retour en arrière de 10 ans : 4 mythes mis à mal

Frank Brichau CEO essent.be

En marge de la COP21 à Paris, il s’est produit un accord entre la ministre Marghem et Electrabel sur la prolongation de Doel 1 et 2. L’échéance a été tenue de toute justesse. Certains peuvent penser que c’est une bonne chose : nos gouvernements fédéral et régionaux ne sont certes pas encore parvenus à un accord sur le climat, mais au moins la ministre est arrivée à conclure un accord sur les centrales nucléaires.

Toutefois, cet accord est tout sauf une bonne chose. À l’exception du timing, il n’y a à première vue aucun lien avec le sommet sur le climat de Paris, mais, à y regarder de plus près, on constate que cet accord menace gravement une politique d’avenir visant à réduire les émissions de CO2. Cette prolongation de 2 vieilles centrales nucléaires est une occasion manquée d’amorcer l’indispensable transition énergétique. Cet accord signifie un retour de dix ans en arrière et masque un manque flagrant et douloureux de vision quant à ce que devrait être la politique belge de l’énergie.

Certaines des raisons qui ont conduit à prolonger Doel 1 et 2 sont en effet de véritables mythes.

1) Doel 1 & 2 sont indispensables pour la sécurité d’approvisionnement de notre pays

FAUX. La Belgique est un petit pays qui compte de nombreuses industries et de nombreux habitants, cela n’a donc pas de sens de se cantonner aux frontières nationales pour notre approvisionnement.

Si Doel 1 et 2 s’arrêtent, cela permettra d’importer plus de capacité flexible depuis les Pays-Bas via Zandvliet. Flexibilité de capacité veut dire que vous pouvez activer et désactiver ces centrales selon les besoins, et c’est essentiel si nous voulons opérer la transition vers des énergies vertes. Cela vous permet de pallier rapidement un manque de vent ou de soleil. Quelques adaptations techniques mineures permettent de faire entrer quelque 1000 MW supplémentaires dans notre pays via Zandvliet, ce qui représente plus que Doel 1 et Doel 2 réunies.

Sous l’angle de la sécurité d’approvisionnement, la prolongation de la durée de vie de Doel 1 et 2 n’a donc aucun sens.

2) Doel 1 & 2 sont nécessaires parce que la capacité étrangère diminue

FAUX. Il y a encore suffisamment de capacité déployée dans nos pays avoisinants. Qui plus est, dans les années à venir, deux lignes d’interconnexion seront mises en service, qui simplifieront encore le transfert d’électricité. La ligne Alegro nous reliera avec l’Allemagne, tandis que la ligne Nemo est constituée de câbles souterrains et sous-marins entre la Belgique et le Royaume-Uni.

La crainte d’un manque de capacité énergétique devrait constituer une raison non pas de maintenir deux vieilles centrales peu flexibles en activité, mais de finalement mettre en place un mécanisme garantissant la disponibilité de la capacité nécessaire sur le marché, y compris en cas d’absence de vent et de soleil. C’est le seul moyen de garantir une flexibilité de capacité sur le marché.

En attendant un tel mécanisme de capacité, il est moins onéreux, et il est préférable, par exemple, de coupler au réseau belge la centrale au gaz hyperflexible et hypermoderne Claus C située à Maasbracht, aux Pays-Bas.

3) Doel 1 & 2 sont nécessaires pour maintenir les prix à un niveau acceptable

FAUX. La réouverture de Tihange 2 et de Doel 3 a fait diminuer les prix, mais vous ne pouvez pas appliquer linéairement le raisonnement aux 800 MW de capacité nucléaire de Doel 1 et 2 qui viendraient s’y ajouter. Si ces vieilles centrales étaient appelées à disparaître, cela serait de toute manière compensé par une importation de capacité flexible. Cette électricité est souvent meilleur marché, parce qu’elle provient d’électricité verte subventionnée en Allemagne. Il y a quelques mois, Wouter De Geest (CEO de BASF, et président d’Essenscia) plaidait encore, dans une interview, pour une utilisation maximale de cette électricité allemande.

4) Doel 1 & 2 sont nécessaires pour émettre moins de CO2

La décision de maintenir Doel 1 et 2 en activité pendant dix années supplémentaires conduit à un ralentissement de 5 à 10 ans de la transition énergétique. L’énergie nucléaire émet en effet peu de CO2. Mais cela s’arrête là. Il y a des objectifs politiques non seulement pour une réduction du CO2, mais aussi pour plus d’énergies renouvelables. De grandes quantités d’énergie nucléaire sans aucune flexibilité combinées à de l’énergie renouvelable, cela n’est pas compatible. Les centrales nucléaires ne peuvent pas être mises en service et hors service rapidement. C’est problématique en cas d’insuffisance de vent ou de soleil, mais que les choses soient claires : la surabondance de vent et de soleil pose également un problème avec de vieilles centrales nucléaires.

Les entreprises du secteur de l’énergie renouvelable craignent que la réouverture de Doel 1 et 2 ne mette sous pression la rentabilité des investissements projetés et puisse même conduire à une situation où les éoliennes doivent être déconnectées pendant la nuit.

Il est temps aujourd’hui de passer vraiment à la transition énergétique, conformément à l’accord de gouvernement : une transition où les centrales flexibles servent de back-up aux ressources renouvelables et où les producteurs sont rémunérés pour la capacité qu’ils mettent à disposition.

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