Tom Van Grieken (Vlaams Belang), John Crombez (SP.A), Kristof Calvo (Groen) et Laurette Onkelinx (PS) © Serge Baeken

La pire opposition de ces 25 dernières années

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

« Le meilleur gouvernement de ces vingt-cinq dernières années », c’est ce qu’affirme Charles Michel au sujet de sa coalition suédoise. Il est vrai qu’on ne peut pas dire que l’opposition crée beaucoup de difficultés à l’équipe du Premier ministre. Les socialistes sont empêtrés dans leurs problèmes, et malgré leur rhétorique, les petits partis manquent de véritable force d’impact.

Au début de ce mandat, en octobre 2014, c’est surtout la presse francophone qui parle de « gouvernement kamikaze », un cabinet impossible dont la chute rapide est inévitable. Il y a trois ans, le gouvernement de Charles Michel (MR) chancelle le premier jour de son débat d’investiture suite à l’intervention de Laurette Onkelinx (PS) – Laurette Mitraillette.

L’ancienne vice-Première ministre et ministre fédérale de la Santé Publique, de l’Emploi, de la Justice et des Affaires sociales (entre autres) possède plus d’expérience que tous les nouveaux venus réunis dans les bancs du gouvernement. Ils l’apprennent à leurs dépens. Avant même le discours inaugural du Premier ministre, la cheffe de groupe du plus grand parti d’opposition du parti monte en chaire pour s’en prendre violemment à deux membres du gouvernement : « Le bruit des bottes résonne dans votre gouvernement ». La canonnade d’Onkelinx est dirigée contre deux toutes nouvelles excellences N-VA, le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken et le ministre de l’Intérieur Jan Jambon. Avec son attaque, elle veut frapper le nouveau gouvernement avant même qu’il reçoive la confiance. Cependant, Theo Francken s’excuse une première fois, et le gouvernement se maintient.

C’est, rétrospectivement, l’exercice d’un scénario qui se répétera souvent. Après une erreur politique, il y a des excuses et c’est tout. Du coup, le gouvernement a toute liberté d’agir, et l’opposition impressionne de moins en moins – d’autant plus que Francken s’excuse uniquement quand les politiques de sa majorité le demandent – non quand c’est l’opposition qui l’exige.

À l’automne 2014, l’opposition espère encore une rapide lutte finale. Cette partie de bras de fer aurait surtout lieu dans la rue, et non seulement dans la Chambre. La Wallonie se mobilise rapidement contre un gouvernement fédéral doté d’un Premier ministre francophone et placé sous curatelle flamande. Les syndicats veulent se débarrasser d’un gouvernement qui a instauré le saut d’index et qui a durci sa position envers les chômeurs et les pensionnés. Ils n’en sont pas à leur coup d’essai. En 1977, leurs grèves du vendredi font tomber le gouvernement Tindemans I : dans le cabinet suivant, Tindemans II, les libéraux font place aux socialistes. Cette tradition de lutte ne cache pas que la grande majorité des tentatives destinées à faire tomber des gouvernements à coup de manifestations, ou de les faire changer radicalement de cap, échouent. En 1993, Jean-Luc Dehaene (CVP) affronte une grève générale contre son Plan Global. En 2005, Guy Verhofstadt (VLD) tient bon quand les syndicats se dressent contre son Pacte de solidarité entre les générations. Et en 2012, Elio Di Rupo (PS) ne bronche pas quand le front syndical se retourne contre le Premier socialiste en quarante ans.

Les manifestations syndicales contre le gouvernement Michel sont également prisonnières de leur prévisibilité. Certes, le 6 novembre 2014, la mobilisation pour la première manifestation contre la politique conservatrice de droite est impressionnante. Mais toute la bonne volonté possible disparaît le même jour, avec les premières images de voitures brûlées à Bruxelles-Midi. En vain, les syndicats se distancient des chahuteurs : jusqu’à aujourd’hui, on continue à identifier la FGTB aux violences de rue. Et puis il y a les images désastreuses de la Secrétaire régionale Raymonde Le Lepvrier lançant des vêtements dans un magasin et rabrouant le personnel.

Suite à un barrage à hauteur du pont de Cheratte un patient meurt parce que l’ambulance n’atteint pas l’hôpital à temps. Et à la fin de la grande manifestation de Bruxelles, le 24 mai, un manifestant excité terrasse le commissaire de police Pierre Vandersmissen. Les actions syndicales perdent leur légitimité.

Et c’est ainsi que l' »automne chaud » de 2014 entre dans l’histoire comme une césure dans les protestations syndicales. Même en Wallonie, le soutien public pour les actions de grève baisse fortement. Les protestations syndicales ratées mènent à une inversion des rapports : soudain, c’est l’opposition qui doit se justifier et la majorité qui attaque, surfant sur une vague de faveur populaire.

Les gouvernements ne redoutent-ils pas la rue? Tout de même. Les manifestations anti-missiles des années quatre-vingts frappent toujours l’imagination, avec leurs centaines de milliers de participants de la vie associative flamande : les protestations ne viennent pas uniquement des usual suspects de « l’église progressiste », loin de là. Dans les années nonante, à l’époque de l’affaire Dutroux, les bases semblent présentes pour des protestations analogues et largement soutenues : l’initiative citoyenne « Hart boven Hard » se profile comme un mouvement citoyen qui défend d’abord une société plus juste et pour cette raison proteste contre la politique du gouvernement. Au début le message semble prendre, mais entre-temps le moment propice semble avoir disparu d’autant plus que le parti peut difficilement nier « qu’il s’appuie sur environ la même base que les syndicats.

« Je suis Charlie »

À partir de 2015, le gouvernement fédéral canalise beaucoup d’insatisfaction sociétale. Le premier politique à voir les caméras braquées sur lui lors d’une manifestation est le Premier ministre lui-même, quand 1,5 million de personnes protestent contre les attentats contre Charlie Hebdo et un supermarché juif. Aux côtés du président français François Hollande, de la chancelière allemande Angela Merkel, et du Premier ministre britannique David Cameron. « Je suis Charlie », déclare Charles Michel – allez un peu le contredire.

Quand le terrorisme touche Zaventem et Bruxelles le 22 mars 2016, les thèmes de la sécurité, du terrorisme, et de l’extrémisme musulman prennent le dessus, auxquels s’ajoute la crise de réfugiés. Le gouvernement incarne la protection de tout ce qui « nous » est cher, l’opposition ne peut que rejoindre le consensus instantané. Au lieu d’attaquer le gouvernement sur sa politique défaillante, les partis de gauche doivent se justifier, certainement après qu’il s’avère qu’un certain nombre de terroristes viennent de Molenbeek : soudain le terrorisme islamique relève en partie de la responsabilité de l’ancien bourgmestre Philippe Moureaux – et donc du PS, et donc de toute la gauche progressive. À nouveau, la majorité force l’opposition dans le rôle de « gibier traqué ». C’est ce que révèlent aussi les sondages : d’abord présentés comme des demi-fascistes Theo Francken et Jan Jambon caracolent en tête. Le dernier sondage Le Soir, Het Laatste Nieuws, RTL et VTM révèle même qu’en Wallonie Francken est plus populaire que Laurette Onkelinx et Elio Di Rupo, une humiliation publique pour la direction du PS et la faillite visible de leur stratégie d’opposition.

En politique, les sondages ne déterminent pas uniquement le sentiment général de bien-être et de malaise. Ils décident de la hiérarchie. Même sans les sondages excellents pour le PTB, le député Raoul Hedebouw serait doué en débats, mais ses fulgurances et bon mots feraient sans doute moins rire la presse et le public. Pour Barbara Pas, cheffe de groupe du Vlaams Belang, c’est l’inverse qui vaut. Alors que les clubs radicaux flamands la promeuvent comme grande dame du flamingantisme radical, elle demeure pratiquement inconnue en dehors de son cercle. Oui, l’asile et la migration peuvent être un sujet rêvé pour l’opposition nationaliste de droite, mais le Vlaams Belang dépérit dans les sondages.

« De slimste mens »

Ses excellents résultats dans les sondages donnent des ailes à Groen, ce qui incite ce parti à revendiquer le leadership sur le marché – les partis d’opposition de gauche s’affrontent surtout entre eux, et pas seulement le gouvernement, même s’ils n’aiment pas l’admettre. Le dernier sondage qui crédite Wouter Van Besien (Groen) de presque autant de voix que le président de la N-VA et bourgmestre Bart De Wever, renforce le sentiment que ce ne sont pas les socialistes, mais le PTB (au sud du pays) et Groen (au nord) qui sont les véritables chefs de file des protestations contre le gouvernement Michel. Avec Raoul Hedebouw et le chef de groupe Kristof Calvo, ces partis possèdent les membres d’oppositions les plus enthousiastes de toute la Chambre. Hedebouw est nouveau, donc immaculé, et parfait bilingue. Pour son parti, il vaut de l’or, c’est le premier PTB à atteindre De slimste mens ter wereld. Reste à savoir si cela suffit pour faire percer le PVDA, la branche néerlandophone de son parti, en Flandre. Et le PTB pourra-t-il concrétiser son score élevé dans les sondages aux élections de 2019 ?

Très vite, l’association à la notion PTB de « culture de grappillage » s’avère fatale pour plusieurs politiciens. Et bien que tous les partis prennent part au système ce sont – à nouveau – les socialistes qui se laissent manoeuvrer en position de gibier traqué. D’Hasselt à Gand, de Bruxelles à Liège : partout des socialistes démissionnent. La démission d’autant de politiciens locaux fait du tort à la réputation du sp.a et du PS. Entre-temps, le parti du gouvernement MR souffre beaucoup moins du départ de sa ministre de la Mobilité Jacqueline Galant ou du déjà oublié ministre du Budget et incapable Hervé Jamar.

C’est là aussi que réside la grande différence entre le sp.a et Groen: les socialistes continuent à souffrir d’une image négative, alors que les verts ont pratiquement retrouvé leur virginité politique. Groen se trouve à nouveau dans une position qui lui permet de critiquer sans faire lui-même l’objet de beaucoup de contradictions. Entre Kristof Calvo, le leader roublard de la fraction Ecolo-Groen à la Chambre. Calvo a un nez pour la controverse et n’évite pas le roulement de mécaniques verbal : jamais encore, les critiques « bobo » n’avaient été exprimées de manière aussi virulente. Régulièrement, il embarrasse la majorité. Du coup, les caméras sont toujours braquées sur lui, à la grande frustration des socialistes flamands. En mars 2015, le sociologue Mark Elchardus, ancien président des Mutuelles socialistes, soupire dans Knack : « Aujourd’hui, l’opposition fédérale dans ce pays se compose d’une personne : Kristof Calvo de Groen. »

Oui, le président du sp.a John Crombez embarrasse le gouvernement quand il rend plausible le fait que la majorité a l’intention de diminuer les pensions, mais c’est uniquement parce qu’il a saisi une opportunité offerte par Vincent Van Quickenborne et Gwendolyn Rutten (Open VLD).

Là aussi, c’est une ancienne loi de la politique belge : l’opposition ne peut être forte que si la majorité commet des erreurs. Ou si le pays va mal. C’est là que la situation ne sourit pas à l’opposition actuelle. L’économie repart, il y a de nouveaux jobs, et il y a moins de chômeurs. Peu importe si c’est dû à la conjoncture internationale ou à la politique du gouvernement : la prospérité économique fait progresser un gouvernement – et freine l’opposition. C’est le cas sous la coalition violette, et il en va de même sous la suédoise.

Le Jesse Klaver flamand

Entre-temps, il semble que les « petits » doivent souvent prendre les devants. Si Hendrik Vuye peut énerver ses anciens collègues de la N-VA et même les blesser avec ses critiques contre leur pâle palmarès communautaire, il n’est pas de taille à affronter Charles Michel. Et si Kristof Calvo enflamme la Chambre, reste à voir si après les élections, il deviendra l’homologue flamand de Jesse Klaver, le booster de GroenLinks aux Pays-Bas. Bart De Wever n’a jamais impressionné comme parlementaire, mais à l’époque du gouvernement Di Rupo (2011-2014), son esprit planait sur tous les débats. Un parti sans véritable leader se retrouve rapidement dans une spirale descendante.

Les socialistes, ou la plupart d’entre eux, s’en rendent compte. Il a fallu de temps avant que Laurette Onkelinx ne laisse la place à la nouvelle génération, et Elio Di Rupo ne semble toujours pas en avoir l’intention. John Crombez mène une Révolution culturelle douloureuse au sein de son parti : aux congrès, il envoie, tout comme le révolutionnaire chinois Mao Zedong, les jeunes en ligne de mire pour plaider en faveur du « décumul » et du « rajeunissement obligatoire dans la composition des listes » pour se débarrasser de l’ancienne génération.

Carlsberg

Reste la question: où se trouve l’opposition? Entre 1988 et 1999, le libéral Guy Verhofstadt n’est pas simplement le leader de l’opposition contre les gouvernements de Wilfried Martens et Jean-Luc Dehaene (CVP). Il est le challenger de l’ordre existant. C’est ainsi aussi que tout le monde le reconnaît : les socialistes flamands mettent leur base en garde contre le « danger Verhofstadt ». Celui-ci s’érige en véritable Premier ministre de l’ombre. Avec son State of the Union il attire presque autant de monde que le véritable Premier ministre.

Verhofstadt a pu faire cela parce qu’à partir de 1989, il écrit d’abord une histoire libérale : les manifestes citoyens. Ce n’est qu’après qu’il modèle son parti en ce sens : l’ancien PVV devient le tout nouveau VLD. Que l’on soit pour ou contre : la ligne politique du VLD est cohérente et claire comme de l’eau de roche. Le parti donne même des conférences de presse avec des budgets alternatifs, économies douloureuses comprises. Verhofstadt cible la voix de l’électeur. Et ensuite, il lui faut encore dix ans, de 1988 à 1999, pour entrer au gouvernement fédéral avec ses libéraux flamands.

Ce que Verhofstadt essaie pendant si longtemps, reste l’alfa et l’oméga de l’opposition: créer des difficultés au gouvernement, ou au moins l’embarrasser. Impressionner le public, et évidemment l’électeur. Entre 2011 et 2014, Bart De Wever est la Némésis du Premier ministre Elio Di Rupo. Dans son sillage, les jeunes députés Ben Weyts, Theo Francken et Peter Dedecker impressionnent. Faire partie de la N-VA suffit à être entendu et à impressionner. L’expert sp.a Dirk Van der Maelen a beau faire de son mieux, ses critiques atteignent à peine les couches larges de l’opinion publique, et provoquent encore moins une véritable crise du gouvernement. Parce qu’un socialiste n’inspire plus beaucoup de crainte. Parce que son parti n’offre pas d’alternative claire.

Pour l’opposition, ces questions demeurent tout de même existentielles : pourquoi vouloir se débarrasser de ce gouvernement ? À quel point l’envie d’autres leaders pour un pays meilleur est-elle forte ? « Probably the best beer in the world », affirme le brasseur danois Carlsberg à propos de sa propre bière. Peu à peu, l’opposition parlementaire souffre de la réputation inverse.

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