Nicolas De Decker

La N-VA, une certaine idée de l’infini

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

On ne doit pas à l’héroïque figure de Joseph Vissarionovich Djougachvili que des famines et des déportations, ni que la purge et le goulag. La lumière de sa pensée éclaire encore le monde, et même le Mouvement réformateur, qui ces dernières semaines a ressorti la figurine empaillée du petit père des peuples du musée des horreurs, pour faire croire que le PTB l’effrayait mais tout en le renforçant, en porte le flambeau avec élégance.

Car certes le bilan politique et historique de Staline, l’homme que nous aimions le plus, n’est plus trop défendu, même pas en Belgique dont le précédent gouvernement avait été taxé de marxisme par des déviationnistes petit-bourgeois, même pas en Wallonie dont le parti dominant est qualifié de bolchévique par les capitalistes monopoliste anversois, même pas à Charleroi dont l’actuel bourgmestre est classé à la gauche de la gauche par la presse bourgeoise.

Mais si ses héritiers se font rares aujourd’hui, si sa vision du goed bestuur n’a plus cours qu’en de lointaines Corées, il y en a, par nos monts et nos vaux, à la lisière de nos usines fermées, sur les rives de nos canaux gelés, dont le rapport à la vérité, aux principes, et aux institutions rend gloire à la joyeuse praxis de papa Staline.

« Une conscience vous rend aussi inapte à la révolution qu’un double menton. La conscience vous grignote la cervelle comme un cancer, jusqu’à ce qu’elle vous ait dévoré toute la matière grise », écrivait l’alors encore marxiste Arthur Koestler dans Le Zéro et l’Infini, une des plus redoutables dissections des impitoyables méthodes staliniennes.

Le zéro, selon Koestler, c’est le « je », l’individu, vous, moi. Ces zéros sont au service exclusif de l’infini, la cause, portée par le parti. Entre les deux, des « fictions grammaticales », l’autonomie, les sentiments, la vérité ou la justice, que le révolutionnaire diffuse en fonction des intérêts de la cause, et rien qu’en cette fonction. La fiction grammaticale, le zéro, l’infini, ce sont, pour parler gros, autant de variations littéraires sur le thème usé comme les sabots d’un koulak de « la fin justifie les moyens ».

Si seule compte la cause, rien d’autre n’importe, ni le sort d’un homme, ni la confusion des sentiments, ni le respect de la vérité, ni l’impératif de justice.

Si rien d’autre n’existe, tout est permis.

Or depuis l’intronisation du gouvernement de Charles Michel, il y en a que la conscience paraît avoir abandonnés. Il y en a qui se croient tout permis. Ils ne sont pas staliniens. Plus personne n’est stalinien.

Mais ils osent tout.

Et c’est à ça qu’on le reconnaît, le stalinisme de notre époque.

Et ceux qui osent tout, au gouvernement fédéral, portent le flambeau de la cause flamande.

Et les voilà qui poursuivent peinardement leur quête d’infini. Sans qu’aucun zéro, aucune fiction grammaticale, ne viennent les contredire.

Et les voilà qui osent toujours plus, avec toujours moins de limites.

Lundi, en fin d’après-midi, Jan Jambon a osé dire qu’il ne voulait incriminer personnellement personne dans les attentats du 22 mars, puis il a passé deux heures à incriminer personnellement une personne, l’officier de liaison en Turquie, dont tout le monde, de ses supérieurs au ministre de la Justice, estime qu’il a correctement accompli ses tâches. Avant ça, il avait osé dire que son président de parti s’était trouvé par hasard à une réunion avec la haute hiérarchie policière tout en osant dire que son président de parti s’était trouvé à une réunion avec la haute hiérarchie policière pour savoir si son ministre de l’Intérieur devait démissionner. Avant ça encore, il avait osé dire que son Premier ministre avait refusé qu’il démissionne tout en osant dire que c’était son président de parti qui avait refusé qu’il démissionne. Oui, en même temps.

Une semaine plus tôt, son secrétaire d’Etat à la Migration et à l’Asile, Théo Francken, a osé dire qu’il ne respecterait pas une décision exécutoire de la Justice tout en osant dire qu’il respectait l’Etat de Droit, il a osé dire qu’il n’accorderait pas de visa humanitaire à une famille syrienne tout en accordant des centaines de visa humanitaires à des familles syriennes, et donc il a osé dire qu’il fallait combattre les passeurs qui amènent les réfugiés en Belgique tout en empêchant ceux qui ne veulent pas engraisser les passeurs de venir se réfugier en Belgique. Oui, en même temps.

Depuis deux ans, leur président, Bart De Wever, a osé dire que ce gouvernement n’avait pas d’âme tout en osant dire que ce gouvernement seul pouvait encore sauver le pays, il a osé dire que ce gouvernement mènerait une politique budgétaire d’une rigueur inédite tout en osant dire que ce gouvernement n’allait pas mener une politique budgétaire d’une rigueur inédite, il a osé dire qu’il ne s’occupera pas de communautaire pendant ces cinq ans tout en osant dire s’occuper tout spécialement de communautaire pendant ces cinq ans, il a osé dire que son parti voulait l’indépendance de la Flandre tout osant dire que son parti ne voulait pas l’indépendance de la Flandre, il a osé dire qu’il ne gouvernerait pas avec les socialistes tout en osant dire qu’il gouvernerait s’il le fallait avec les socialistes. Oui, en même temps.

Et encore, on en oublie.

Car depuis l’intronisation du gouvernement de Charles Michel, il y en a que la conscience paraît avoir abandonnés, et donc qui osent tout. Il y en a qui ne croient en rien sauf en la cause, et donc qui se croient tout permis.

S’ils se le croient, c’est parce que ça n’a jamais de conséquence. Parce que cette quête ne souffre d’aucune limite que l’infini. Et qu’elle n’attire la contestation d’aucun zéro. Et que si ça n’en a jamais, de conséquences, c’est que c’est parce qu’on les laisse faire. C’est parce qu’on se laisse grignoter la cervelle.

Il est temps d’oser donner une chance à la matière grise de ne pas se faire entièrement dévorer au service de la cause.

Il est temps, en fait, que Charles Michel fasse de chef de gouvernement du Royaume de Belgique une fonction d’autorité. Et plus une fiction grammaticale au service de sa destruction.

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