Bart De Wever entend bien faire de la N-VA "le grand" parti populaire flamand. © MAARTEN DE BOUW/ID PHOTO AGENCY

La N-VA rêve d’élections anticipées

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les nationalistes flamands auraient tout intérêt à coupler les législatives avec les communales du 14 octobre. Pour en faire un test national, tuer le CD&V et profiter d’une conjoncture favorable. Ceci n’est plus tout à fait une fiction.

Le gouvernement ne tombera pas sur le dossier soudanais et l’attitude  » abrasive  » du secrétaire d’Etat à l’Asile, Theo Francken (N-VA). La mise en garde proférée, dimanche 7 janvier, par le président nationaliste Bart De Wever –  » ce sera avec Theo ou sans nous  » – a suffi pour faire taire les critiques publiques émanant du CD&V et de l’Open VLD.  » Il n’y aura de problème que si l’enquête indépendante confiée au Commissariat général pour les réfugiés livrait des témoignages forts, photos à l’appui, de Soudanais expulsés de Belgique et torturés à leur retour au pays « , glisse une source au sein de la majorité. L’objectif reste donc d’engranger les résultats sur le plan socio-économique jusqu’en 2019. Au MR, des réunions au sommet ont lavé le linge sale en famille et promis de resserrer les boulons sur le plan de la communication. Mot d’ordre : on poursuit  » avec calme et détermination « . Rideau, même si l’opposition hurlera au Parlement.

Mais la confiance s’est détériorée au sein de la suédoise. Sous les coups des nationalistes flamands : propos du Premier ministre qualifiés d’  » absurdes « , rejet de la fin du nucléaire en 2025, ultimatum de Bart De Wever… Au point que le doute s’est insinué.  » Franchement, on se demande si la N-VA n’a pas l’intention cachée de provoquer des élections législatives anticipées, admet un responsable libéral francophone. Elle aurait un intérêt objectif à les coupler avec les communales d’octobre. D’autant que la conjoncture économique sera favorable…  »

Fiction ? Pas forcément. Voici les cinq raisons pour lesquelles la N-VA pourrait décider de mettre fin à Michel I. Ou de dicter sa loi pendant un an et demi.

1. Coupler législatives et communales

Bart De Wever reconnaissait il y a peu, dans la presse flamande, sa difficulté à trouver les bons candidats pour mener une campagne communale de qualité. Sa formation veut définitivement devenir le grand parti populaire flamand. L’ancrage local reste un moyen incontournable pour y arriver. Il lui faut donc concrétiser l’essai en 2018. En 2012, la N-VA avait marché sur Anvers et décroché 59 mayorats. Loin encore du CD&V, qui reste maître du jeu flamand avec ses 137 bourgmestres. L’idéal pour la N-VA, cette année, resterait de mener une campagne nationale, avec De Wever en figure de proue. Et des thèmes qui lui sont chers : l’immigration, la sécurité, le socio-économique ou le communautaire. Pour coupler les scrutins, le gouvernement fédéral devrait tomber en août, au plus tard.

2. Miser sur l’identité

La N-VA est sur du velours avec la polémique soudanaise, qui met en avant la politique migratoire  » ferme et humaine  » portée par Theo Francken, dans la lignée de celle qui l’a précédé, Maggie De Block (Open VLD). Ses partenaires le savaient : tirer la prise du gouvernement sur cette affaire liée à l’asile et à la migration eut été du pain bénit pour la N-VA. Voilà pourquoi ils ont prudemment rangé leurs appels à la démission du secrétaire d’Etat. Au fil du temps, le parti nationaliste a construit une philosophie basée sur la notion de la défense de la  » communauté « , concept cher à Bart De Wever qui remplace celui de  » nation « . Toute sa politique entend protéger la Flandre dans sa culture, sa langue, son identité au sens large, face à la globalisation et aux migrations forcées. Un discours qui porte et qui a raflé la mise face au Vlaams Belang, tant en 2012 qu’en 2014. Les sondages évoquent une légère remontée de l’extrême droite, mais la N-VA reste largement devant, avec des intentions de vote deux fois plus importantes que le CD&V (29,5 % contre 14,1 % selon le dernier baromètre Ipsos/Le Soir/RTL de décembre 2017). Dans ce cas, elle est incontournable.

La N-VA est sur du velours avec la polémique soudanaise

3. Tuer le CD&V

Depuis le début de la législature, N-VA et CD&V sont à couteaux tirés. Parce qu’ils constituent les deux pôles antagonistes de la suédoise. Et que la rupture de leur cartel, en septembre 2008, sur fond de négociations communautaires, a laissé des traces, d’autant que la N-VA est devenue, dans la foulée, le premier parti de Flandre. L’objectif des nationalistes est clair : tuer le CD&V, pour prendre sa place.  » Si Dieu existe, alors il vote sans aucun doute pour moi et la N-VA, ironisait Bart De Wever fin 2017. Mais pas pour Groen et pour les rouges. Et pas non plus pour le parti qui se réfère encore à lui dans son nom.  » La décision du CD&V d’envoyer le vice-Premier fédéral, Kris Peeters, à Anvers pour défier le bourgmestre sur ses terres en octobre prochain a été perçue comme une déclaration de guerre. Depuis, tous les moyens sont bons pour attaquer. En attendant, la N-VA engrange au fédéral et freine le CD&V, toujours dans l’attente de l’exécution de la partie de l’accord de l’été dernier qui lui est plus favorable : une forme de taxation du capital via les comptes-titres. Le CD&V attend aussi que la suédoise s’accorde définitivement sur une compensation pour les coopérants d’Arco, la banque populaire proche du Mouvement ouvrier chrétien, tombée lors de l’effondrement de Dexia. Autrement dit, une chute de Michel lui coûterait bien plus cher qu’à la N-VA.

4. Profiter de la conjoncture

La croissance économique belge est à la hausse : 2 % en 2018, selon les dernières prévisions. Une aubaine pour la suédoise qui a fait du redressement socio-économique sa priorité. La Banque nationale vient d’annoncer la création de 69 000 emplois en 2017 et de 309 000 nouveaux jobs au total sur la période 2014-2020. De quoi encourager le gouvernement dans son action. Ou nourrir une campagne anticipée. Sur le mode de : notre thérapie de choc porte ses fruits.

5. Viser le confédéralisme

Des législatives anticipées découpleraient le scrutin fédéral du régional. Une revendication nationaliste destinée à faire vivre la démocratie régionale indépendamment de la Belgique. En outre, un blocage fédéral, prévisible à l’issue d’un tel scrutin, arrangerait bien les nationalises : les Régions resteraient le pôle de stabilité du pays, comme lors de la crise des 541 jours, en 2010-2011. De quoi apporter de l’eau au moulin de la thèse confédérale du parti, présentée en détails en janvier 2014, puis mise au frigo dans cette coalition. Une façon, aussi, de repositionner une N-VA parfois critiquée dans le Mouvement flamand pour sa dérive  » belgicaine « .

CQFD. Au sein de la suédoise, la N-VA serait la seule à profiter d’élections anticipées. Elle n’a donc rien à perdre en multipliant provocations et attaques contre ses partenaires, jusqu’à une éventuelle rupture. Et même si la corde ne rompt pas, cela lui donne les coudées franches pour dicter sa loi, en tant que premier parti de la coalition. Ces prochains mois, Charles Michel devra composer avec cette implacable réalité : contrairement à son pronostic de 2014, la participation de la N-VA au pouvoir ne l’a pas affaiblie.

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