Bart De Wever © BELGA

« La N-VA peut se passer de Bart De Wever. L’Église a aussi survécu au Christ, non ? »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Tous les partis entament deux années électorales de suite, et ils veulent tous se présenter sous leur meilleur jour à l’électeur. Pour Fons Van Dyck, ils ne réussiront que si les partis sont conscients de leur corebusiness, et s’y tiennent. Les uns sont plus doués que les autres.

Fons Van Dyck est parfois qualifié d' »homme de la pub », mais c’est là une sous-estimation. Depuis plus de vingt-cinq ans, il est témoin privilégié et acteur de l’actualité politique dans ce pays. Il y a quelques années, Van Dyck a étayé son expérience professionnelle d’un doctorat dans lequel il étudie pourquoi certaines « marques » réussissent à survivre et se renforcer et d’autres pas – même si elles ont été leaders sur le marché. Le parallèle avec les « marques » politiques est évident.

« Mark Elchardus, l’un de mes promoteurs, m’a fait connaître le sociologue systémique Talcott Parsons. Dans les années cinquante, ce professeur à Harvard était le sociologue le plus important du monde occidental. Il a étudié les lois à la base de tous les systèmes sociaux. Parsons a finalement abouti au paradigme AGIL : la survie est toujours une combinaison d’Adaptation (Adaptation au milieu environnant physique et social), Goal Attainment (garder ses objectifs à l’esprit), Integration (créer de l’ordre dans son organisation interne), et peut-être le facteur principal, Latency (la préoccupation, tant de l’organisation elle-même que des individus qui y sont actifs de préserver et renouveler leur identité).

« Quelles organisations survivent? Celles qui peuvent continuellement ‘apporter la même chose’, mais toujours différemment. Il s’agit du maintien de la culture de l’entreprise, du retour éternel vers les racines. Parsons ne pratique donc pas le darwinisme social, mais le moving equilibrium ou « l’équilibre qui progresse ». Les organisations doivent continuellement s’adapter pour rester elles-mêmes. Celui qui « s’adapte » sans beaucoup réfléchir se transforme en caméléon méconnaissable dans son environnement ou tourne à tous les vents.

« J’ai appliqué cette théorie à l’histoire d’Apple. Je ne pense pas que le fondateur d’Apple Steve Jobs ait jamais lu Parsons, mais il a abouti à la même conclusion. Dans toutes les interviews, il disait : « Everything will change, except our values ». Quand Jobs est décédé en 2011, les Américains se sont posé la question : Apple peut-il survivre sans son père fondateur ? Il s’est avéré que c’est possible : sous le nouveau CEO Tim Cooke, Apple est devenu l’entreprise la plus puissante et la plus grande du monde. Aujourd’hui, Apple est même capable de donner un chèque de trente milliards dollars à Donald Trump pour l’investir dans l’économie américaine. Apple l’a fait parce qu’il a conservé son identité comme aucun autre, et qu’il ne concède rien là-dessus.

La N-VA est une meilleure gardienne de l’identité, un peu comme Apple ?

Fons Van Dyck: L’adaptation à la nouvelle époque et la conciliation avec la tradition: aucun parti ne le maîtrise autant que la N-VA. Ce parti est aussi visiblement nationaliste-flamand que la Volksunie à ses débuts dans les années cinquante, et pourtant elle est aujourd’hui leader sur le marché politique. Sur ce plan-là, Bart De Wever est la réincarnation de Steve Jobs en Flandre. Cela bénéficie à la N-VA. De Wever combine pouvoir et influence, et il l’exerce aussi sur les faiseurs d’opinions et les journalistes. Comme le faisait Steve Jobs. Lors du lancement de l’iPhone 2007, les journalistes professionnels ont écrit des articles sur l’appareil pour une somme équivalente à 400 millions de dollars. Gratuitement. C’est autant d’argent que ce qu’a coûté la campagne présidentielle de Barack Obama.

La presse belge continue à écrire sur De Wever et ce dernier use continuellement de son influence pour acquérir encore plus de pouvoir. Il n’y a pas de mal à ça : un politicien qui ne vise pas ça doit devenir chroniqueur ou écrire des livres. J’ai étudié la politologie dans les années septante à Louvain : le pouvoir politique dépendait du nombre de voix de préférence et de la fonction politique occupée par une personne. C’est toujours le cas – c’est pour cette raison qu’un Premier ministre francophone comme Charles Michel est plébiscité en Flandre aussi – mais aujourd’hui le pouvoir est de plus en plus lié à l’influence. Et l’influence s’acquiert en grande partie via les médias. Celui qui est capable d’user de son pouvoir politique pour influencer l’agenda des médias est vraiment puissant. Donald Trump l’a fait. Il sentait parfaitement que pour un politique l' »identification » joue un rôle essentiel. Les gens sont en effet à la recherche de points de repère. Dans le monde faux des bitcoins et des fake news, à quel homme ou femme les électeurs peuvent-ils encore faire confiance ? C’est pour cette raison qu’il est essentiel pour un politique que ses électeurs aient l’impression qu’il ou elle est ‘one of us’.

L’un d’entre eux? Trump? Avec sa fortune gigantesque, ses déclarations blessantes, et son palais kitsch à Mar-a-Lago?

Eh bien, oui, c’est lié à la langue, la culture et la symbolique. La « phase supérieure » de Marx, si vous voulez. Nous vivons dans la « société symbolique » de Mark Elchardus, où la signification symbolique de certains actes joue un rôle décisif. Et cette image est donc soi-disant déterminée par et dans les médias. Bart De Wever aussi comprend l’art de faire entrer ce sentiment dans le salon. Il a compris aussi que pour convaincre les spectateurs il faut se comporter comme quelqu’un qui est honoré d’être reçu dans leur salon. De Wever montre son respect pour les spectateurs en s’habillant de façon conséquente en costume. C’est d’ailleurs le cas de tous les autres membres de la N-VA. Ben Weyts est tiré à quatre épingles, et Theo Francken porte même un costume trois-pièces.

Est-ce une stratégie consciente? Ou simplement une question de goût et de style : Geert Bourgeois semble né en costume.

C’est une question de culture de parti, de codes vestimentaires. Je trouve que c’est une forme de professionnalisme. On ne paraît pas en marcel à la télévision, ou en manches de chemise retroussées. Ceux qui le font ont peu d’affinités avec les codes culturelles du Flamand moyen. Puis-je souligner qu’il n’y a pas si longtemps les socialistes limbourgeois obtenaient encore presque 50% des voix, leurs ténors avaient le même dress code soigné que la N-VA aujourd’hui ? Willy Claes était toujours en costume cravate, et quand Steve Stevaert portait un pull, il venait du couturier Stijn Helsen à Hasselt.

C’est original: la politique belge pas expliquée par la politique et l’idéologie, mais par les costumes et les cravates.

Je veux dire qu’en politique il s’agit de respecter les codes culturels. Depuis dix ans, la N-VA est le plus grand parti de Flandre. Elle s’adresse délibérément au courant sous-jacent : ce n’est pas une classe sociale bien définie, mais un Flamand pourvu d’une certaine culture : le Flamand qui travaille dur.

Quand les journalistes demandaient quel était le restaurant préféré de Bart De Wever, la N-VA ne répondait jamais. Mais donnait la consigne : « mentionnez la friterie ‘t Draakske ».

Comme s’il mangeait tous les soirs un cornet de frite-mayonnaise accompagné d’un cervelas. Dans les médias de qualité américains, les opposants de Trump n’apprécient pas de lire que leur président s’empiffre de hamburgers devant la télévision, mais l’Américain moyen du Michigan ou de l’Ohio s’y reconnaît – lui aussi est un peu obèse, comme Trump, non ? Pourquoi Steve Stevaert traversait-il systématiquement Hasselt à vélo ? Pourquoi Louis Tobback ne jurait-il que par sa Peugeot 205, sans chauffeur ?

La vidéo du site d’informations Apache sur la fête au restaurant coûteux ‘t Fornuis n’a-t-il pas fait tomber le masque de « garçon pas si ordinaire » ?

C’était limite. De Wever l’a admis.

Finalement, la N-VA peut-elle poursuivre son succès sans Bart De Wever?

L’Église catholique a également survécu à Jésus-Christ, non? À une condition : ce parti doit continuer à se renouveler et devenir encore plus lui-même. Mais De Wever est évidemment un politique hors catégorie. Il est le seul de sa génération à encore connaître ses classiques, et qui cultive ses connaissances. Seul Louis Tobback en est capable, en latin aussi. Je prévois qu’après ses adieux comme bourgmestre de Louvain, il sera encore plus culte qu’il ne l’a jamais été. Tous les soirs, Tobback pourra choisir dans quelle émission télévisée il intervient.

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