Jan Buelens et Joke Callewaert

« La moitié des dix-huit mesures antiterroristes sont applicables à tout le monde »

Jan Buelens et Joke Callewaert Avocats chez Progress Lawyers Network Professeur

Après les attentats effroyables de Paris, la population demande, à juste titre, que les auteurs soient trouvés, mais aussi que de tels attentats soient évités à l’avenir.

Le gouvernement a proposé dix-huit nouvelles mesures à la Chambre. Jugeons-les en fonction de deux critères. Sont-elles efficaces et s’inscrivent-elles dans l’état de droit ?

L’état de droit forme un équilibre entre plusieurs intérêts, un compromis de droits. La séparation des pouvoirs constitue l’un des principes clés de l’état de droit : le pouvoir législatif crée les lois, le pouvoir exécutif (le gouvernement, le ministère public, la police) les applique et le pouvoir judiciaire se prononce sur les différends et contrôle le pouvoir exécutif. Contrairement à la féodalité où le roi réunissait ces trois pouvoirs dans sa personne, les pouvoirs sont séparés depuis la Révolution française de 1789 et c’est une bonne chose.

Le premier ministre Charles Michel a déclaré que les mesures avaient été prises dans le respect total de l’état de droit.

Pour ce qui est de l’efficacité, la plupart des experts affirment que le mieux est de lutter contre les terroristes à l’aide d’une approche focalisée sur eux. Après le 11 septembre, on a pourtant opté pour le « réseau large ». Après le Patriot Act adopté à la hâte, tout le monde était dans le collimateur des services de sécurités américains. En Europe, on n’est pas allé aussi loin, même si dans le fond on a choisi la même stratégie. Bien que cela puisse sembler tentant, la plupart des experts s’accordent à dire que c’est contreproductif parce qu’une trop grande quantité de données peut faire passer quelqu’un à travers les mailles du filet. Après plusieurs attentats, les services de police et de renseignement ont d’ailleurs fait savoir qu’ils connaissaient les auteurs. Le problème n’est donc pas vraiment la quantité d’informations en soi, mais l’analyse concrète et le suivi, dans lesquels il faut investir beaucoup plus.

Nous constatons que la moitié des dix-huit mesures sont applicables à tout le monde

La collecte massive de données n’est pas seulement contre-productive, mais elle risque de constituer une infraction inutile aux droits de chacun. Nous constatons que la moitié des dix-huit mesures sont applicables à tout le monde, comme l’interdiction totale de cartes GSM prépayées, l’examen de toutes les plaques minéralogiques, et une gigantesque banque de données avec toutes les données de passagers pour tous les vols, bus, trains et navires. Tant la Constitution que la Convention européenne des droits de l’homme admettent qu’il y a des exceptions aux libertés et droits fondamentaux, mais stipulent que celles-ci ne peuvent dépasser ce qui est strictement nécessaire dans une société démocratique.

Que penser des mesures spécifiquement prises contre les terroristes, comme le triplement de la durée de la détention provisoire (de 24h à 72h) et le port du bracelet électronique « pour tous ceux qui sont connus des services responsables de l’analyse de la menace » ? Il faut se montrer très attentifs à l’égard de ce type de dispositions exceptionnelles.

L’arsenal existant de lois offre déjà beaucoup de possibilités. Avec la législation actuelle, il y a déjà moyen d’effectuer des perquisitions nocturnes en cas de « flagrant délit ». En outre, il existe une multitude d’autres techniques d’observation. Il est donc inexact que les services de police et de sécurité sont impuissants la nuit.

Il en va de même pour la détention de suspects. La Constitution stipule qu’il faut une intervention du juge dans les premières 24 heures. Mais s’il y a des indications contre une personne, le juge d’instruction peut prolonger la détention préventive de 24 heures. Et quand on relâche un suspect, cela ne signifie pas qu’on ne peut plus le suivre.

Quant au bracelet électronique, on se demande qui peut imposer cette mesure et à qui? Étant donné qu’il s’agit d’une mesure de privation de liberté, il faut que cette décision soit prise par un juge qui est le plus apte à juger s’il s’agit de l’instrument le plus approprié. La mesure peut uniquement être imposée aux terroristes. Également dans l’intérêt de la société. Le juge antiterroriste français Trévidic est d’avis qu’avec ce type de mesures, on risque de pousser certains jeunes visés injustement dans les bras des terroristes. À nouveau, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas moyen de surveiller ces personnes de très près.

La crainte démocratique, c’est que les mesures initialement valables pour certains groupes soient étendues à d’autres parties de la population. Une fois qu’on instaure une exception, on ne peut exclure qu’elle soit généralisée. Koen Geens par exemple, prévoyait une détention préventive de 72 heures sans intervention du juge et cette mesure serait valable pour chacun.

Ce qu’il faut dans la lutte contre le terrorisme, c’est du travail sur mesure, basé sur le danger et le risque individuel et dans le respect de l’état de droit. C’est un défi difficile, mais en même temps plus efficace, plus juste et donc dans l’intérêt de toute la société.

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