Olivier Mouton

La  » hollandisation  » de la classe politique belge

Olivier Mouton Journaliste

C’est un scénario à la française qui touche nos gouvernements : tous sont sanctionnés ! Voilà l’effet de ce fédéralisme de bac à sable dont nous gratifient depuis plusieurs semaines nos dirigeants, surtout du côté francophone.

Attentifs à la vie politique française, les francophones de Belgique raillent souvent l’évolution à l’oeuvre de l’autre côté de la frontière, avec un président Hollande qui atteint des sommets d’impopularité et une opposition de droite qui se déchire dans des torrents de haine. Un cirque qui favorise les solutions démagogiques et dangereuses du Front National.

Boum ! Voilà que le premier sondage concernant la confiance dans les gouvernements de notre Belgique fédérale témoigne que la situation n’est guère plus brillante chez nous : la classe politique belge est en voie d’hollandisation. Et à vrai dire, cela ne nous étonne malheureusement pas.

20% des sondés du baromètre La Libre/ RTBF à peine font confiance au gouvernement Michel. C’est le résultat le plus faible de toute l’histoire des sondages. Mais que les entités fédérées francophones, dont les partis dominants PS et CDH sont les premiers à faire la leçon au fédéral, n’en tirent aucune gloire : seuls 16% des sondés font confiance au gouvernement wallon et 21% au gouvernement bruxellois. Au fond, c’est l’exécutif flamand qui s’en sort le mieux avec 28% d’opinions positives.

Au positif, on peut en tirer une conclusion réjouissante : les citoyens ne sont pas dupes de la piètre qualité du spectacle auquel ils assistent à tous les étages de notre fédéralisme de bac à sable. Et ce n’est pas la nouvelle séance chaotique du parlement jeudi qui risque de les faire changer d’avis, entre une opposition démontée et un Premier ministre rageur, il y a de quoi rester à tout le moins dubitatif. Notre démocratie s’est transformée en un cirque dont les acteurs sont de moins en moins drôles. Ils s’enfoncent dans leurs certitudes et leur jusqu’au-boutisme, ils sont cyniques, arrogants, agitateurs pour, in fine, perdre de vue le sens de l’intérêt général.

Charles Michel est à nouveau dans la tempête en raison du passé de son vice-Premier ministre N-VA Jan Jambon, dont les fréquentations à la lisière de l’extrême droite posent question. Certes, la N-VA est jusqu’ici un partenaire relativement loyal du MR et reste dans les clous des institutions. Mais sa présence même au pouvoir heurte une part importante de la population francophone, qui mérite qu’on lui donne des gages de confiance. En guise de réponse, le Premier ministre reste muet au parlement. Pis, il s’en va le soir même à Anvers pour afficher sa complicité avec Bart De Wever, comme il l’avait fait au moment où Jan Jambon avait affirmé qu’il y avait au sein du gouvernement un accord secret consigné dans des cahiers Atoma balisant la prochaine réforme de l’Etat. Une attitude jugée déplacée par beaucoup.

De leur côté, les députés de l’opposition, poussés dans le dos par la présence au parlement du PTB/PvdA – un parti d’extrême gauche, rappelons-le en passant – font il est vrai flèche de tout bois pour diaboliser les nationalistes flamands et démolir au bazooka les réformes du gouvernement Michel. La bipolarisation de la classe politique est brutale, sans nuances, chacun accusant l’autre de mettre en place une « dictature ». A ce rythme-là, on ne serait guère étonné que certains en viennent aux mains lors d’une prochaine séance.

Paul Magnette (PS), ministre-président wallon, en rajoutait une couche ce matin à la radio en affirmant que les révélations concernant Jan Jambon sont « graves ». N’avait-il pas refusé de recevoir le ministre de l’Intérieur à Charleroi suite à ses déclarations relatives à la collaboration ? Lundi, c’est pourtant le même Paul Magnette qui recevait au château de La Hulpe son homologue flamand Geert Bourgeois, un des cofondateurs de la N-VA !, affirmant que les Régions pouvaient s’entendre plus facilement entre elles qu’avec un fédéral agressif. Des propos aux relents confédéralistes avérés, n’en déplaise au PS qui s’en défend sans cesse.

A vrai dire, depuis la mise en place des gouvernements, on ne compte plus les sorties démagogiques, les approximations chiffrées, les haines corses, les jusqu’au-boutismes idéologiques… Un mot est devenu à la mode dans les coulisses de la politique belge : autisme. Chacun s’enfonce dans ses propres convictions, refuse de parler à l’autre voire même de l’écouter.

La population est là, au balcon. Son signal est désormais clair : vous devez nous parler autrement, vous devez vous parler autrement ! En clair, vous devez faire de la politique autrement !

Un appel qui remonte à vingt ans, aux convulsions de l’affaire Dutroux et à la révolution silencieuse de la Marche blanche – et om l’on percevait déjà des signes de rejet de la politique.

Le pays a besoin d’intelligence, de sagesse et de dialogue. On en est loin !

Si le climat politique est à ce point dégradé, c’est en raison des conflits personnels, des egos surdéveloppés, d’une volonté féroce d’occuper le pouvoir. Mais c’est aussi parce que les temps sont durs, que la crise s’éternise, avec en plus le poids d’une dette abyssale liés aux excès du passé (et ceux récents des banques) que l’on ne parvient plus à faire fondre.

Oui, ce pays a besoin de réformes qui le projettent enfin dans le 21e siècle. Il a besoin de responsables politiques courageux qui osent tenir un discours vérité. Il a aussi besoin de réponses nouvelles au-delà de réformettes en lesquelles plus personne ne croit vraiment. En trois mots, il a besoin d’intelligence, de sagesse et de dialogue. On en est loin !

La colère de la rue de ces derniers jours, pour légitime qu’elle soit face aux craintes de l’avenir, est à la fois un appel à ce sursaut, même si elle paralyse quotidiennement le paquebot belge. Tous, nous sommes dans nos contradictions entre un regard curieux pour la politique-spectacle instantanée et un appel à davantage de vision à long terme.

Cette première sanction des gouvernements, sans précédent, risque hélas de profiter aux expressions les plus fortes et les plus tranchées, celles de partis comme la N-VA ou le PTB. Avec les risques de dérive à la française que l’on sait…

Alors que cette sanction prématurée devrait au contraire constituer un appel à la raison d’Etat, au respect de l’autre, au bon fonctionnement des institutions. Et exige des réponses claires et concertées pour un avenir profitable à tous. Ce n’est pas que de la naïveté, c’est du bon sens.

A vrai dire, dans ce monde politique devenu un marché ou les acteurs cherchent avant tout à se positionner, on a malheureusement perdu l’espoir que cela change rapidement.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire