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La fracture numérique, mise en lumière par le confinement

Stagiaire Le Vif

Encore plus présent et plus utilisé depuis le début de la crise covid, le numérique fait partie intégrante de nos vies. Pourtant, selon une étude de l’UCLouvain, 40% des Belges font face à une situation de vulnérabilité numérique, ce qui « signifie que soit ils n’utilisent pas internet soit ils ont de faibles compétences numériques ».

Dans une étude parue dans la revue « Sociétés en changement » de l’Institut d’analyse du changement dans l’histoire et les sociétés contemporaines (IACCHOS) en collaboration avec l’Université Catholique de Louvain, Patricia Vendramin et Périne Brotcorne, sociologues et chercheuses au Centre interdisciplinaire de recherche Travail, Etat et Société (CIRTES), y développent la situation numérique des citoyens belges.

Il en ressort que les fragilités numériques sont liées de près à la situation sociale et économique des citoyens. « Les personnes sans accès ou disposant de mauvaises conditions d’accès aux technologies numériques (qualité́ de l’équipement informatique et/ou de la connexion internet, par exemple) ainsi que celles moins autonomes sur le plan de leur utilisation sont généralement plus pauvres, plus âgées, moins diplômées, moins souvent actives professionnellement, et/ou plus isolées que les autres ». Mais la composition familiale entre également en compte lorsqu’il s’agit de disposer d’une connexion internet. En effet, en Wallonie, seulement 1% des couples ayant des enfants ne disposent pas d’une connexion internet, alors que pour des couples sans enfant, ce taux atteint les 14%.

Ensuite, suite à l’évolution constante du numérique, les utilisateurs ont besoin d’une mise à jour régulière de leurs compétences, ce qui en décourage certains. Comme le soulignent les sociologues, « l’obsolescence progressive du matériel (ordinateur ou smartphone obsolète, version dépassée de logiciels) se double ainsi d’une obsolescence des compétences numériques ».

Ces rapports difficiles face à la numérisation mènent à une fracture numérique, définie par « diverses formes d’inégalités liées à la diffusion et à l’appropriation massives des technologies numériques dans la vie quotidienne ». Mais certaines conséquences peuvent être problématiques, notamment pour les services d’intérêt général. Ces services regroupent « un large éventail d’activités de nature différente qui sont, aux yeux du législateur, nécessaires à la réalisation du bien commun comme les transports collectifs, l’éducation, les soins de santé, les services administratifs ».

Les sociologues alertent sur les risques auxquels une numérisation grandissante des services d’intérêt général pourrait mener, tels qu’une augmentation des « non-recours aux droits sociaux ». Le confinement a d’ailleurs été un exemple de ce qu’auraient été les services s’ils passaient au tout numérique : « à partir du moment où toutes les activités de la vie quotidienne ont basculé en ligne, la capacité des personnes à utiliser internet pour maintenir le lien social s’est révélée loin d’être égale. Concernant les services d’intérêt général en particulier, comme ceux liés à la santé, à la mobilité ou à l’administration par exemple, lorsque les gens n’ont plus d’alternative hors ligne comme le fait de pouvoir rencontrer quelqu’un physiquement au guichet, se pose la question des difficultés d’accès à certains droits sociaux, pourtant fondamentaux. C’est un enjeu crucial », explique Périne Brotcorne. Les citoyens pourraient avoir des difficultés à comprendre comment faire sur internet et se présenteraient de moins en moins dans les différentes agences pour être aidés, lorsqu’elles sont ouvertes.

En ce qui concerne les entreprises interrogées pour l’étude, beaucoup évoquent la concurrence comme raison à un virage vers le numérique. En effet, elles se sentent « obligées de suivre la tendance pour ne pas se faire dépasser » par d’autres acteurs du même secteur. Néanmoins, les entreprises qui prônent l’inclusivité numérique n’ont pas toujours les mêmes motivations. Trois logiques ressortent de l’étude : « une logique marchande d’abord, suivant laquelle l’inclusion numérique permet de capter une clientèle plus importante ; une logique industrielle ensuite, suivant laquelle l’inclusion numérique permet d’accroître l’efficacité des services ; une logique civique enfin, suivant laquelle l’inclusion numérique permet de rendre les services plus égalitaires ». Ces différentes visions peuvent expliquer les difficultés que rencontrent les directions d’entreprise à rendre leur offre de services numérique.

Selon Patricia Vendramin et Périne Brotcorne, les deux sociologues qui ont réalisé l’étude, pour éviter que la fracture numérique ne s’agrandisse, les entreprises d’intérêt général doivent proposer aux citoyens, en parallèle du système numérique, un contact humain, tout aussi efficace que leur système en ligne. Pour Pascal Robert, docteur en sociologie et chercheur, « la numérisation des services est profitable à tous, y compris aux non connectés, qui bénéficient du temps dégagé par le désengorgement des guichets, ceci en attendant qu’ils se familiarisent, à leur tour, aux services en ligne ». C’est donc deux systèmes en parallèle qu’il faudrait mettre en place, l’un en ligne et l’autre physique, afin d’inclure le plus grand nombre de Belges.

Lauriane Vandendael

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