Jean-Claude Marcourt, vice-président PS du gouvernement wallon et sa fille Raphaëlle. © PHILIPPE BOURGUET/BEPRESS PHOTO AGENCY - BPPA

La fille de Marcourt a travaillé pour Nethys… en plein scandale Publifin (intégrale)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Raphaëlle Marcourt, la fille du vice-président du gouvernement wallon, est une jeune avocate spécialisée en droit de la famille. Ces derniers mois, elle a travaillé comme juriste pour Nethys, sans contrat, alors que le scandale Publifin avait éclaté, et sur une matière qui n’est pas la sienne : la protection des données à caractère personnel. Budget prévu par Nethys pour cette mission : 50 000 euros.

« Notre premier réseau social, c’est la solidarité !  » Telle est la devise qui s’affiche sur le fronton du site Internet personnel de Jean-Claude Marcourt, ministre wallon PS de l’Economie, de l’Industrie, de l’Innovation et du Numérique. Et vice-président du gouvernement wallon. Une maxime que l’on semble avoir fait sienne chez Nethys, dont les critères de recrutement du personnel devraient prochainement faire l’objet de débats animés au sein de la commission d’enquête du parlement de Wallonie sur l’intercommunale Publifin.

Plusieurs élus liégeois, ou leurs proches, ont trouvé du travail chez Publifin, Nethys ou une de leurs filiales (1). Et ce sans que l’on sache s’il s’agit d’un simple hasard, d’un passe-droit politique ou d’une stratégie visant à  » acheter  » le silence ou l’assentiment de certains. Un phénomène qui touche jusqu’au plus haut niveau du gouvernement wallon puisque, selon nos informations, Nethys a confié une étrange mission à la fille de Jean-Claude Marcourt, le principal soutien politique de Stéphane Moreau – en particulier depuis l’éclatement du scandale Publifin.

Droit de la famille

Raphaëlle Marcourt est une avocate de 28 ans, entrée au barreau de Liège fin 2013. Elle s’est spécialisée dans le droit de la famille et le droit social et travaille au sein du cabinet Marcourt Collins Henkinbrant, créé à Liège en 1993 par son paternel. En octobre 2016, la jeune juriste est convoquée au siège de Nethys par Bénédicte Bayer, la directrice générale de Publifin, qui est également la  » chief of the CEO office  » (cheffe de cabinet du PDG) chez Nethys. En clair, Bénédicte Bayer est la représentante de Stéphane Moreau au sein de l’intercommunale, et sa doublure chez Nethys lorsqu’il est absent – ce qui est très fréquent.

Pourquoi cette réunion ? Le 25 mai 2018, toutes les entreprises de l’Union européenne qui gèrent les données personnelles de leurs clients, employés et sous-traitants, vont devoir se conformer au règlement général sur la protection des données (GDPR). Adopté par le Parlement européen le 14 avril 2016, le GDPR renforce et unifie la protection des données personnelles des individus. Il contraint les entreprises à s’y conformer sous peine de lourdes sanctions financières indexées sur leur chiffre d’affaires.

Bénédicte Bayer, directrice générale de Publifin.
Bénédicte Bayer, directrice générale de Publifin.© SDP

Pour Nethys, c’est un énorme chantier aux enjeux financiers potentiellement colossaux : rien qu’au sein de l’opérateur télécom VOO, le groupe compte plus de 800 000 clients… Il s’agira notamment d’adapter tous les contrats de travail – nouveaux et anciens – et de mettre en place des procédures sécurisées pour stocker les données personnelles des clients et sous-traitants. Et c’est à une jeune avocate sans expérience en la matière que Nethys a curieusement pensé confier cette délicate mission.

Elles écoutent et parlent peu

Une seconde réunion, bien plus formelle, est organisée le jeudi 17 novembre 2016 en fin de matinée. Raphaëlle Marcourt et sa collègue Julie Henkinbrant, associée au sein du bureau d’avocats créé par Jean-Claude Marcourt, rencontrent Bénédicte Bayer et plusieurs cadres de Nethys au siège du groupe, rue Louvrex à Liège. Au septième étage, autour de la grande table du bureau exécutif, une dizaine de personnes discutent de la mise en oeuvre du GDPR au sein de Nethys et ses filiales. Les deux avocates, qui semblent mal maîtriser la matière, écoutent et parlent peu. Une double mission leur est pourtant confiée ce jour-là.

Deux mois plus tard, le 17 janvier 2017, on apprend la démission, la veille au soir, de Claude Parmentier, le chef de cabinet adjoint de Paul Furlan, alors encore ministre wallon des Pouvoirs locaux. C’est le jour où Raphaëlle Marcourt rédige une lettre de deux pages sur papier à en-tête du cabinet Marcourt Collins Henkinbrant. La missive est adressée à Bénédicte Bayer et deux cadres de Nethys. Elle fait suite » à l’échange d’e-mails intervenus entre Madame Bayer et Maître Marcourt durant ce mois de janvier « , en plein scandale Publifin. Raphaëlle Marcourt fait référence au  » mandat principal qui nous a été donné  » lors de la réunion du 17 novembre 2016 sur le dossier GDPR.

Un mandat qui  » consiste dans (sic) une analyse de fond – théorique dans un premier temps – des tenants et aboutissants du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données personnelles et à la libre circulation de ces données, sur les différentes catégories de personnes physiques concernées au sein d’un groupe comme Nethys, avant d’en décliner les conséquences et recommandations juridiques pour ces différentes catégories d’un point de vue pratique « . Et la jeune avocate d’ajouter :  » Nous vous confirmons avoir d’ores et déjà entrepris cette importante analyse […].  »

130 euros de l’heure

En interne, des cadres ont contesté un mandat confié à quelqu’un sans carrure, ni expérience

Bref, le travail est déjà lancé. De nombreuses heures ont déjà été prestées. Il ne reste plus qu’à signer la convention d’honoraires pour régulariser les choses. Annexées à la lettre, quatre pages reprennent ainsi les tarifs du cabinet, hors TVA : le prix de l’ouverture d’un dossier (50 euros), les frais de dactylographie (9 euros/page), de photocopie (0,60 euros/pièce), de déplacement (0,65 euros/km) et, bien sûr, le tarif horaire de la jeune avocate : 130 euros de l’heure, toujours hors TVA.

Mais ce n’est pas tout. Raphaëlle Marcourt ajoute qu' » il a également été convenu lors de notre réunion du 27 novembre dernier en vos bureaux  » de  » rappeler dès à présent aux différentes catégories de personnes susvisées (NDLR : clients, employés et sous-traitants) les règles qui régissent actuellement le traitement et la circulation de leurs données personnelles et le fait que le groupe Nethys […] travaille d’ores et déjà précisément à l’adaptation de ses procédures pour être prêt le moment venu. Plus précisément, nous avons été mandatés pour rédiger rapidement : un avertissement général à l’attention des différentes catégories de personnes que sont les clients, les membres du personnel du groupe et de ses sous-traitants ; une clause spécifique dans certains contrats […] destinée à attirer l’attention de certains interlocuteurs du groupe sur leurs propres obligations dans le cadre du règlement européen […].  »

Marcourt et Moreau, l'un a soutenu l'autre pendant la tempête Publifin.
Marcourt et Moreau, l’un a soutenu l’autre pendant la tempête Publifin.© BENOIT DOPPAGNE/BELGAIMAGE

Deux jours après la rédaction de cette lettre, la cheffe de groupe PS à la Chambre, Laurette Onkelinx, demande à Stéphane Moreau de faire  » un pas de côté  » : quitter son mayorat à Ans ou son poste de CEO de Nethys. Très vite, le ministre PS wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt monte aux barricades :  » La sortie de Laurette Onkelinx est inappropriée en ce sens que ce n’est pas Moreau qui est à la manoeuvre chez Publifin « , déclare-t-il à nos confrères de Sudpresse.

« On n’est pas à 50 K près ! »

Dans les jours qui suivent, des cadres contestent en interne le mandat confié par Bénédicte Bayer à Raphaëlle Marcourt, au motif que la fille du ministre wallon de l’Economie n’a ni la carrure ni l’expérience pour mener à bien cette délicate mission. Bénédicte Bayer aurait lâché en substance, lors d’une discussion tendue :  » C’est le seul soutien de Stéphane, on peut bien faire travailler sa fille ! On n’est pas à 50 K près !  » Décodage :  » 50 K  » signifie 50 000 euros. Le budget informellement attribué à cette mission. Subtile manière pour Stéphane Moreau de  » mouiller  » Marcourt dans le scandale Publifin qui a éclaté un mois plus tôt ? Bénédicte Bayer, après tout, n’est que sa  » courroie de transmission « , nous confient des sources internes :  » Aucune décision stratégique n’est prise par elle sans l’aval de Moreau.  »

Jusqu’ici, Jean-Claude Marcourt est le seul membre du  » Club des 5  » – cette ligue informelle qui contrôlait la fédération liégeoise du PS – à tirer son épingle du jeu. Affaibli depuis des années à la suite de son inculpation pour corruption et blanchiment d’argent dans l’affaire Intradel (pots-de-vin distribués lors de la construction d’un incinérateur à Herstal), Alain Mathot a été rattrapé par le scandale Publifin : il a présidé le CA de NeWin SA, filiale de Nethys, via sa société Almaure, semble-t-il pour des raisons d’optimisation fiscale. Quant à Willy Demeyer, Stéphane Moreau et André Gilles, ils ont négocié ensemble la mise en place du comité de secteur gaz courant 2010, et les rémunérations y afférentes. Demeyer était alors président du CA de l’Association liégeoise du gaz (ALG) qui s’est fait absorber le 22 décembre 2010 par Tecteo, dirigée à l’époque par Moreau et présidée par Gilles.

Interrogée par Le Vif/L’Express le 30 janvier dernier, Raphaëlle Marcourt a répondu par courriel que  » Nethys (ou toute autre société à laquelle elle est associée) ne m’a pas confié de dossiers.  » Une réponse clairement contredite par la lettre que la jeune avocate a signée le 17 janvier. Marie-Pierre Deghaye, porte-parole de Nethys, minimise quant à elle la relation professionnelle du groupe avec le cabinet Marcourt Collins Henkinbrant :  » Nous n’avons eu des contacts que dans le cadre de consultations, jamais rétribuées, comme nous pouvons en avoir avec beaucoup d’autres cabinets.  » La lettre du 17 janvier suggère pourtant une volonté claire entre les parties de contractualiser les choses, puisqu’elle s’achève en ces termes :  » Vous trouverez enfin en annexe notre convention d’honoraires. Nous vous remercions de bien vouloir en prendre connaissance et, sous réserve de vos éventuelles remarques, de bien vouloir nous la retourner dûment signée pour accord par courrier ou par e-mail.  »

Il nous revient par ailleurs que nos questions auraient mis un terme à la relation contractuelle sur le point de se nouer entre Raphaëlle Marcourt et Nethys.

(1) « Publifin, un bon employeur (politique) »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire