L'ABC, sur le Boulevard Adolphe Max, a fermé ses portes en 2013. © Marc Wathieu

La débandade des cinémas pornos

Le Vif

Dans les années 70, les cinémas érotiques et pornographiques ont essaimé, y compris en Belgique. Ces salles obscures sont quasiment toutes en train de couler et notamment les plus historiques. Magnéto.

A l’heure où il suffit de taper un mot-clé pour trouver des milliers de vidéos, on peut se demander où se situe l’intérêt d’aller mater du porno avec des inconnus dans la pénombre. Visionner un film érotique ou pornographique était, à une époque, une sacrée mission. A tel point que durant la révolution sexuelle, en 1971, des Belges sont allés jusqu’à traverser la frontière pour aller aux Pays-Bas voir Blue Movie de Wim Verstappen, le premier film néerlandais montrant une érection et des scènes de sexe. « Ce type de films étaient interdits chez nous. Des navettes ont été mises en place spécialement entre les villes de Maastricht et de Diest. C’était révolutionnaire à l’époque d’aller voir un film de cul dans une salle normale », raconte Didier Dillen, auteur notamment de L’Histoire amoureuse des Belges.

Un an plus tard, le premier film pornographique hétérosexuel est projeté en salles aux Etats-Unis. Deep Throat lance « l’âge d’or ». Loin de ce que peuvent être les films X d’aujourd’hui, pléthores de films pornos chics sont ensuite réalisés, tournés en 35mm, avec un budget et une équipe technique conséquents. Cette libération des moeurs internationaleS finit, pourtant, par déranger les plus conservateurs. « A la moitié des années 70, on va voir apparaître des lois beaucoup plus restrictives sur la pornographie. C’est ce qui va créer tout le circuit des nouvelles salles qu’on va appeler les salles X. La pornographie et les films extrêmement violents sont désormais montrés dans des lieux différents », explique Muriel Andrin, docteure en cinéma à l’ULB qui travaille depuis plus de dix ans sur la pornographie féministe.

A New York, Paris, Amsterdam, Bruxelles, Gand, Liège, Anvers, Charleroi, entre autres, des salles historiques confrontées aux plus gros complexes cinématographiques vont se spécialiser. Il en reste encore quelques traces aujourd’hui, mais avec l’arrivée de la VHS, du magnétoscope et des autres supports, la programmation du film du samedi soir sur Canal et l’émergence du web, les derniers établissements du genre ont tendance à péricliter.

Un milieu très secret

Sur le Boulevard Adolphe Max, depuis la fermeture de l’ABC en 2013, le Cinéma Le Paris est le seul qui passe encore des films pornos à Bruxelles. Après avoir tenu la porte à un client de l’établissement qui quitte le lieu en sortant furtivement, l’employé derrière son comptoir dans une lumière blafarde nous oppose une fin de non-recevoir. « Le patron n’est pas là. Non, il n’est pas joignable, non, il n’a pas de téléphone ». Même combat du côté du cinéma Midi-Minuit à Liège où l’on nous intime à plusieurs reprises de rappeler. Sans succès. De son côté, le boss du Majestix, un cinéma gay de la Cité ardente n’a aucune envie de parler à un journaliste. « Il est très difficile de rentrer dans ce milieu », confirme Jimmy Pantera.

La débandade des cinémas pornos
© Marc Wathieu

Ce spécialiste des cultures underground a réussi à pénétrer l’univers de la « lucha libre », le catch mexicain, mais il a longtemps galéré pour évoquer le cinéma ABC dans un projet d’ouvrage qu’il vient de lancer. « J’ai essayé de rentrer en contact par différents moyens avec l’exploitant qui est, depuis, décédé, avec des gens qui travaillaient dedans, c’est quasiment impossible. Ce sont des milieux qui sont refermés car à chaque fois qu’on en parlait dans la presse, c’était des articles très racoleurs et moralisateurs. Et puis, on est dans une espèce de milieu assez réservé aux initiés, semi-clandestin, secret », assure celui qui s’est récemment plongé dans les archives du lieu.

« Moi, je les écoutais »

Pour y voir plus clair sur le milieu aujoud’hui, le très loquace Michel Boudart est d’une aide précieuse. Attablé devant son chocolat chaud, l’ancien patron du RMX, le dernier cinéma porno de Charleroi, évoque volontiers les secrets de l’établissement qu’il a tenu pendant deux ans. Au RMX, il en a vu passé du monde : 2000 personnes suivaient la page sur Facebook, entre 100 et 200 clients achetaient quotidiennement un ticket à 8 euros et 50 habitués y venaient quasiment chaque jour. Parmi eux, « des médecins, un procureur du roi, un juge, un homme politique, des chômeurs, des policiers, un prof de sport qui venait sur sa pause de midi, des pensionnés, des mères de famille, quelques couples », liste-il avant d’en dresser le profil-type. Ce sont surtout des hommes seuls et âgés entre 40 et 70 ans. Ils ne vont pas sur internet ou alors ils cherchent surtout du contact, moi je les écoutais. »

Même si certains venaient seulement s’épancher au bar, 90% de ses clients venaient quand même se faire une toile pour avoir des rapports sexuels et tous pratiquement demandaient de visionner un film hétérosexuel. « C’est un truc assez particulier », concède Jean-Didier Bergilez professeur à la faculté d’architecture de l’ULB qui a réalisé une recherche sur les lieux et pratiques contemporains du libertinage. « Les cinémas pornos sont des lieux de masculinité très forts mais pour l’essentiel, ils ne s’identifient ni comme homosexuels, ni comme bisexuels. J’ai recueilli pas mal de témoignages d’hommes qui m’expliquaient que les relations entre mecs étaient plutôt des effets collatéraux du fait qu’ils ne rencontraient pas de partenaires féminines. »

Le problème de la prostitution

Face à cette misère sexuelle et affective, les salles obscures auraient aussi tendance à attirer les prostitué(e)s. A New York, dès le départ, les deux milieux sont très liés comme l’a montré la série The Deuce. En Belgique, récemment, l’exploitant d’un cinéma pornographique d’Anvers aujourd’hui en faillite, a été condamné pour proxénétisme. Idem dans un cinéma gay de la rue Saint-Denis à Paris. Quid du RMX ? « On en a eu aussi. Des garçons entre 18 et 25 ans et des femmes de tous âges qui venaient se prostituer. On les a mis dehors. Les mineurs, ceux qui harcelaient ou salissaient sortaient aussi. C’était très encadré. Je trouve que les cinémas pornos ont une utilité sociale. Ce qu’il se passe à l’intérieur ne se passe pas dans la rue. Il y a toujours eu des trucs louches dans les parcs, sur les parkings d’autoroute, c’est comme ça depuis la nuit des temps. »

Après avoir été sanctionné par les autorités pour avoir vendu du poppers, l’exploitant carolo a fini par jeter l’éponge. Selon lui, sans cette manne financière qui représentait 25% de son chiffre d’affaires, impossible de tenir. La personne ayant repris le cinéma a rapidement mis la clef sous la porte, tout comme récemment Maurice Laroche, exploitant du Beverley, le dernier cinéma érotique de Paris à projeter des films sur pellicule. D’autres devraient suivre puisque le Royal à Anvers, actif depuis les années 80, aurait déjà été vendu pour devenir un immeuble d’appartements selon les médias flamands. De même que Bruzz annonçait, fin 2017, la probable fermeture prochaine du Paris d’ici 2 à 3 ans.

Jacques Besnard

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