Paul De Grauwe

La Commission européenne n’est pas infaillible

LA FLANDRE A TRÈS DUREMENT critiqué Paul Magnette, qui a osé s’en prendre à la Commission européenne.

Les commentateurs ont qualifié son intervention de « stupide » et d’ « intempestive ». A les entendre, celle-ci avait parfaitement raison de rappeler le gouvernement belge à l’ordre. La Commission européenne est un port dans la tempête, elle nous protège d’une grosse calamité budgétaire. En Flandre, elle a acquis le statut de Dieu qu’il serait malvenu de blâmer. Or, à mes yeux, la Commission européenne doit être critiquée chaque fois qu’elle prend des mesures radicales. Elle n’est ni Dieu ni infaillible.

Dans les circonstances actuelles, des gens aussi raisonnables que Paul Magnette sont en droit d’estimer que la Commission européenne fait fausse route. J’appartiens aussi à la catégorie de personnes qui partagent ce point de vue. La zone euro file tout droit vers la récession. Or, si la production nationale se réduit, les recettes de l’Etat diminuent également, tandis que les dépenses augmentent (par exemple, les allocations de chômage). Et le déficit budgétaire s’accroît automatiquement. Encore heureux que cet automatisme est inscrit dans le budget. Il est louable parce qu’il permet, entre autres, à ceux qui ont perdu leur emploi de continuer à mener une vie digne. Ce système est précieux aussi parce qu’il a un effet stabilisateur. Le déficit ainsi créé amène du pouvoir d’achat dans l’économie, et corrige partiellement le mouvement descendant de celle-ci.

Que constatons-nous actuellement ? A cause de la faible conjoncture, les déficits budgétaires montent partout. La Commission européenne ne rate aucune occasion pour faire savoir que cette situation est intenable et que les Etats doivent se résoudre à faire des économies supplémentaires. Il faut qu’ils diminuent les dépenses et augmentent les impôts. Ils sont donc tenus à neutraliser les mécanismes stabilisateurs automatiques que je viens d’évoquer.

Cette idée est-elle valable ? Avec Paul Magnette, je suis d’avis que ce n’est pas du tout une bonne idée. Non seulement parce que j’ai de la sympathie pour les chômeurs, mais aussi parce que cette idée ne tient pas la route.

Si, en temps de récession, un gouvernement est forcé à dépenser moins et à augmenter les impôts, la récession ne fait que s’intensifier, ce qui donne lieu à des recettes fiscales amoindries. Le déficit budgétaire baisse alors à peine, et le taux de la dette (rapport dette publique/PIB) monte, puisque le dénominateur de la fraction diminue. L’an dernier, cet effet a pleinement joué dans les pays périphériques de la zone euro, auxquels, en plein milieu d’une sévère récession, a été imposée une intensification des assainissements budgétaires. La situation budgétaire et l’état de la dette y sont pires aujourd’hui qu’il y a un an. Ce jugement défavorable sur la Commission européenne est-il déraisonnable ? Je ne le pense pas. Cette évaluation critique tend à démontrer que la politique d’assainissements budgétaires que la Commission européenne veut durcir est vouée à l’échec et finira par nuire à l’économie européenne. Ce qui est encore plus problématique, c’est que la Commission européenne impose à tous les pays, en même temps, des économies. Avec, pour conséquence, que les effets négatifs de ces restrictions budgétaires se renforcent mutuellement et que la spirale déflationniste se ravive de plus belle. Ceci ne témoigne pas d’une gestion intelligente. Il faut donc la condamner.

Paul De Grauwe, Professeur à la London School of Economics

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