Koen Geens. © Belga

Koen Geens : « Notre système entretient le conflit »

Le ministre CD&V de la Justice a obtenu des moyens supplémentaires pour le pouvoir judiciaire et la Sûreté de l’Etat. Son prochain défi : l’islam européen.

Le Vif/L’Express: La Belgique consacre à peine 0,5 % de son produit national brut (PNB) à l’appareil judiciaire. Un des plus mauvais scores européens ?

Koen Geens : Toutes les comparaisons sont bancales. Nous avons plus de litiges, moins de référendaires, moins de personnel des greffes, mais nous avons aussi plus de magistrats qu’aux Pays-Bas et en Allemagne… Cela dit, 1,7 milliard d’euros pour le judiciaire, ce n’est pas énorme. La diminution linéaire de tous les budgets est-elle juste ? Il fallait bien qu’on se mette d’accord sur une proportion mais, lors du conclave budgétaire, j’ai obtenu que les factures du passé, soit 101 millions d’euros, soient apurées et que le rythme des économies soit plus lent à la Justice grâce à un budget supplémentaire de 37 millions d’euros: 1 % d’économie cette année au lieu des 4 % prévus, puis 1 % supplémentaire chaque année suivante, par exemple. Une enveloppe de 200 millions d’euros a, enfin, été libérée pour des investissements dans les domaines régaliens. Finalement, on a respecté le pouvoir judiciaire et le système pénitentiaire. C’était le but de notre démarche.

Après l’affaire Dutroux, le contrôle sur l’instruction avait été renforcé. Avec votre Plan Justice, il est allégé…

Avons-nous encore besoin d’une instruction judiciaire distincte de l’instruction par le parquet (NDLR : information) ? Le choix n’est pas encore fait. Il le sera dans le cadre global du projet de réforme de la procédure pénale que je soumettrai au gouvernement l’été prochain. J’y réfléchis beaucoup. Le juge d’instruction est perçu, à juste titre sans doute, comme plus neutre que le parquet. Néanmoins, beaucoup de pays y ont renoncé et l’ont remplacé par le juge de l’instruction. Il ne pourrait être question que d’un juge de l’instruction unique, habilité à valider tous les moyens de preuve, pas seulement les perquisitions, les écoutes téléphoniques ou les mandat d’arrêt. Ce juge devrait pouvoir intervenir à tous les stades du dossier en connaissance de cause. Je ne transigerai pas pour moins que ça.

Vous instaurez des tribunaux à un juge en première instance. Cela diminue les garanties du justiciable…

Comment rendre la justice plus efficace ? Le délibéré à trois juges peut avoir une valeur ajoutée mais le chef de corps est bien placé pour savoir dans quelles affaires il se justifie. Pour le pénal, on a été très clair : il y aura toujours trois juges. Pour le reste, on peut discuter. Il faut savoir qu’à Strasbourg, la recevabilité, qui est la porte d’entrée de la Cour européenne des droits de l’homme, dépend d’un juge unique, qui refuse 85 % des affaires. Efficacité ne veut pas dire injustice.

De quoi va s’occuper la justice si une partie du contentieux est traitée via la médiation ou les amendes administratives d’un côté, et via l’arbitrage privé ou les transactions pénales de l’autre ?

De toutes les pistes sur la table, le juge en tant que tel est toujours « le meilleur marché » et le restera. On a, certes, proposé une légère augmentation des droits de greffe mais par rapport à ce que peut coûter un arbitrage, par exemple, l’avantage reste au pouvoir judiciaire. Ma conviction profonde est que le juge doit surtout s’occuper des affaires que les parties ne savent pas régler entre elles ou dans lesquelles l’intérêt public est tellement présent que les parties ne peuvent pas s’arranger entre elles. De façon générale, pousser, sans forcer, vers une bonne médiation ou un bel accord épargnerait la justice. Nous avons beaucoup plus de litiges à traiter que les pays voisins. Notre système entretient le conflit.

Vous avez la tutelle sur la Sûreté de l’Etat et vous avez déclaré qu’il fallait étudier l’islam pour lutter contre le terrorisme…

A l’époque de la guerre civile en Irlande, il fallait essayer de comprendre les catholiques et les protestants, leur lien avec le conflit politique. Je suis un fervent partisan de la religion comme force de spiritualité et de vie, tout comme je respecte énormément la laïcité. Mais lorsque la religion devient un instrument de fanatisme et de guerre, il faut savoir pourquoi et tenter, le cas échéant, de désengager les gens qui ne peuvent qu’avoir mal compris. Car la religion est le contraire de la violence. Les jeunes ne partent pas principalement parce qu’ils ont des problèmes sociaux. Ils partent aussi parce qu’ils trouvent qu’il y a une injustice au Moyen-Orient et qu’ils doivent apporter leur aide à l’Etat islamique. D’où vient celui-ci ? D’al-Qaeda ? Du conflit irakien ? De la façon dont l’Occident est intervenu là-bas ? Je l’ignore. Mais il est utile de savoir que l’Etat islamique a constitué un califat, que son calife se présente comme le successeur de Mohamed et qu’il annonce que l’Apocalypse se produira en Syrie.

La précédente ministre de la Justice avait misé sur l' »islam des ambassades », avec l’aide du Maroc et de la Turquie, pour remettre sur pied l’Exécutif des musulmans de Belgique. C’est également votre choix ?

J’ai fait la connaissance des leaders de l’Exécutif et des responsables religieux musulmans, qui ne sont pas forcément les mêmes personnes, et j’espère des progrès dans la démonstration qu’un islam européen a un réel avenir.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/l’Express de cette semaine.

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