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ADN, téléphonie, caméras de surveillance: ce qui incrimine les accusés au procès des attentats de Bruxelles

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les preuves techniques et scientifiques recueillies dans les caches fournissent de précieux renseignements sur la dynamique de groupe de la cellule.

Le relevé des empreintes et de l’ADN aux différentes adresses occupées par les accusés démontre que la plupart des protagonistes se sont croisés ou ont vécu ensemble. Pris indépendamment, ces indices ne suffisent pas à retracer leurs déplacements durant les semaines qui ont précédé et qui ont suivi les attaques.

La combinaison des preuves scientifiques, des propos des accusés devant les juges d’instruction, de la téléphonie et des images de surveillance démontre toutefois que les équipes ont varié en fonction de la taille du logement mais aussi des opportunités. L’ appartement de l’avenue des Casernes, à Etterbeek, par exemple, a été loué par Ibrahim El Bakraoui à Smail Farisi grâce à une connaissance commune devenue depuis l’un de leurs coaccusés, Ali El Haddad Asufi.

Utiliser son réseau pour mettre des terroristes recherchés à l’abri, c’est aussi ce qu’aurait fait Bilal El Makhoukhi lorsqu’il a demandé à son ami d’enfance, Hervé Bayingana Muhirwa, de véhiculer et d’héberger Osama Krayem et Mohamed Abrini avant et après les attentats du 22 mars. Les quatre hommes se voient toujours aujourd’hui, dans le box des accusés.

Autant d’éléments à charge consignés dans l’acte d’accusation et sur lesquels seront interrogés chacun des neuf accusés. Ils auront alors l’occasion de s’expliquer et de se défendre. Contrairement à ceux qui ont déjà écopé de lourdes peines à Paris, ceux qui ne figuraient pas dans le dossier du 13 novembre 2015, les frères Smail et Ibrahim Farisi, Bilal El Makhoukhi et Hervé Bayingana Muhirwa ont beaucoup à perdre.

Les empreintes et l’ADN

Dans les différents studios et appartements occupés par les membres de la cellule, le labo de la police fédérale a relevé une large palette d’empreintes et de traces ADN. Celles prélevées dans l’appartement de la rue du Dries, à Forest, mènent logiquement à Salah Abdeslam et à Sofien Ayari, qui s’étaient enfuis par les toits le 15 mars 2016 tandis que leur complice, Mohamed Belkaid (abattu par la police), les couvrait. Les enquêteurs considèrent d’ailleurs la location de cet appartement, en décembre 2015 par Khalid El Bakraoui, comme le point de bascule entre l’enquête sur les attentats de Paris et celle sur les attentats de Bruxelles. Dans ce trois pièces, d’autres ADN ont été mis en évidence sur divers objets ou munitions: ceux de Mohamed Abrini, d’Osama Krayem et de Najim Laachraoui. Ce qui, selon les enquêteurs, indique que des livres et des vêtements sont passés de cache en cache après les attentats de Paris pour finir à Forest.

L’exploitation des données téléphoniques représente un travail titanesque.

Direction Schaerbeek. Lorsqu’ils claquent la porte de l’appartement de la rue Max Roos, à Schaerbeek, le 22 mars au petit matin, les membres du commando de Zaventem pensent qu’ils vivent leurs dernières heures. Qui sait ce que Mohamed Abrini avait réellement en tête lorsqu’il a grimpé dans le taxi, mais toujours est-il qu’ aucun des trois terroristes n’a pris la peine d’effacer les traces de leur présence… ni celles de leurs complices présumés.

Sur un gobelet en plastique, un mouchoir en papier et un noyau de datte jeté dans la poubelle de la cuisine, les enquêteurs ont prélevé l’ ADN de Bilal El Makhoukhi ; sur plusieurs objets du quotidien, les empreintes et l’ ADN d’Osama Krayem et des frères El Bakraoui ; sur un fusil trouvé dans le hall et sur un autre gobelet jeté dans la poubelle abandonnée sur le trottoir, celui d’Ali El Haddad Asufi ; sur la tirette d’un sac à dos celui de Sofien Ayari. Mohamed Abrini et Hervé Bayingana Muhirwa se partagent les extrémités d’un coton-tige. Quant à Najim Laachraoui, considéré comme artificier et coordinateur des attentats, il a manipulé les objets ayant servi à fabriquer les bombes. Ses mains se sont aussi promenées sur la plupart des livres, comme à la rue du Dries, et des documents retrouvés sur les lieux.

Une des pistes relie un GSM Nokia à une carte SIM qui pourrait avoir été utilisée par Bilal El Makhoukhi.
Une des pistes relie un GSM Nokia à une carte SIM qui pourrait avoir été utilisée par Bilal El Makhoukhi. © DR

La présence de Mohamed Abrini et d’Osama Krayem chez Hervé Bayingana Muhirwa, enfin, ne fait aucun doute. Leur ADN est présent partout dans l’appartement de la rue du Tivoli, à Laeken. On y retrouve aussi un second exemplaire du recueil d’invocations La Citadelle du musulman, qu’ont feuilleté Abdeslam, Laachraoui, Ayari mais aussi Bilal Hadfi, l’un des kamikazes des attentats de Paris. Deux autres planques utilisées par la cellule ont été fouillées au peigne fin: le studio de l’avenue des Casernes (d’où sont partis Osama Krayem et Khalid El Bakraoui le 22 mars) et l’appartement de l’avenue de l’Exposition, à Jette. A la première adresse, les traces décelées confirment la présence des frères Farisi, ce qui est logique puisqu’ils étaient locataires de l’appartement, mais aussi des frères El Bakraoui et d’Osama Krayem. Krayem, qui a beaucoup bougé durant sa cavale, admet d’ailleurs dans ses auditions s’y être rendu. Seules quelques traces de la présence de Sofien Ayari ont été découvertes à l’avenue de l’Exposition.

La téléphonie

Tout comme l’analyse croisée des traces retrouvées dans les différents «appartements conspiratifs», l’examen de la téléphonie prouve, aux yeux des enquêteurs, qu’il y a bien eu coordination entre les différents groupes terrés dans les caches, ainsi qu’avec ceux qui sont soupçonnés de leur avoir apporté une aide matérielle ou logistique. L’un des enjeux du procès est évidemment de déterminer le rôle exact endossé par ces satellites et ce qu’ils connaissaient précisément des projets d’attentats. L’ exploitation des données téléphoniques de tous les accusés représente un travail titanesque. La complexité des résultats forcera sans doute les enquêteurs appelés à les exposer devant la cour à faire preuve d’une grande clarté s’ils ne veulent pas perdre les jurés en chemin. Ce qui apparaît de prime abord à la lecture du condensé de l’enquête, c’est que certains accusés ont largement fait usage de téléphones portables, généralement équipés de cartes prépayées plus difficiles à tracer, tandis que d’autres n’ont émis pratiquement aucun signal.

Le jour des attentats, Smail Farisi est filmé alors qu'il vérifie le contenu de sa boîte aux lettres, rue des Casernes.
Le jour des attentats, Smail Farisi est filmé alors qu’il vérifie le contenu de sa boîte aux lettres, rue des Casernes. © DR

«Hamza?»

Alors qu’ils détalent de l’appartement de la rue du Dries, à Forest, le 15 mars 2016, Salah Abdeslam et Sofien Ayari abandonnent une tunique dans leur fuite. Le GSM Samsung retrouvé dans la poche du vêtement livrera des informations aux enquêteurs. Utilisé de janvier à mars 2016, le numéro n’a reçu que des appels provenant de l’étranger ou passés par messageries instantanées. Seules les antennes proches de la planque ont été activées, ce qui laisse présumer que seuls les terroristes cachés à la rue du Dries ont fait usage du téléphone. Mais le 16 mars 2016, soit le lendemain de la fusillade, le téléphone sonne quatre fois. Puis un message est envoyé: «Hamza?», Hamza étant l’alias de Sofien Ayari. Or, la carte SIM utilisée par l’appelant sera retrouvée après les attentats dans la même poubelle de la rue Max Roos, à Schaerbeek, que le PC utilisé contenant les fichiers audio enregistrés par les terroristes (lire page 32). Les enquêteurs estiment tenir la preuve que les occupants de la rue du Dries, à savoir Salah Abdeslam, Sofien Ayari et Mohamed Belkaid, et le reste de la cellule terroriste étaient en contact les jours précédant les attentats. Que ceux de Forest étaient donc forcément au courant pour les explosifs dont la fabrication était en cours. Interrogé sur ce point par le juge d’instruction, Sofien Ayari n’avait fourni aucune explication.

Les contenus téléchargés par Hervé Bayingana Muhirwa témoignent de sa radicalisation.

Deux autres pistes mènent à Hervé Bayingana Muhirwa et Bilal El Makhoukhi, dont l’implication exacte reste encore floue. La première est matérialisée par une carte SIM insérée dans une tablette qu’Osama Krayem avait en sa possession lorsqu’il a été interpellé par la police à bord du véhicule d’Hervé Bayingana Muhirwa et en compagnie de celui-ci. Or, les images de surveillance de la boutique laekenoise où a été achetée la carte SIM montrent que l’acheteur est un homme ressemblant très fort à Hervé.

L’ exploration informatique a en outre prouvé que cette carte SIM fut insérée dans une autre tablette qui avait borné non loin de la planque de la rue des Casernes, à Etterbeek, où se terraient Osama Krayem et Khalil El Bakraoui. L’ autre piste relie un GSM Nokia trouvé au domicile d’Hervé Bayingana Muhirwa avec une carte SIM activée du 23 au 31 mars et dont l’utilisateur pourrait être Bilal El Makhoukhi.

La téléphonie de Bilal El Makhoukhi a d’ailleurs fait l’objet d’une attention particulière de la part des enquêteurs, sans doute parce que ce dernier a utilisé plusieurs numéros de téléphone et plusieurs boîtiers durant la période infractionnelle. Le 5 mars, il reçoit sur son téléphone habituel un coup de fil émanant d’un appelant qui, cinq jours plus tard, contacte Khalil El Bakraoui. Le même numéro tente de joindre à plusieurs reprises Hervé Bayingana Muhirwa le lendemain de la fusillade de la rue du Dries. Plus intriguant encore, Bilal El Makhoukhi éteint son téléphone à plusieurs moments clés, soit le 15, le 16 et le 21 mars, alors qu’il se rend rue Max Roos.

Rue de Tivoli, à Laeken, on retrouve un second exemplaire du recueil d’invocations La Citadelle du musulman, qu’ont feuilleté Abdeslam, Laachraoui, Ayari mais aussi Bilal Hadfi, l’un des kamikazes des attentats de Paris.
Rue de Tivoli, à Laeken, on retrouve un second exemplaire du recueil d’invocations La Citadelle du musulman, qu’ont feuilleté Abdeslam, Laachraoui, Ayari mais aussi Bilal Hadfi, l’un des kamikazes des attentats de Paris. © BELGA IMAGE

Le 15 mars correspond, comme on le sait, au jour où a éclaté la fusillade de la rue du Dries. C’est aussi le soir où Osama Krayem et Mohamed Abrini ont été transférés de leur cache vers le domicile d’Hervé Bayingana Muhirwa, l’ami de Bilal El Makhoukhi. Tous deux ont eu un échange de quelques secondes avant que Bilal ne coupe son téléphone. Dans ses déclarations, Osama Krayem confirme d’ailleurs que c’est par l’intermédiaire d’El Makhoukhi qu’il s’est retrouvé à la rue de Tivoli, à Laeken. Des accusations que ce dernier réfute.

Le lendemain, le 16 mars, Bilal effectue des déplacements vers l’appartement de l’avenue des Casernes et celui de la rue Max Roos où son téléphone active l’antenne toute proche. S’il admet s’être rendu à Schaerbeek cet après-midi-là, il n’y serait passé qu’en coup de vent. La veille des attentats, enfin, les téléphones d’Hervé Bayingana Muhirwa et de Bilal El Makhoukhi sont détectés dans la même zone, vers 21 heures. Ils se seraient retrouvés avec deux amis pour partager des pizzas dans un resto schaerbeekois. Problème: les deux amis en question soutiennent qu’ils n’étaient pas présents.

Après, c’est silence radio. Entre le 21 mars et le 1er avril 2016, Bilal El Makhoukhi et Hervé Bayingana Muhirwa n’ont plus aucun contact entre eux avec leurs numéros habituels. Bilal admet avoir utilisé un autre numéro durant cette période pour contacter son ami, mais sans raison particulière.

«Sale odeur»

Les contenus téléchargés par Hervé Bayingana Muhirwa sur le téléphone saisi lors de la perquisition de son domicile témoignent de sa radicalisation. Outre des fichiers audio et des images faisant référence à l’Etat islamique, les techniciens de la police judiciaire sont tombés sur un cliché représentant un masque à gaz, téléchargé le 4 mars. Dans son témoignage, Mohamed Abrini avait expliqué que c’est à cette période que le TATP en préparation dégageait une «sale odeur» et qu’ils étaient obligés de dormir avec un masque tant les émanations rendaient l’air irrespirable.

La téléphonie est aussi reprise dans les éléments à charge concernant Ali El Haddad Asufi, notamment pour la recherche d’armes pour le compte de la cellule terroriste, dont est soupçonné l’ami proche des frères El Bakraoui. Dans des conversations WhatsApp, Ali et son cousin, dont il est établi qu’il est en relation avec des trafiquants d’armes néerlandais, évoquent l’achat de cinq Clio et s’entendent sur le prix. Or, aux dernières nouvelles, Ali El Haddad Asufi n’est pas concessionnaire. Le 28 octobre, il encode plusieurs adresses sur son GPS, dont certaines sont liées à des trafiquants d’armes ou à des intermédiaires basés à Rotterdam. La téléphonie confirme qu’il se rendra bien dans la ville néerlandaise ce jour-là. Sur le chemin du retour, il sera en contact avec l’un des frères El Bakraoui. C’est vrai, justifie-t-il, mais la conversation portait en réalité sur des stupéfiants ramenés des Pays-Bas et non sur des armes. Une explication qui n’a pas convaincu les enquêteurs.

Les caméras de surveillance

Il y a eu beaucoup de passage sous l’œil des caméras de l’immeuble de la rue des Casernes, à Etterbeek, qu’ont quitté Mohamed Abrini et Khalid El Bakraoui le 22 mars au petit matin. A l’origine, c’est pourtant l’autre frère, Ibrahim El Bakraoui, qui avait sous-loué les lieux à Smail Farisi. Et c’est Ali El Haddad Asufi qui a joué les intermédiaires pour leur ami commun (ils se sont connus sur les bancs de l’école). A partir de début octobre 2015, Ibrahim El Bakraoui est filmé presque quotidiennement dans le hall d’entrée de l’immeuble en compagnie de Smail Farisi. Ali El Haddad Asufi leur rend visite à quinze reprises. Une présence sur les lieux qu’il ne nie pas mais il ne s’agissait, déclare-t-il, que de «visites amicales» au cours desquelles ils parlaient «de tout et de rien».

Après les attentats de Paris, Khalid El Bakraoui quitte le domicile où il vit avec sa femme enceinte et emménage à la rue des Casernes. Ibrahim, lui, quitte les lieux dans le courant du moins de janvier. A partir de mars, Osama Krayem est régulièrement vu à Etterbeek. Le 16, le lendemain de la fusillade de la rue du Dries, il y a un peu plus de mouvements. Khalid El Bakraoui est filmé en compagnie de Bilal El Makhoukhi (sa seule visite) puis, plus tard dans la soirée, avec Osama Krayem. Entre le 16 et le 21 mars, veille des attentats, Smail Farisi rend très régulièrement visite aux occupants de son appartement, apportant diverses choses dans des sacs en plastique. Des livraisons sur lesquelles il sera probablement amené à s’expliquer à l’audience.

L’autre partie intéressante de l’exploitation des images s’étend du 22 mars au 3 avril 2016 et concerne uniquement les frères Farisi. Le jour des attentats, en fin d’après-midi, Smail Farisi est filmé à trois reprises au pied de son immeuble, occupé à vérifier le contenu de sa boîte aux lettres. Le 23 mars, Smail revient avec son frère et deux amis et commence à faire place nette. Le 9 avril 2016, les policiers perquisitionnent les lieux. Tout est vide.

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