La journée du 22 mars au cœur de l’interrogatoire: « J’ai surpris tout le monde quand je suis revenu ici »

L’interrogatoire des accusés du procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles est entré dans le vif du sujet jeudi avec le début des questions croisées sur les faits. La présidente de la cour d’assises, Laurence Massart, a débuté en abordant le déroulé de la journée des attaques à Zaventem et Maelbeek avant d’orienter les interrogations sur les différentes planques.

Mohamed Abrini étant le principal concerné par la journée du 22 mars à Zaventem, c’est à lui qu’ont été adressées la majorité des questions du début de journée. L’accusé s’est épanché sur son départ de l’appartement de la rue Max Roos à Schaerbeek vers l’aéroport, en compagnie des kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui. Il a notamment affirmé avoir « montré que j’étais déterminé », alors qu’il n’avait jamais eu l’intention de se faire exploser, pour éviter d’éveiller les soupçons des autres. Dans le taxi, Mohamed Abrini ne parle pas, partagé entre le stress de voir les bombes exploser prématurément et la réflexion sur la manière d’annoncer son renoncement à ses compères.

   Une fois le commando arrivé à l’aéroport, on lui désigne sa cible. « La première chose que je vois c’est des femmes et des enfants. Je fais demi-tour direct et je leur dis ‘je ne fais pas ça‘ », a expliqué le trentenaire. Ibrahim El Bakraoui prendra sa place. Après la première explosion, Mohamed Abrini se met à couvert et se bouche les oreilles en attendant la deuxième. À aucun moment il ne songe à désamorcer sa propre bombe. « Je pense que ça aurait été très dangereux, le bouton-poussoir était au fond du sac, il fallait bouger les fils… Juste pousser le chariot contre le pilastre était dangereux. »

   L’accusé a par ailleurs assuré que le sac à dos d’Ibrahim El Bakraoui contenait une deuxième charge de 20 Kg de TATP, l’explosif fabriqué par les terroristes. Il a également confirmé que la cellule avait agi dans la précipitation et que le plan de base était d’attaquer la France au mois de juin, avant l’Euro de football. Enfin, l’homme a réitéré son affirmation selon laquelle la présidente de la cour n’était « pas apte » à juger cette affaire. « Comment vous voulez juger une affaire où des chefs d’État, dont ceux de l’État islamique, ont décidé quelque chose, et au milieu il y a nous ? », avait-il déjà lancé mercredi.

   La présidente est ensuite passée rapidement sur les faits concernant l’attaque à Maelbeek. Le principal concerné, Osama Krayem, ayant décidé d’invoquer son droit au silence, aucune question n’a pu lui être posée. Le Suédois a d’ailleurs décidé de retourner au cellulaire dès le début de l’audience et n’assiste donc pas aux débats.

   L’interrogatoire s’est alors orienté sur les différentes planques utilisées par la cellule de Bruxelles. Questionné sur la location de l’appartement de la rue du Dries à Forest, Salah Abdeslam s’est lancé dans une digression concernant la période infractionnelle. « J’ai un peu perdu le fil. Je ne comprends pas comment la période infractionnelle a été divisée. Pourquoi deux ou trois périodes ? Aurais-je droit à trois procès ? J’ai été condamné à Paris », a rappelé l’accusé. « Mon retour en Belgique n’était pas prévu. J’avais quelque chose à faire là-bas (en France, NDLR), je ne devais pas revenir (…). J’ai surpris tout le monde quand je suis revenu ici. Dans l’imprévu, il fallait prendre une décision et on a accepté de me cacher. C’est dans ce contexte-là que je suis parti rejoindre la cellule de Paris », a exposé Salah Abdeslam, insistant bien sur le fait qu’il ne s’agissait pas de la cellule terroriste de Bruxelles. « Je ne reviens pas pour participer à quoi que ce soit. » « On ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits », a ajouté l’accusé. « Mais par un jeu pervers, en jouant avec les lois et en divisant la période infractionnelle, cela arrive. »

   L’après-midi a principalement été consacrée aux questions concernant les appartements. Un grand nombre portaient sur des détails techniques, mais Ali El Haddad Asufi a été sollicité à plusieurs reprises sur ses relations avec Ibrahim El Bakraoui. Questionné notamment sur les versions divergentes qu’il avait présentées lors de ses auditions à propos des signes de radicalisation d’Ibrahim El Bakraoui, Ali El Haddad Asufi a expliqué : « Quand on m’a demandé la première fois si Ibrahim avait changé après sa sortie de prison, il venait de se faire exploser. Du coup, j’ai dit oui, car ça me paraissait évident », a raconté l’accusé. « Mais en refaisant le film dans ma tête, je me suis dit que je n’avais pas vraiment vu de changement en fait. En même temps, c’est quelqu’un qui vient du grand banditisme, il savait dissimuler les choses. »

   La présidente de la cour s’est également étonnée qu’Ibrahim El Bakraoui ait emmené Ali El Haddad Asufi à la rue Max Roos, à Schaerbeek, alors que les autres membres de la cellule n’étaient vraisemblablement pas encore au courant de l’existence de l’appartement. « Il se dit peut-être que, comme je ne suis au courant de rien d’autre, il peut me montrer l’appartement« , a répondu l’accusé.

   La journée s’est clôturée sur un débat concernant l’audition par vidéoconférence d’Ayoub El Khazzani, condamné en France à la réclusion en perpétuité pour l’attentat raté dans un train Thalys en 2015. Le parquet et les parties civiles se sont prononcées en faveur de la vidéoconférence, mais Me Jonathan De Taye et Me Virginie Taelman, qui représentent respectivement les accusés Ali El Haddad Asufi et Bilal El Makhoukhi, ont demandé à ce que le témoin soit amené physiquement devant la cour. Les autres avocats de la défense s’en sont remis à la sagesse de la présidente. La cour rendra son arrêt à ce sujet mardi prochain.

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