Jury central : on « brade » ?

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le jury central professionnel fait un carton chez les candidats. Le bon filon pour décrocher son diplôme de secondaire et entrer dans l’enseignement supérieur ? Pas sûr.

Débordé, le jury central professionnel organisé par la Communauté française. Il voit le nombre de candidats affluer sans cesse : en dix ans, il est passé de 50 à 500 candidats par an en 2014, soit une hausse annuelle de 10 %. A tel point que, pour l’administration, mettre sur pied les sessions d’examen relève du casse-tête : il faut déployer de plus grands moyens humains et financiers et trouver des locaux adéquats pour accueillir les nombreux étudiants. Les deux dernières années, il a fallu louer rien de moins que le Palais des Congrès de Liège.

Comment expliquer l’engouement pour ce jury « pro » ? Son niveau, tout simplement moins exigeant. Mieux : sa réussite donne également accès aux études supérieures ou universitaires, exactement comme le jury central général – le « grand jury » comme on l’appelle dans le jargon -, c’est-à-dire l’équivalent du diplôme de 6e secondaire général.

Concrètement, le programme est plus « light » et les candidats sont interrogés sur les matières générales et pratiques d’une 7e professionnelle. Dans la galaxie d’écoles à jury (une vingtaine sont concentrées à Bruxelles et dans le Brabant wallon), la formule explose. Ainsi, à côté du jury central général, presque toutes proposent désormais le jury professionnel, option auxiliaire d’accueil et administratif, une formation d’employé(e) de bureau polyvalent. Certaines en ont même fait une « spécialisation » et facturent la préparation à l’épreuve à environ 1 200 euros par mois en moyenne, généralement pendant un an. Leur argument de vente : un sésame pour les études supérieures. Elles promettent « une solide formation générale » aux candidats qui optent pour la filière professionnelle : « Dès lors, s’ils entament des études supérieures, pourront-ils les mener à bien », peut-on lire sur le site de l’une d’entre elles.

Un taux de réussite moyen de 20 %

« De fait, la très grande majorité des inscrits au jury professionnel veut accéder au supérieur. De sorte que sa vocation première est détournée : traditionnellement, il était destiné à ceux qui s’orientent vers un métier, à des adultes qui souhaitent reprendre des études ou valider leur expérience professionnelle », constate Fabrice Aerts-Bancken, directeur général adjoint au service général de l’enseignement secondaire.

Pour quel résultat ? Le taux de réussite moyen au jury professionnel est d’environ 20 %, alors que celui de l’enseignement général stagne autour de 5 % à 6 %. Ainsi selon David-Ian Bogaerts, directeur de l’école privée Brussels School, les épreuves du jury professionnel « correspondent à un niveau de 4e secondaire général ». « Voire moins, en ce qui concerne le niveau d’exigence en mathématiques », ajoute Bruno Terlinden, qui dirige l’école du Bois Sauvage et dont 10 % à 15 % des effectifs présentent la filière pro. Logique : « Le jury professionnel n’évalue pas le potentiel de l’élève à poursuivre des études supérieures », souligne Fabrice Aerts-Bancken. D’autant que si les inscrits se retrouvent dans cette filière, c’est très souvent parce qu’ils avaient des difficultés dans l’enseignement classique.

Ont-ils dès lors le niveau pour entamer un cursus supérieur ? Que deviennent les anciens lauréats ? Pas d’informations fiables. Plusieurs écoles privées proposant uniquement une préparation au jury professionnel avancent dans leurs publicités et sur leur site Internet l’exemple de candidats qui ont entamé des études de droit ou d’autres qui ont choisi de devenir pilote de ligne. Tout pour plaire aux parents. « S’il s’agit d’affirmer qu’après on peut réussir un cursus supérieur, c’est un miroir aux alouettes ! L’élève qui passe par un jury pro n’a aucune chance de réussir un cursus supérieur. En trente-cinq ans, je ne peux pas vous citer un seul exemple », conclut Bruno Terlinden.

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