© Frédéric Pauwels

Joëlle Milquet, phobie de la Flandre

Elle désespère le monde politique, ulcère les patrons, passe très mal dans une opinion conditionnée jusqu’ à la caricature : Joëlle Milquet, ministre et présidente du CDH, s’est mise durablement à dos la Flandre. Pourquoi tant de haine ?

La Flandre ne passe plus rien à Joëlle Milquet. Ou si peu. Quoi qu’elle dise ou qu’elle fasse, la ministre fédérale de l’Emploi ne fait qu’aggraver son cas. Février 2009, Opel Anvers appelle à l’aide le pouvoir fédéral pour se tirer d’affaire : le quotidien populaire à grand tirage Het Laatste Nieuws barre sa Une d’un impitoyable « Pas d’argent pour Opel » accolé au portrait de Joëlle Milquet, « opposée à l’opération de sauvetage ». Message ravageur. La machine à embrigader les consciences flamandes tourne à plein régime : jeunes chômeurs ou travailleurs âgés, les masses laborieuses de Flandre ont toujours une bonne raison de gémir sous les mesures intempestives de Joëlle Milquet. Même les personnes handicapées en quête d’un job en Flandre auraient eu à souffrir de sa tutelle. Cette diablesse, fantasque, ingérable, têtue, n’obéirait qu’au langage de la menace. Il faut que les ministres flamands de l’Emploi dégainent l’arme juridique du conflit d’intérêts pour ramener Milquet à de meilleurs sentiments. A la N-VA, la messe est dite depuis longtemps. Au printemps 2010, la députée flamande Helga Stevens lançait l’anathème. Il n’a pas varié aujourd’hui : « Milquet ne veut rien entendre des besoins et des intérêts flamands. Selon elle, il n’existe qu’une seule réalité belge, entendez francophone. C’est Madame toujours non. » Dans le jargon nationaliste flamand, le crime porte un nom : la « Milquetiaanse belgitude ».

Cela fait quatre ans que cette posture agace prodigieusement la Flandre. Depuis ce mémorable été 2007, au cours duquel la présidente du CDH a hérité de ses galons de « Madame Non ». Les années passent, la focalisation demeure. Seul le FDF Olivier Maingain fait à ce point figure d’abcès de fixation. « Sauf qu’aujourd’hui Milquet n’est plus considérée comme la femme capable de faire la différence. Elle a perdu les dernières élections, elle n’est plus que no 3 ou 4 en Wallonie », rectifie Eric Van Rompuy, l’un de ses plus fidèles détracteurs. Le député régional CD&V y trouve une raison de plus pour pester : « Joëlle Milquet ne comprend rien à l’opinion publique flamande, elle n’a toujours pas saisi le changement qui s’y est produit. Son profil néobelgiciste en a fait la fossoyeuse du pays, en faisant le jeu de la N-VA. » Et au passage les malheurs du CD&V, qui lui attribue volontiers une bonne part de ses déboires.

Milquet attire les ennuis dans le nord du pays. Elle prend tous les coups, à force de rester en première ligne sur les deux fronts : être à la fois ministre fédérale de l’Emploi et présidente d’un petit parti francophone, le cumul est devenu affreusement lourd à porter. Entre la N-VA et le Voka, Milquet est prise en tenaille. Exposée à un infernal tir de barrage. Fin avril, c’est le patron de l’Unizo, Karel Van Eetvelt, qui flingue « la ministre anti-patron », « ses décisions unilatérales », sa manie de tout vouloir régenter. « Elle est démissionnaire, donc je ne peux pas exiger sa démission. Je peux seulement espérer qu’un nouveau gouvernement sera rapidement mis sur pied, dans lequel elle n’occupera plus cette fonction. » Le porte-voix des PME flamandes assume la virilité du ton : « C’est dans notre culture. A l’inverse des Wallons, qui s’y prennent de manière plus diplomatique, les patrons flamands ont l’habitude de dire les choses de manière plus tranchée aux ministres. » Sur le fond, Van Eetvelt pare le coup : « Le problème avec Joëlle Milquet n’est pas communautaire. Mais force est de constater que tous ses prédécesseurs à l’Emploi, bien que de gauche ou de centre-gauche, étaient plus soucieux d’équilibre et de neutralité dans ses rapports avec les partenaires sociaux. »

Le reproche ne trouve qu’un écho assourdi sur le banc patronal wallon. « L’honnêteté intellectuelle commande de dire que Joëlle Milquet n’a pas non plus la vie facile avec les syndicats. Cela dépasse son cas personnel : aucune organisation patronale ne s’est jamais félicitée des ministres de l’Emploi, qui, par nature, sont voués à préserver ou à stimuler l’emploi. Ce qui les amène fréquemment à se heurter aux intérêts de l’entreprise », décode Vincent Reuter, administrateur délégué de l’Union wallonne des entreprises.

Trêve de discussions. Eric Van Rompuy est de ceux qui, en Flandre, ont renoncé à comprendre Joëlle Milquet et sa logique, qui n’attendent plus d’elle un sursaut. « On ne doute pas de ses bonnes intentions ni de sa bonne volonté à trouver des compromis. Mais le résultat qu’elle produit est inverse : elle a fini par énerver tout le monde par son incapacité à avoir une ligne claire, par cette impression qu’elle donne de ne pas savoir ce qu’elle veut. » Gros, énorme soupir.

Le Vif.be, avec Belga

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