Joachim Coens © Franky Verdickt

Joachim Coens (CD&V): « Paul Magnette aurait dû être Premier ministre »

Peter Casteels
Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

Vaccination obligatoire, politique d’asile, escarmouches francophones au sein de la Vivaldi… Le président du CD&V, à la veille du congrès de son parti, revient sur les gros dossiers du moment. Y compris sur ceux qui critiquent son manque d’envergure à la tête de la formation politique.

Notre confrère de Knack a interviewé Joachim Coens – en ligne, en raison d’un contact à risque – vendredi dernier, alors que le troisième Comité de concertation d’affilée était en cours. Le CD&V y est bien représenté avec les ministres Annelies Verlinden, Hilde Crevits et Vincent Van Peteghem, et Coens suivait les discussions en direct grâce au groupe WhatsApp dont font partie tous les ministres du CD&V.

« Tout le monde est mécontent », déclare Coens lorsque nous lui demandons après coup de réagir aux décisions. « Les problèmes aigus qui se posent dans le domaine des soins de santé nécessitent aussi des interventions aiguës. La fermeture d’écoles dans un délai de quinze jours n’est pas une intervention aiguë. Mais manifestement, les autres partis ne voulaient prendre que des mesures ponctuelles comme dans le secteur de l’événementiel. J’espère qu’un nouveau Comité de concertation ne sera pas nécessaire. » (NDLR : entre-temps, un nouveau Codeco a été planifié le 22 décembre)

Il s’agissait du troisième Comité de concertation en deux semaines et demie. Pour beaucoup de personnes, il est difficile de continuer à faire confiance aux politiciens.

Joachim Coens : Depuis un certain temps déjà, nous plaidons pour un certain nombre de décisions importantes. Wouter Beke a été l’un des premiers politiciens à vouloir une piqûre de rappel pour tous, même lorsque les experts hésitaient encore. Nous sommes également favorables à la vaccination obligatoire. Et depuis longtemps, nous plaidons pour un baromètre corona.

La plupart des partis sont favorables à la vaccination obligatoire, mais la décision a été reportée à l’année prochaine. Pourquoi personne ne fait avancer les choses?

Alexander De Croo (Open VLD) ne veut pas. Le Premier ministre a affirmé au Parlement que seuls des pays comme la Micronésie le font, alors que l’Indonésie, qui compte 270 millions d’habitants, a pris cette mesure. Il avait à peine fini de parler que l’Autriche rendait la vaccination obligatoire, et l’Allemagne l’envisage également. L’argument le plus courant contre l’obligation est que l’on ne sait pas exactement comment le gouvernement peut la faire respecter. Pourtant, il existe différentes options – le vaccin contre la polio est également obligatoire. Je ne pense même pas qu’il faille en arriver là. L’obligation seule incitera de nombreuses personnes à s’inscrire.

Vous n’êtes pas non plus les seuls à être favorables à un baromètre corona, qui indique à l’avance quelles mesures de crise seront prises et quand. Mais n’est-ce pas une illusion de penser que ce pays peut être gouverné par un tel instrument ? Les politiciens n’osent pas prendre les décisions les plus difficiles que lorsque la pression est très forte.

Il serait bon d’objectiver certaines choses. Et aussi ce que les experts nous conseillent, car cela diffère parfois. L’Afrique du Sud, la Nouvelle-Zélande et Singapour utilisent déjà un tel baromètre. Pour l’instant, les gens ont l’impression – à juste titre – que nous improvisons. Nous devons nous débarrasser de cette manière de faire.

Vous étiez censé organiser un congrès de fond samedi prochain comme dernière pièce de votre opération de renouvellement. Pour l’instant, il semble qu’il aura lieu en ligne, alors que les médias parlaient déjà du congrès de la dernière chance pour vous. Cela vous dérange-t-il ?

J’ai remarqué que les journalistes aiment écrire de telles choses. Cependant, j’ai été élu président pour trois ans, il me reste donc encore au moins un an à faire. Le congrès était censé être un moment de stimulation, c’est vrai. Nous pouvions enfin nous parler face à face. Nous espérons l’organiser en mars, si le coronavirus nous le permet. Samedi, nous présenterons 142 propositions à nos membres, et le résultat indiquera la direction que prendra le parti.

Un membre anonyme du parti a qualifié ces déclarations de « vides » dans le quotidien Gazet van Antwerpen.

Il y a pourtant beaucoup de bonnes choses. Nous sommes également en train de définir les grandes lignes. Pour moi, l’importance de la proximité est centrale, par opposition au gigantisme autour duquel notre économie et notre société sont organisées aujourd’hui. Le CD&V défend la qualité de vie des gens, et non la recherche du profit de multinationales. Pendant longtemps, tout devait être plus grand, plus rapide et plus efficace, et nous avons suivi ce mouvement pendant bien trop longtemps. Nous avons complètement perdu de vue la dimension humaine. On disait autrefois que le communisme déterminait complètement la vie des personnes qui y étaient soumises. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui, il en va de même pour le capitalisme. Les gens sont devenus des produits, des données.

Joachim Coens et le CD&V vont-ils réussir à réduire le gigantisme?

Si vous n’avez pas cette ambition, cela ne fonctionnera certainement pas. Vincent Van Peteghem, en tant que ministre des Finances du gouvernement De Croo, travaille sur la réforme fiscale. Un système fiscal équitable est un élément très important de cette bataille. Nous voulons que des entreprises comme Google, Facebook et Netflix soient sérieusement taxées sur les bénéfices qu’elles réalisent dans notre pays.

Je ne comprends pas non plus pourquoi les personnes qui achètent une deuxième, troisième, quatrième ou parfois même cinquième maison doivent encore être soutenues par le gouvernement. Nous devrions abolir cela aussi. En ce qui nous concerne, les frais d’enregistrement pour l’achat d’un premier logement peuvent être réduits à 0%. Et nous devons aussi défendre les gens ordinaires. Alors que les prix ne cessent d’augmenter, j’entends des appels à la suppression de l’index. Il est tout à fait logique que nous nous en tenions à l’index pour le moment.

Cet accent mis sur la proximité, même dans votre manifeste de Noël, vous a valu d’être taxé d’esprit de clocher et de provincialisme. Votre liste de propositions dégage un peu cette atmosphère.

Je ne comprends pas cette critique. Nous ne nions pas la mondialisation et nous ne détournons pas le regard des innovations technologiques et du changement climatique. Au contraire, nous cherchons des solutions pour rendre ce nouveau monde vivable pour les gens. C’est aussi une histoire urbaine. Ou pensez-vous que les habitants de la ville ne s’intéressent pas à la viabilité? Eux aussi veulent vivre dans un quartier sûr, où le voisin parle néerlandais et où la police est accessible.

Lors du congrès statutaire de votre parti en juin, vous n’avez pas fait approuver une reformulation de ces statuts. Êtes-vous nerveux quant aux chances de succès de toutes les propositions ?

Nous avons eu un dialogue sur ce texte de principes, et aujourd’hui, nous avons une proposition que tout le monde approuvera. D’ailleurs, ces propositions sont le résultat d’un processus impliquant tous les membres du parti. Tous n’atteindront probablement pas les 60% de voix nécessaires. Mais nous verrons samedi.

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La décision la plus importante que vous ayez prise en tant que président a été de conduire votre parti dans le gouvernement Vivaldi. Vous le regrettez déjà ?

Non. Nous étions favorables à un gouvernement avec la N-VA et le PS, mais ces tentatives ont échoué. À l’époque, nous étions quatorze mois après les élections et au milieu d’une pandémie. Il était important d’avoir un gouvernement avec les pleins pouvoirs, même si ce sentiment d’urgence a longtemps fait défaut à de nombreux autres partis. La constellation du gouvernement De Croo, avec sept partis, est quelque peu étrange, mais elle est ce qu’elle est.

Saviez-vous alors qu’avec Paul Magnette (PS), vous auriez un Premier ministre de l’ombre redoutable?

Le PS est le parti le plus important. Au fond, Paul Magnette aurait dû devenir Premier ministre, je l’ai également dit pendant les négociations. L’équipe travaille bien ensemble sous la direction d’Alexander De Croo, même s’il y a souvent des escarmouches du côté francophone. J’ai l’impression que les partis gouvernementaux flamands ont tiré leurs conclusions de l’expérience suédoise. Ils ont compris que les gens en avaient assez des querelles entre partenaires de la coalition. En Belgique francophone, on fait apparemment une analyse différente, et on pense toujours qu’il est judicieux de mener le débat dans les médias. Nous verrons ce que cela donnera.

Les réformes du gouvernement De Croo ont échoué. Tout est bloqué.

Après le coronavirus, il y aura encore beaucoup de dossiers sur la table, oui. Même la réforme des retraites devra être reprise, car c’est vraiment une question cruciale pour ce gouvernement. Nous devons redonner aux gens la sécurité et la certitude qu’ils bénéficieront d’une bonne pension. Il y a beaucoup de choses à ce sujet dans l’accord de coalition qui doivent encore être mises en oeuvre.

Votre homologue du MR Georges-Louis Bouchez est sous les feux de la rampe depuis un an pour son opposition à la sortie du nucléaire, dont le principe a également été décidé dans l’accord de coalition. Pensez-vous parfois à chercher un tel thème et à en faire une histoire sans fin ?

Bouchez est perçu par beaucoup de gens comme quelqu’un qui cherche l’attention ; ce n’est pas l’image que j’ai de moi. Bien sûr, un président peut toujours exprimer son opinion, mais il doit aussi connaître l’historique des dossiers. Dans le gouvernement précédent, la libérale francophone Marie-Christine Marghem était responsable de l’énergie. Elle a accepté la sortie du nucléaire, mais ne l’a pas préparée correctement. Pour nous aussi, la sécurité d’approvisionnement reste une condition essentielle de la sortie du nucléaire. Le fait que l’usine de gaz d’Engie à Vilvorde n’ait pas reçu de licence est un élément très important à cet égard. Ce problème doit être résolu avant que nous puissions prendre une décision finale. C’est maintenant à Engie de trouver des alternatives.

En tant que secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi a dû remettre de l’ordre après le passage de Theo Francken (N-VA). Mais il ne parvient même pas à trouver un abri pour chaque demandeur d’asile. La semaine dernière, au centre d’enregistrement Klein Kasteeltje, un homme dans la file d’attente a dû être emmené par une ambulance parce qu’il était en hypothermie.

Personne – et surtout pas Sammy – ne veut que les gens passent l’hiver dans les rues. Il recherche assidûment des refuges, mais ne peut pas le faire seul. Il a besoin de la coopération des autorités locales et de l’armée. Il faut du temps à Sammy pour convaincre ces gens de la gravité de la situation.

Ne réussit-il pas, ou ne le veut-il pas vraiment ? Groen a plaidé en faveur de la mise à disposition de chambres d’hôtel comme hébergement d’urgence, mais Mahdi a refusé. Il trouvait que de tels abris créeraient un effet d’aspiration.

Les demandeurs d’asile dans une chambre d’hôtel, ce n’est pas l’image que nous voulons donner de la politique d’asile belge.

L’image d’un demandeur d’asile emmené à l’hôpital passe mieux ?

Nous n’avons pas besoin d’hôtels pour trouver des abris. La semaine dernière, Sammy a pu annoncer une percée au parlement pour un abri dans la caserne de Glons, d’autres suivront.

Peut-être que Mahdi n’a pas assez de temps pour gérer son département, parce qu’il est trop occupé à scier les pieds de votre chaise ? Il fait actuellement la promotion de From Hollow to Full, un livre où il a consigné sa vision du parti.

Je n’ai pas du tout ce sentiment. J’ai un très bon contact avec Sammy. Notre processus de renouvellement est conforme à ce qu’il préconise. Il veut donner au parti un profil plus net, et c’est aussi une des raisons pour lesquelles les membres ne peuvent pas amender les propositions lors du congrès. Il a parfois été une tradition dans notre parti de tout amender jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Samedi, les membres ne peuvent que voter « oui » ou « non ».

En tant que président, vous n’avez pas encore réussi à donner un nouveau souffle au CD&V, ce qui vous a valu de nombreuses critiques dans les médias. Êtes-vous une erreur de casting en politique?

(souffle). Il y avait sept candidats aux élections de présent de parti. J’ai gagné, et depuis, je fais simplement de mon mieux. Les médias accordent beaucoup d’attention à notre parti. Cela signifie que les gens attendent beaucoup de nous, et à juste titre. Mais les défis d’aujourd’hui concernent tous les partis. Comment regagner la confiance des gens dans le système politique ? Je pense que nous avons besoin d’un discours unificateur qui rassemble à nouveau les gens. Cela peut être contradictoire à l’esprit du temps, mais je suis convaincu que les gens se lasseront de la dureté d’aujourd’hui.

Craignez-vous parfois que le CD&V ne s’intègre tout simplement pas dans le paysage des partis d’aujourd’hui ? La semaine dernière, l’ancien président Stefaan De Clerck a plaidé pour une nouvelle coopération entre le CD&V et la N-VA.

Nous avons déjà essayé. Ce cartel a échoué, et depuis lors, tant la N-VA que nous, avons évolué. Leur histoire économique n’est pas la nôtre, et ils courent après un parti de droite avec lequel nous ne voulons rien avoir à faire. Je ne vois pas un tel cartel se reproduire.

Enfin, la sonnette d’alarme dans votre parti s’est vraiment déclenchée lorsqu’en juin un sondage du Het Laatste Nieuws ne vous a crédité que de 10%. Retenez-vous votre souffle pour le nouveau sondage?

Ces sondages ont surtout un impact sur la confiance en eux de nos membres. C’est dommage, car j’ai rencontré tellement de personnes fantastiques dans notre parti ces deux dernières années. Elles ont toutes les raisons d’être confiantes dans l’avenir.

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