Photo prétexte

« J’inviterais volontiers notre ministre des masques à venir voir la situation sur le terrain »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

À l’heure où le bilan des victimes du coronavirus en Belgique s’alourdit, Christophe, médecin assistant en médecine interne à Epicura, soigne les patients atteints du covid-19. Loin des chiffres que l’on nous assène quotidiennement, son témoignage nous plonge dans le quotidien du personnel médical en première ligne. Entretien.

Soignez-vous un nombre élevé de patients atteints du coronavirus ?

Le centre hospitalier Epicura compte sept sites dans le Borinage (région de Mons) et dans l’arrondissement de Ath, et accueille les patient Covid19 sur trois d’entre eux. Nous sommes situés dans un des foyers épidémiques. Par conséquent, nous soignons des patients sur les sites de Baudour et Hornu. La région de Mons est particulièrement touchée par le virus. On ignore les raisons précises, mais la présence historique de nombreux Italiens dans l’ancien site minier pourrait constituer un début d’explication.

Certains d’entre eux ont en effet passé les vacances de Carnaval dans leur famille en Italie avant de revenir en Belgique. D’autres sont rentrés en Belgique juste avant la quarantaine décrétée en Italie, ce qui pourrait expliquer l’accélération de la propagation dans la région. Ici, à Hornu et Baudour, les deux unités de soins intensifs sont déjà bien occupées, mais nous avons aménagé des places de soins intensifs dans la partie réveil du quartier opératoire afin de pouvoir soigner davantage de patients.

L’hôpital est-il suffisamment équipé pour soigner les patients atteints du Covid-19 ?

Nous devons utiliser le matériel médical avec grande parcimonie. Une partie du matériel médical, dont les masques, est distribuée selon une clé de répartition définie par le gouvernement. Les masques de type FFP2, indispensables pour intuber un patient atteint ou pour pratiquer de la kiné respiratoire, sont très précieux. En dehors de ces actes, à risque d’aérosolisation, nous utilisons des masques chirurgicaux simples selon les recommandations de l’OMS, mais on doit les utiliser aussi avec parcimonie. Mes amis et ma famille se sont mobilisés pour rassembler des masques FFP2, utilisés également dans la construction et dans l’agro-alimentaire, que j’utilise pour éviter de puiser dans les réserves de l’hôpital. Les stocks de blouses de protection, de tabliers, de lunettes de protection, etc, risquent également d’être globalement en pénurie. J’ai un peu de mal à comprendre le manque de prévoyance et de mobilisation gouvernementale face à cette pénurie. J’inviterais volontiers un de nos chers politiciens, notre nouveau ministre des masques par exemple, à venir voir la situation à laquelle nous sommes confrontés sur le terrain.

Comment le personnel soignant vit-il la situation ?

Ce qui est particulièrement difficile, c’est de se sentir exposé à tout moment. Comme il n’y a pas de tests de dépistage pour le personnel asymptomatique, nous ignorons si nous sommes infectés ou pas. C’est très angoissant, car on sait qu’on peut contaminer ses proches en rentrant à la maison.

Quand je sors de l’hôpital, où nous sommes au coeur de l’épidémie, j’ai l’impression de basculer dans un autre monde. Je vois les passants se promener au soleil, rouler à vélo, s’amuser, faire leurs courses etc. Et quand je fais mes courses, je suis très étonné de voir encore des personnes âgées dans les supermarchés. J’ai envie de leur dire : « Des personnes de votre âge, nous en avons intubées trois aujourd’hui. » La population devrait se mobiliser afin de les protéger, proposer de faire leurs courses, faire des repas, etc… Les grandes surfaces pourraient également proposer des livraisons à domicile prioritaires pour les personnes âgées. Elles sont tellement vulnérables.

L’évolution de la maladie est très aléatoire. Je vois mourir des patients de moins de septante ans qui ont peu de comorbidités. C’est difficile en tant que soignant de se sentir aussi impuissant. En revanche, cette semaine, deux patientes de 92 ans ont pu quitter l’hôpital.

Les patients, pour des raisons médicales évidentes, ne peuvent pas recevoir de visites, et se sentent très isolés. Les visites aux patients en état critique sont très limitées. Nous nous sentons particulièrement démunis par rapport à la détresse psychologique des patients et de leurs familles. Cela pèse également sur le moral. Heureusement, il y a une entraide psychologique au sein du personnel hospitalier.

Diriez-vous que la situation est sous contrôle ?

La situation est grave, mais tout le corps médical fournit énormément d’efforts. Malgré les difficultés logistiques, l’hôpital et les équipes tournent bien et sont très impliquées. Nous réaménageons les services, et en cas de besoin, nous transférons des patients vers d’autres hôpitaux qui sont moins débordés. Il faut rester prudent, il est difficile de prévoir l’évolution de la situation, mais pour le moment je dirais que nous avons une semaine de retard sur la France et deux, trois semaines de retard sur l’Italie. Nous attendons donc une aggravation de la situation dans les prochains jours.

Avez-vous un message à passer à la population ?

Oui, je redoute que le coronavirus empêche des patients atteints d’autres pathologies graves, telles qu’un infarctus, une appendicite, une diverticulite, une cholecystites etc. de venir à l’hôpital à cause du coronavirus. Je redoute de voir arriver des patients dans des états dépassés, en septicémie, en insuffisance cardiaque voire décédés suite à des pathologies qui sont habituellement guérissable. Si vous avez très mal au ventre, des douleurs dans la poitrine, ou une symptomatologie qui s’aggrave de jour en jour, qui ne cède pas sous antidouleurs, surtout prenez contact avec votre médecin traitant ou les urgences, qui vous dirigerons dans la bonne direction. L’hôpital a mis en place, dès les urgences, des circuits dédiés pour les patients infectés.

Philippe De Backer,
Philippe De Backer, « le ministre des masques »© Belga

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire