Carte blanche

J’ai peur pour nos étudiants confinés

L’autre jour, nous avons discuté avec mes étudiants du paradoxe de Hempel que nous avons rebaptisé paradoxe du confiné. L’idée est simple, elle part de l’affirmation « tous les corbeaux sont noirs ». On en déduit que tout ce qui n’est pas noir n’est pas un corbeau, sinon tous les corbeaux ne seraient pas noirs. C’est (la contraposée) logique. D’où le paradoxe de l’étudiant confiné : en faisant le tour de sa chambre, chacun peut vérifier consciencieusement que toutes les choses non-noires ne sont pas des corbeaux, il en déduit donc que tous les corbeaux sont noirs. Magique, car l’étudiant confiné n’aura observé absolument aucun volatile.

Le tour de passe-passe du raisonnement par induction s’applique-t-il à l’enseignement lui-même ? Pour le dire en d’autres termes, l’étudiant confiné bénéficie-t-il de la même qualité d’enseignement que d’ordinaire, ou bien est-ce celle d’un ornithologue en chambre ? Diantre, si tel était le cas, on aurait donné cours avec la caméra depuis longtemps. Malgré tous les efforts, le niveau de notre enseignement s’en ressent et les étudiants en pâtissent.

On ne jette la pierre ni à Pierre, ni à Paul, chacun fait ce qu’il peut. Mes histoires de corbeaux et de contraposée logique ont pris le double du temps pour être expliquées et comprises, vérification demandée aux étudiants connectés ce jour-là. Une partie du message se perd, toute la communication paralinguistique (le non-verbal) pourtant essentielle passe à la trappe, ne parlons pas de la communication métalinguistique, il vaut mieux rester sur un seul registre de langage au risque de perdre tout le monde dans un grand Fatal Error.

Quel est le problème du cours en ligne ? C’est d’être en ligne justement. La bande passante ne passe pas grand-chose, on ne doit pas être les seuls à vouloir passer par elle. Si on voyait tout en noir, comme les corbeaux, on pourrait croire que l’enseignant se transforme en représentant de commerce de monsieur Gates, Bill Gates, le concepteur, ou plutôt le propriétaire du logiciel utilisé pour enseigner aux étudiants confinés. Une solution plus ouverte n’était-elle pas disponible ?

L’enseignant doit se focaliser sur le point lumineux à côté du caméscope, il faut parler face caméra sinon on perd la moitié des spectateurs. Il n’aura pas d’autre repère visuel, ne recevra pas de retour des ex-têtes blondes agacées ou intriguées, riantes, drôles, bruyantes, vivantes enfin. Les fameux visages qui manquent tant au prof. Marc Verdussen, vous ne les verrez pas, car il serait illusoire de demander à la bande passante de passer le signal de chaque étudiant, déjà que le vôtre c’est couci-couça. Régulièrement, on interrompra l’exposé afin de demander si tout le monde suit, cela permettra de vérifier que les chères têtes blondes n’ont pas été se servir un godet, enfin cela on n’en saura rien, au moins on nous répondra quelque chose. Que l’enseignant ne soit plus seul se confirme, même s’il ne peut décemment interrompre son exposé toutes les trois cents secondes, sinon il ressemblerait à une story sur Instagram (l’exposé, pas l’enseignant).

Le véritable problème du cours en ligne se situe dans le concept même du cours à distance, au-delà des impératifs matériels. La barrière technologique, l’isolement, le manque d’interaction sociale, mais aussi l’entraide réduite à néant, les bibliothèques fermées, les cercles et bars où les étudiants bavardent, partagent des informations cruciales et des bières. Les plus fragiles socialement, économiquement, les étudiants précarisés, ceux qui ont besoin de plus de temps, ce sont ceux-là qui m’inquiètent. Le système du cours virtuel n’est pas idéal. Les plus forts s’en sortiront, les plus faibles payeront le prix double : confinement comme tout le monde et perte d’une année juste pour eux.

En vérité, tous les étudiants n’ont pas une chambre au calme, ni même un ordinateur, ni encore un morceau de bande passante. Certains se préoccupent plutôt de payer le loyer ou de remplir le frigo. Avant, ils faisaient le louffiat dans des bars, c’est ballot ils sont fermés. Alors, on fait quoi ? On avance avec les autres et puis on saque les retardataires ?

Personnellement, mon choix est fait. Outre le fait de démultiplier les séances, de conserver les moments de cours ou de discussion en commun pour structurer la journée et la semaine, plutôt que de livrer les capsules en podcast, il a fallu modifier l’apprentissage en augmentant les travaux personnels et en diminuant la communication descendante. Il reste un point crucial, régler le sort des examens. À la fin, on a beau dire, c’est ce qui intéresse tout qui s’est trouvé dans une situation d’apprentissage. Une idée serait de proposer aux étudiants confinés une épreuve formative, préparée à l’avance plutôt qu’un interrogatoire ou questionnaire surprise relatif aux matières enseignées avec la caméra.

Quid du résultat ? En toute honnêteté, je ne vois pas comment on arrêterait un étudiant confiné sur les cours du second quadrimestre, celui qui a démarré en février, surtout si l’examen a lieu en ligne. Que nos étudiants puissent être rassurés grâce à une décision collective des universités, relève de l’évidence. Ce ne serait ni la panacée, ni le remède miracle, un simple pis-aller, au moins ils ne seraient pas bloqués dans leur cursus académique à cause du Covid-19.

Qu’il me tarde de retrouver ces joyeux étudiants pour rire, boire et chanter ! Confiné ou pas confiné, c’est toujours pour eux qu’on se lève tous les matins.

Fabrizio Bucella est physicien, docteur en Sciences et professeur à l’Université libre de Bruxelles

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