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La mobilisation pour venir en aide aux Gazaouis passe aussi par les universités. A Liège, on attend impatiemment un chercheur palestinien. Et il ne s’agit pas que d’une démarche humanitaire, puisqu’elle est aussi scientifique. © BELGA

«Incompréhensible»: pourquoi ce chercheur palestinien ne peut-il pas venir travailler à l’ULiège?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’université de Liège s’est engagée à accueillir un chercheur palestinien, qui reste coincé depuis des mois à Gaza. Cet informaticien a pourtant reçu un permis de travail en bonne et due forme. A l’ULiège, on digère mal l’attitude de l’Etat belge, qui manquerait cruellement de volonté.

«On ne demande pas grand-chose à l’Etat belge, même pas un centime. La seule chose qu’on réclame, c’est un soutien administratif, une espèce de voie rapide administrative qui permettrait enfin au Palestinien Basem Ahmed de venir à Liège», lance Elise Franssen, chercheuse qualifiée F.R.S.-FNRS et professeure associée à l’université de Liège. Au sein de l’institution, on ne souhaite en aucun cas désespérer, mais on perd véritablement patience face à l’impossibilité de faire venir ce chercheur palestinien à Liège. Et la situation est «kafkaïenne», dénonce-t-on.

Depuis 2022, l’ULiège, comme d’autres universités belges, est une «université hospitalière». Ce programme, qui n’est donc pas spécifique à la situation à Gaza, permet d’accueillir sur le campus des étudiants ou chercheurs confrontés à des situations de conflit ou de péril pour leur vie, dans leur pays d’origine. C’est dans ce contexte qu’a été sélectionné Basem Ahmed l’an dernier. «Il est informaticien, spécialisé dans le traitement automatique des langues. Il s’intégrerait parfaitement dans un programme de recherche que notre université mène en collaboration avec l’université de Lorraine, précise Elise Franssen. Lorsque l’éducide, donc le fait que les établissements scolaires, universitaires et de recherche soient spécifiquement ciblés, a été avéré à Gaza, nous avons décidé d’accueillir des collègues gazaouis

A Liège, trois bourses ont été dégagées pour des Palestiniens, mais aucun des trois chercheurs n’a pu rejoindre la Cité ardente à ce jour, le dossier de Basem Ahmed étant le plus long et, quelque part, emblématique des blocages dénoncés par l’université.

Un chercheur palestinien attendu à Liège

Les démarches nécessaires ont été accomplies, «y compris un screening de la Sûreté de l’Etat», indique Michel Moutschen, vice-recteur à la recherche. Basem Ahmed n’a pas encore obtenu de visa auprès de l’Office des étrangers, mais détient bien un permis de travail octroyé par la Région wallonne. L’université de Liège a débloqué des moyens pour accueillir le chercheur palestinien, sa famille, et assurer sa rémunération. «Il faut comprendre que ce n’est pas uniquement de l’humanitaire, mais un programme scientifique, avec des candidats sélectionnés selon des critères rigoureux», insiste Elise Franssen.

Le problème? Le chercheur palestinien, qui était professeur à l’université al-Aqsa avant que n’éclate la guerre, se trouve encore et toujours à Gaza et non à Liège. Durant l’été, la rectrice de l’ULB, Annemie Schaus, avait dénoncé une situation similaire concernant l’impossible arrivée dans son université d’un autre chercheur, Ahmed Alsalibi, et de sa famille. Ce cas-là n’est pas encore résolu non plus.

A Liège, Elise Franssen et Michel Moutschen regrettent amèrement le manque de proactivité des autorités politiques, singulièrement le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés), pour débloquer la situation du Palestinien. «Nous avons pris tous les contacts nécessaires, nous avons entrepris quantité de démarches pour organiser sa sortie de Gaza, mais rien ne bouge. C’est incompréhensible», dénonce le vice-recteur.

Le cessez-le-feu intervenu à Gaza rend un peu d’espoir à l’université, certes, «mais il existe néanmoins une dimension de non-assistance à personne en danger. Tout est fait dans les règles pour permettre à ce chercheur palestinien d’exercer son métier, de faire avancer la recherche, de faire grandir l’université de Liège, mais aussi de contribuer à la reconstruction de son pays, mais nous nous heurtons à un mur administratif et politique», commente Elise Franssen.

Plus globalement, les Gazaouis souhaitant venir en Belgique par la voie d’un visa humanitaire ou d’un regroupement familial rencontrent également les plus grandes difficultés à quitter le territoire. Cette situation est dénoncée par une série d’avocats spécialisés en droit des étrangers, qui l’expliquent par un manque de volonté du ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés) et de la ministre de l’Asile et de la Migration, Anneleen Van Bossuyt (N-VA).

Maxime Prévot leur répond en substance que son souhait et son objectif sont bien d’évacuer le plus de personnes possibles de Gaza. Mais «les conditions sur place sont très difficiles. Nous sommes confrontés à des défis énormes, aux plans sécuritaire, opérationnel, administratif et politique (entre autres la nécessité d’avoir plusieurs accords des autorités israéliennes). Une évacuation ne se fait pas du jour au lendemain, c’est une opération complexe qui requiert une longue et intense préparation», indiquait-il avant le cessez-le-feu.

Surtout, ajoute le ministre des Affaires étrangères, «nous n’avons pas d’autre choix que de focaliser nos efforts et nos moyens». Cela signifie, en clair, qu’une liste de 500 personnes à évacuer a été arrêtée par le gouvernement fédéral et qu’il n’y a «pas d’autre choix que de focaliser nos efforts et nos moyens» sur celles-ci, avant de prendre d’autres engagements.

Un Palestinien qui reste loin de Liège: «Extrêmement frustrant»

Et c’est bien cette posture qui est perçue comme bien trop rigide par les autorités de l’université de Liège, qui n’ont pas manqué d’alerter les sphères politiques sur la gravité de la situation pour le chercheur palestinien. «On s’arrête à 500, mais qu’est-ce que ça change si on étend à 510 ou 520 personnes ?», interroge Elise Franssen. Il ne s’agit certainement pas d’octroyer un régime de faveur au chercheur palestinien, insiste-t-elle, mais de tenir compte de la dimension «gagnant-gagnant» de la démarche, en matière de recherche et de rayonnement des universités, tant de Liège que de Gaza.

La France, à travers le programme Pause (Programme d’accueil en urgence des scientifiques et artistes en exil), est parvenue à faire sortir des chercheurs de Gaza. «Si la France y est arrivée, c’est qu’elle est parvenue à surmonter les obstacles logistiques. Moyennant un minimum de volonté politique, je ne vois pas ce qui empêcherait la Belgique d’y parvenir, note Michel Moutschen. C’est extrêmement frustrant d’avoir la possibilité de venir en aide à des personnes qui vivent dans des conditions aussi dramatiques, et de faire face à de tels blocages.»

Basem Ahmed, en attendant, prend son mal en patience depuis la bande de Gaza, loin des arcanes politico-administratifs belges. Comment vit-il la situation? «Il est exemplaire dans le sens où il incarne une certaine forme de résilience –et je sais que le terme est souvent galvaudé. En fait, malgré tout, il est extrêmement reconnaissant pour toutes les démarches entreprises ici en Belgique». En vain, jusqu’à ce jour.

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