Depuis la crise financière de 2008, l'achat par palier n'est plus fondé. © GETTY IMAGES

Immo : L’achat par palier est à oublier !

Croissance des prix en berne et perspectives de plus-values quasi nulles à court terme : acheter petit pour mieux acheter grand ensuite est devenu risqué. Conseils de pro.

Ces dix, quinze dernières années, les professionnels du marché immobilier ont bien souvent conseillé aux primo-acquérants, jeunes de surcroît, d’acheter par palier. C’est-à-dire de mettre le pied à l’étrier de la propriété en ciblant dans un premier temps un studio ou un petit appartement 1-chambre, de l’occuper quelques années puis de le revendre en empochant la plus-value réalisée pour voir plus grand. Et ainsi de suite : un 2-chambres, une maison. Est-ce encore un bon procédé aujourd’hui ? Julien Manceaux, senior economist au sein de la banque ING Belgium, répond à nos questions et conseille les jeunes candidats acquéreurs.

Le mécanisme de l’achat par palier, en vogue dans les années 1990 et 2000, est-il toujours d’actualité ?

Les loyers sont peu amenés à bouger dans un futur proche

Le fondement de l’achat par palier repose sur la perspective d’une plus-value rapide et… conséquente. La croissance du prix de la brique ayant considérablement ralenti après la crise financière et économique de 2008, les acquéreurs ont dû se contenter, au bout de cinq ou six ans d’occupation de leur bien, de récupérer les seuls coûts fixes à la revente, c’est-à-dire les frais de notaire et les droits d’enregistrement. Ce qui représente tout de même quelque 15 % du prix d’achat, les droits d’enregistrement étant de 12,5 % à Bruxelles et en Wallonie. Reste que, dans l’optique d’acheter un bien plus grand ensuite, l’acquéreur n’est pas plus avancé que lors de la première transaction.

Cela vaut pour les premières années postcrise. Qu’en est-il actuellement ?

Les choses ont empiré dans la mesure où, depuis, la valeur de l’immobilier stagne, au mieux n’augmente que très légèrement. Le temps nécessaire pour récupérer ne fût-ce que ces coûts fixes s’est de facto encore allongé. Un scénario qui se vérifie surtout pour les petits biens. En effet, dans les années qui ont précédé la crise, les biens les moins chers, donc ceux qui pouvaient a priori faire l’objet de cet achat par palier, ont vu leur prix augmenter plus vite que le reste du marché. De quoi conforter les partisans de l’achat et de la vente graduels. Or, depuis mi-2008, la courbe de croissance de leur valeur s’est alignée sur la moyenne, supprimant l’effet de levier de la plus-value, et donc, le bien-fondé de l’achat par palier. Attention, je parle ici de manière générale, à l’échelle du pays. Il se peut que ce phénomène ne se vérifie pas entièrement par endroits.

Les taux d’intérêts hypothécaires historiquement bas peuvent-ils avoir cet effet de levier ?

La baisse des taux d’intérêts a surtout pesé sur les prix en 2015. La grande partie du potentiel de plus-value liée à ces taux planchers a donc déjà été réalisée l’année passée. Qu’attendre de cette année et, surtout, des années suivantes ? Fort peu. D’autant que, dans le cas de l’acquisition d’un premier bien cette année, dans six ou sept ans, au moment de revendre, les taux auront certainement remonté. S’ils sont au plus bas maintenant, il ne peut en être autrement à l’avenir. Cela posera problème pour rembourser le prêt lié au second bien acquis puisque l’argent emprunté coûtera plus cher. Et, entre les deux opérations, la plus-value enregistrée ne sera pas suffisante pour éponger la différence. Conclusion, il est évident que le moment est propice pour contracter un prêt, mais en vue de l’occupation de son bien sur une longue durée. La baisse des taux n’est pas suffisante pour rattraper les effets néfastes de la crise sur le processus d’achat par palier.

Est-ce à dire que ceux qui ont peu de moyens devraient sauter la première étape de l’achat par palier et s’attarder sur le marché de la location ?

Julien Manceaux, senior economist chez ING Belgium :
Julien Manceaux, senior economist chez ING Belgium : « Le moment est propice pour contracter un prêt, mais en vue d’occuper son bien sur une longue durée. »© DR

C’est une question qui trouve réponse au cas par cas, en ayant une connaissance précise de son budget et de ses projets à court et moyen terme. Cela étant, les locataires actuels ne verront pas leur situation changer énormément au fil des ans puisque l’on se situe dans une période d’inflation pratiquement nulle. Les loyers sont donc peu amenés à bouger dans un futur proche. Reste que, comme les taux d’intérêts sont le reflet d’une période économiquement faible, où les salaires n’ont pas beaucoup augmenté non plus, les candidats acquéreurs qui louent aujourd’hui ne seront pas dans une meilleure situation dans cinq ou six ans pour acheter quelque chose de plus grand.

Que conseillez-vous de faire alors ?

Dans le cas où un primo-acquérant a les moyens de s’offrir un bien et désire sauter le pas, vu le niveau historiquement bas des taux d’intérêts, s’il déniche l’appartement ou la maison dans lequel ou laquelle il se voit habiter pendant plus de dix ans, il doit acheter car le moment est probablement idéal. Celui qui préfère rester flexible dans un horizon de cinq ou six ans ne doit investir dans la brique que si les perspectives de plus-value sont tangibles. Ce qui est clairement plus risqué qu’avant. Je ne dis pas que cela n’existe plus, mais il est loin le temps où la valeur moyenne des biens augmentait de 7 à 8 % par an et qu’en trois, quatre ou cinq ans grand maximum, même dans le pire des cas, il était possible de récupérer les droits d’enregistrement et les frais de notaire.

Et si le petit bien acquis est mis en location et que le loyer perçu paie les mensualités de remboursement ? N’a-t-on pas, alors, les mains libres pour l’achat d’un second bien plus grand ?

Avant toute chose, il faut être sûr que le bien acquis engendrera un rendement locatif suffisant pour rembourser les mensualités d’emprunt sans que son propriétaire ne doive injecter de l’argent supplémentaire. Si le calcul montre que l’on arrive quand même à un rendement de 2 ou 3 %, l’opération est réussie. Il est certain que si l’on peut se permettre d’attendre dix ou quinze ans, une fois le prêt remboursé, l’investissement réalisé sera certainement payant. Le problème tient surtout au fait que, dans ce scénario, les fonds propres sont bloqués, quand bien même le logement, une fois loué, ne coûte plus rien à son propriétaire. Or, comment acquérir autre chose si ce n’est en disposant de fonds propres ? Ce cas de figure est réservé aux gens qui soit disposent de réserves financières importantes, soit gagnent suffisamment bien leur vie pour en sécuriser de nouvelles rapidement.

Entretien : Frédérique Masquelier.

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