Paul Jorion

Il y a TOUJOURS une alternative

Le phénomène, c’est la manière dont les choses se manifestent à nous, et cette manière peut être véridique : les choses nous apparaissent en nous suggérant qu’elles sont de la manière dont elles sont véritablement, ou bien la manière est trompeuse : les choses sont en réalité autrement – c’est le cas par exemple des illusions d’optique : elles nous suggèrent une réalité erronée.

Là où le grec disait phainomenon, le latin disait apparentia, l’apparence, avec les deux mêmes nuances que pour le phénomène : apparence fidèle à la nature des choses ou bien apparence trompeuse.

Pourquoi parler d’épistémologie ? A cause des élections en Grèce, et de la classe politique européenne qui s’est laissé prendre aux apparences trompeuses : elle a cru qu’encourager le vote des Grecs pour le parti de droite Nouvelle Démocratie était une manière de sauver l’euro, craignant qu’un vote pour la coalition de gauche Syriza, ne signe sa fin. Alors que c’est le contraire qui est vrai.

Pourquoi ? Parce que la formule adoptée jusqu’ici pour tenter de sauver la zone euro a fait faillite de manière spectaculaire. S’entêter dans la même direction selon le principe TINA ( There Is No Alternative, de sinistre mémoire thatchérienne), c’est s’assurer de poursuivre la descente aux enfers enclenchée dès la fin 2009. La cordée « euro » (ne nous voilons pas la face) est en perdition. Ses membres dévissent un par un : Grèce, Irlande, Portugal, Chypre…, tandis que le nombre de ceux ayant encore bon pied, bon oeil, et sur qui repose de plus en plus lourdement le poids de ceux qui pendent déjà dans le vide, se réduit dangereusement.
Le marché des capitaux ne s’y trompait pas ce lundi 18 juin, au lendemain même des élections en Grèce, le taux exigé de l’Espagne pour ses emprunts à 10 ans, de 6,82 % à l’ouverture, crevait rapidement tous les plafonds, atteignant 7,25 % à 15 heures. Pour comprendre la portée de ces chiffres, il faut se rappeler que le pacte de stabilité financière européen, encore appelé « règle d’or », qui compare les dépenses d’un pays, non pas à ses recettes, mais à son Produit intérieur brut, exige par sa logique que la croissance soit plus élevée que le taux « moyen » exigé par le marché des capitaux pour sa dette. Quand le marché exige 7,25 % pour les emprunts d’un pays, sa croissance économique devrait donc être – pour que la dette ne s’aggrave pas encore davantage – du même ordre de grandeur. On est très très loin du compte avec une croissance prévue en Espagne pour 2012, de – 1,5 %.

Le vote en Grèce en faveur du mémorandum rédigé par la troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international), tant espéré par la classe politique européenne, n’a pas eu pour l’Espagne l’effet bénéfique espéré. Pourrait-il en être autrement pour l’Italie, elle aussi fragilisée ? On voit très mal comment.

Et si les Grecs avaient propulsé Syriza en tête, le 17 juin ? Ne nous faisons pas d’illusions : les marchés n’auraient pas été satisfaits non plus (ce qui souligne éloquemment que la solution des problèmes n’est certainement pas simple). Mais au moins un coup de semonce aurait été tiré, et un coup d’arrêt donné à la gangrène qui ronge inexorablement la zone euro. On aurait été obligé de réfléchir. Car, comme l’avait annoncé Alexis Tsipras, à la tête de ce parti, il n’était pas question pour la Grèce de quitter la zone euro, mais de réfléchir à comment faire les choses autrement, et les événements dramatiques qui s’enchaînent depuis le début de la crise dans les derniers mois de 2009 soulignent qu’un besoin urgent existe de mettre en effet sur pied une nouvelle option. Et quand on dit « nouvelle option », il ne s’agit pas bien entendu d’inventer en quelques semaines l’Europe qu’on a négligé de véritablement construire au cours des soixante dernières années.

D’autant que les membres de la cordée qui pendent déjà dans le vide et qui bénéficient du coup de la sollicitude sévère de la troïka seraient bien rapidement venus ajouter leur voix à celle de la Grèce, réclamant eux aussi une nouvelle approche. Mariano Rajoy, Premier ministre espagnol, avait déjà compris lui-même la leçon de l' »effet Syriza » puisqu’il exigea et obtint le 10 juin une aide de 100 milliards d’euros puisés sur les fonds de solidarité européens, qui permit que sa banque Bankia ne sombre pas corps et biens, sans qu’aucune condition soit attachée au prêt.
Un nouveau mot d’ordre s’impose pour demain : « There is ALWAYS an alternative ». Il y TOUJOURS une alternative !
TINA a été démenti par les faits, et il est grand temps qu’on en prenne conscience, parce que chaque heure compte désormais !

PAUL JORION

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