Nicolas De Decker

« Il n’y a pas plus d’idéologie quand on est patron des patrons que de secret de la beauté quand on est Alain Delon »

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

« Dans ces circonstances, je crois qu’il est nécessaire de mettre l’idéologie de côté », a dit Pieter Timmermans, le patron de la Fédération des entreprises de Belgique, mardi 2 juin, à La Libre, avec l’air que prend Alain Delon quand on lui demande quel est le secret de sa beauté.

Oui, avec ce regard qu’Alain Delon pose sur vous, ordinaire laideron, qui soumettez une question si évidemment absurde à cet oeil d’un bleu si parfait, sûr de lui et dominateur, et dont un sublime battement de cils soyeux vous relègue à votre congénitale laideur. Car, au fond, si vous posez cette question, c’est que vous êtes laid, et que vous voulez savoir comment faire pour ne plus l’être. Vous voulez mettre votre laideur de côté comme le patron des patrons souhaite à ceux qui ne pensent pas comme lui de mettre leur idéologie de côté. Et aussi bien qu’Alain Delon, qui n’a rien fait de plus pour sa parfaite beauté que vous n’en fîtes pour votre vulgaire laideur, n’a au fond rien à en dire, sinon qu’elle est naturelle, Pieter Timmermans ne doit pas expliquer pourquoi vous n’êtes qu’un vilain idéologue et pas lui. Car il n’y a pas de méthode pour devenir beau comme Alain Delon. La nature l’a ainsi fabriqué, vouloir le copier, c’est agir contre elle, et il n’y a pas plus d’idéologie quand on est patron des patrons que de secret de la beauté quand on est Alain Delon.

Il y a juste cette nature, que l’on appelle l’évidence et qui est l’apanage des puissants.

Elle a les couleurs du  » bon sens  » ou du  » sens de l’intérêt général « .

Elle porte un ordre des choses tel qu’établi par ceux qui possèdent ces choses.

Elle réclame de ceux qui ne les possèdent pas qu’ils laissent leur laideur et leur idéologie de côté.

Et qu’ils admirent le bleu si parfait de l’oeil de ceux que la nature a dépourvus de laideur et d’idéologie.

Quelle plus admirable beauté naturelle que celle dont est dotée la volonté de Pieter Timmermans d’éviter que les salaires n’augmentent ? Leur hauteur est pour lui un  » handicap  » dont souffre la Belgique. Qui donc ne voudrait pas se débarrasser d’un handicap ? Puisque ce  » handicap  » afflige ceux qui perçoivent ces salaires, baisser ceux-ci permettrait de les libérer de celui-là, et penser le contraire serait se faire contaminer par une funeste idéologie contre-nature.

Quelle plus triomphale merveille de la nature que de pouvoir, comme Pieter Timmermans le désire, se choisir la mesure du jour et de la nuit. Une nuit qui commence à 20 heures et se termine à 6 heures est bien trop chère, en effet. La faire s’entamer à minuit et la conclure à 5 heures, c’est la rendre à son cycle naturel, celui dans lequel les salariés travaillent et les entreprises décident de ce qu’ils méritent de recevoir.

C’est rendre à l’ordre des choses toute sa beauté non idéologique.

C’est exprimer le contraire de ce que disait ce vieil homme qui oubliait tout sauf de mettre l’idéologie de côté, et qui écrivit un jour que  » les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle « .

C’est, en exprimant le contraire, démontrer que l’oeil de ce vieil homme était moins bleu que celui d’Alain Delon, mais qu’il ne voyait pas toujours moins clair.

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