« Il n’y a pas de consensus pour un retour du service militaire obligatoire »

La possibilité d’un retour du service militaire obligatoire, suite à l’instauration d’un service d’utilité collective sur base volontaire, pourrait favoriser certaines formes de désobéissance civile, avertit Wally Struys, professeur émérite à l’école royale militaire.

De quel œil regardez-vous l’introduction d’un service d’utilité collective?

Au plan des principes, ce «SUC» est une excellente chose. Il s’agit en effet de donner à des jeunes, sur une base volontaire, l’occasion de rendre des services à la société, dans des associations ou des services publics ayant ou non des liens avec la Défense ou avec un quelconque département d’autorité. Cela donnerait l’occasion à de jeunes citoyens de se rendre utiles dans des services éprouvant des difficultés à répondre à leurs missions envers les citoyens , et de s’engager utilement et en connaissance de cause dans la société. Puisque la durée de ce SUC sera limitée, il conviendra de bien choisir les fonctions pouvant être assignées à ces volontaires et de veiller à leur prodiguer la formation de base nécessaire pour qu’ils puissent les exercer.

A ce propos, quelle forme devrait-il prendre?

Ce service pourrait durer entre six et douze mois. Cela dépendrait de la formation ou de la spécialisation nécessaire, ainsi que du niveau technologique de la fonction à remplir. A mon sens, la priorité doit être donnée aux services publics éprouvant des difficultés à prester dans le «secteur blanc», à savoir les services sociaux, médicaux ou para- médicaux en première ou en deuxième ligne. Dans ces cas, les participants au SUC ne pourront évidemment fournir qu’un appui logistique. La Défense doit également être une des options, tout comme les services d’incendie, la protection civile, la police, la justice, les services pénitentiaires ou d’appui logistique de certaines administrations. Il va de soi que les participants devront respecter les valeurs et les traditions des institutions appuyées et, globalement, respecter la Constitution et les lois du peuple belge.

D’aucuns estiment que ce service d’utilité collective est un service militaire qui ne dit pas son nom…

Non. Le métier de militaire est très particulier et plus contraignant que dans les autres administrations publiques. Les autorités n’offriront pas des fonctions comparables ailleurs. Le SUC, même à la Défense, ne serait donc en rien comparable à un service militaire.

Wally Struys «Aucun consensus, n’existe en Belgique pour un retour du service militaire obligatoire.

Ce service d’utilité collective annonce-t-il le retour du service militaire obligatoire?

Non. En Belgique, il n’existe aucun consensus, ni politique ni social, pour un retour du service militaire obligatoire. L’aspect coercitif serait déjà de nature à rebuter un SUC civil. En outre, en Belgique, l’armée n’a jamais bénéficié d’un niveau de sympathie suffisant pour attirer des cohortes de volontaires. Déjà lors de la guerre froide, dans un environnement géopolitique compliqué, seul un tiers environ de nos citoyens masculins effectuaient un service militaire, souvent à contrecœur. Toute velléité de réintroduction d’un service militaire obligatoire pourrait même favoriser certaines formes de désobéissance civile.

Wally Struys © National

A ce jour, la ministre de la Défense exclut la possibilité de réinstaurer un service militaire obligatoire. Sa position pourrait-elle évoluer en fonction de la situation géopolitique, en particulier en Ukraine?

Dans certains pays européens, le service militaire, obligatoire ou non, existe encore. Dans d’autres, il a été aboli ou suspendu, pour être réintroduit ou remis au goût du jour. Ce n’est qu’en se rapprochant du flanc oriental de notre continent et de la menace russe que le service militaire motive davantage les décideurs politiques et la population. Par ailleurs, il convient de ne pas oublier la valeur et les moyens dont disposent l’Otan et ses pays membres. A mon avis, l’application de l’article V du traité de Washington devrait mettre notre pays à l’abri d’une percée des chars russes jusqu’à nos frontières (NDLR: l’article V stipule que si un pays de l’Otan est victime d’une attaque armée, chaque membre de l’Alliance considérera cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble des membres).

D’un point de vue logistique et financier, la Belgique dispose-t-elle des moyens pour réinstaurer un service militaire obligatoire?

Après 36 ans de réductions du pouvoir d’achat des budgets de défense, la Défense belge était arrivée en 2018 à une situation intenable, eu égard à son besoin d’assurer une défense «nationale adéquate» et de faire preuve d’un niveau de solidarité acceptable envers ses alliés de l’Otan et de l’Union européenne. La situation a changé vers la fin de 2018, avec les premières commandes de matériels majeurs, puis en 2022 avec le plan Star de la ministre de la Défense Ludivine Dedonder. Il ne faut cependant pas se leurrer: le plan Star ne représente qu’un rattrapage. Il conviendra de persévérer «en régime» et d’augmenter encore le pouvoir d’achat de la Défense. En attendant, il convient de poursuivre les programmes d’acquisition mais au-delà, il faudra investir dans le personnel, les matériels mineurs et les infrastructures (seules deux «casernes du futur» sont actuellement prévues): les possibilités géographiques offertes ne sont pas assez nombreuses pour attirer les candidats au service d’utilité collective peu désireux d’effectuer de longs déplacements. En attendant, la Défense n’a pas le personnel pour encadrer et former les jeunes candidats au SUC militaire, ni les infrastructures. A cause de la pénurie de personnel, les militaires en service sont indispensables dans leurs métiers respectifs et ne pourront être détournés vers un rôle de formateurs des jeunes inscrits dans le cadre d’un service d’utilité collective.

Selon vous, le SUC est-il susceptible de rencontrer un succès auprès de nombreux jeunes?

Il me semble que son attractivité serait la résultante de plusieurs facteurs: maintien de leurs allocations sociales avec, en sus, une rémunération attrayante, un environnement professionnel agréable, un encadrement motivant, etc. Le service d’utilité collective ne devrait pas s’adresser qu’aux jeunes au chômage ou en décrochage. Des diplômés ou des spécialistes pourraient également mettre leurs connaissances à la disposition de services où ils seraient davantage utiles, à l’instar des miliciens spécialisés dans notre ancienne armée de conscription. Les jeunes pourraient considérer cela comme un stage préalable à leur futur métier. L’objectif doit être de leur permettre de s’émanciper professionnellement et socialement, notamment grâce à la mixité sociale. Il convient par ailleurs de se garder des errements du passé et de réserver uniquement des tâches ancillaires aux volontaires.

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