Anne-Sophie Bailly

« Il ne peut être question de déléguer la prise de décision à ceux qui détiennent la science »

Anne-Sophie Bailly Rédactrice en chef

Tous les matins à 11 heures, rendez-vous est pris. C’est le moment du briefing quotidien de Sciensano. Combien de personnes hospitalisées. Combien de nouveaux cas. Combien de décès. Et combien de personnes ont pu quitter l’hôpital. Zéro blabla. Des chiffres. Des faits. Des graphiques. De l’émotion aussi, parfois, comme lors de l’annonce du décès d’une fillette de 12 ans. C’est la méthode choisie par le centre de crise pour communiquer à la population sur l’évolution de l’épidémie de coronavirus dans notre pays.

Les experts et les scientifiques sur le devant de la scène, les politiques à l’arrière-plan. Le Financial Times, lui-même, a salué la façon de faire belgo-belge. Un  » exemple pour les autres pays  » cette conférence de presse quotidienne.  » Ces briefings sont l’occasion de tordre le cou aux rumeurs et aux théories du complot, de démentir les malentendus mais aussi de mettre en garde contre toute tentative de contourner les règles de confinement « , ajoute le journal britannique.

Sur les plateaux de télé et dans les journaux, idem. Les nouvelles coqueluches s’appellent Marius Gilbert (l’épimédiologiste-pédagogue), Emmanuel André (le médecin- » porte-parole interfédéral de la lutte contre le Covid-19 « ), Philippe Devos (le président de l’Absym qui n’a pas sa langue en poche) et Marc Van Ranst (le virologue-influenceur). Et non Maggie De Block ou Philippe De Backer. Et quand Sophie Wilmès monte au front pour annoncer les mesures de confinement ou leur prolongation, c’est entourée de ses ministres régionaux. Mais, surtout et toujours pour faire part de décisions prises  » après consultation des experts « .

Une manière de procéder aux antipodes de la méthode macronienne quand le président de l’Hexagone fixe, seul, la France dans les yeux et annonce que son pays est en guerre.

Pourquoi cette différence dans la manière de communiquer ? Que signifie-t-elle ? Que chez nous, c’est l’heure de la science alors que chez nos voisins, le politique continue de primer sur le scientifique ? Qu’en Belgique, il était nécessaire de passer outre les querelles communautaires, linguistiques et que l’objectivité scientifique était pour cela la meilleure voie ? Sans doute. Cela a d’ailleurs permis d’avancer. On lira dans les manuels d’histoire qu’il a fallu une pandémie mondiale pour que la politique belge sorte d’une ornière dans laquelle elle était plongée depuis des mois.

Mais il faut néanmoins rappeler ceci.

D’abord, que les scientifiques ne sont pas toujours unanimes. Que c’est d’ailleurs le propre d’une démarche scientifique de tester, expérimenter, conclure. Avant de remettre en cause et réexpérimenter. Pour aboutir, parfois à une nouvelle conclusion.

Ensuite, qu’il ne peut être question de déléguer la prise de décision à ceux qui détiennent la science. D’utiliser les épidémiologistes, virologues ou médecins comme paravent.

Après, qu’il faudra tirer les leçons de la crise. Pourquoi le personnel soignant et les hôpitaux ont-ils été si démunis ? Pourquoi le testing à grande échelle n’a-t-il pu être mis en place ?

Enfin, qu’il faut gérer l’après. Revaloriser le secteur des soins de santé, panser nos blessures, respecter la vie privée, relancer l’économie, dépasser le deuil, renouer avec nos libertés. Et là, la science ne pourra plus grand chose pour nous.

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