La superbe piscine de l'architecte Charles Van Nueten, inaugurée en 1939, ferme définitivement en 1978. © Philippe Cornet

Hofstade Plage, cet havre de paix à la longue histoire, prisé par les Belges

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

A quinze kilomètres au nord de Bruxelles, en Brabant flamand, 175 hectares offrent un impeccable havre de paix et de pratique sportive. Incluant une fascinante piscine moderniste, délaissée depuis quatre décennies.

Tiède lundi après-midi d’août à Hofstade Plage. Les quelques centaines de visiteurs sont absorbés par le vaste domaine qui, du coup, ressemble à un paresseux camp de vacances de fin d’été. L’ambiance somnole, exceptée pour les cris d’enfants sur la plaine de jeux – évoquant un vieux décor de Tim Burton – et les bruissements des kayaks au large du lac bleuté. Au bord de plusieurs hectares d’eau, la plage de 750 mètres de longueur permet d’accéder à la baignade, autorisée sur une parcelle de lac seulement. D’avril à septembre. Le sable, propre, a un air de mer du Nord alors qu’on est juste en Brabant flamand, à un bouchon de Bruxelles. Sur l’herbe, trois femmes voilées rigolent en buvant des sodas, plus loin, un couple tatoué et un duo de patrouilleurs en jaune fluo. Mélange à la belge. On est loin d’avril 2011 lorsque des bandes se castagnent à même la plage, rameutant une police accueillie à coups de projectiles divers. Depuis lors, l’accès au côté plage d’Hofstade se fait via de stricts portiques et un droit d’entrée, 5 euros l’adulte, 1,5 euro pour les 1,50 m et moins. Le solde du domaine restant libre de circulation gratuite.

Au début des années 1920, le lac d’Hofstade attire les amateurs de camping sauvage

A la Boothuis, estaminet rétro avec vue sur plage, Bram Luyten, responsable du site, et Ron Wagemans, historien improvisé, décryptent les lieux :  » La Boothuis, comme les autres bâtiments que vous voyez ici, sont tous datés de la fin des années 1930, début des années 1940. Cette période est celle de la seconde inauguration d’Hofstade, le 19 juillet 1939. Six ans après que le roi Albert Ier a fait une première ouverture officielle du lieu lors d’une journée accueillant 130 000 visiteurs. A une période où, pendant l’été, il n’était pas rare d’avoir 35 000 visiteurs chaque jour. Ce café est donc d’époque comme la très longue construction qui borde la plage, réalisée avec des bois précieux du Congo, du kambala et du limba « . Royauté, colonialisme, loisirs émancipés : il y a pas mal de cette belge trilogie dans l’histoire d’Hofstade.

La piscine au temps de sa gloire.
La piscine au temps de sa gloire.© AAM/CIVA, BRUSSELS / PHOTO LANDER

Congés payés

Aujourd’hui, la longue et élégante construction en bois ne sert plus de restaurant ou de poste sanitaire mais prosaïquement de musée : le Sportimonium exhibe l’histoire de la gloire sportive nationale, principalement via les prestations aux JO. Emotion de voir une reconstitution du bureau de Victor Boin (1886 – 1974), journaliste, escrimeur, patineur et joueur de waterpolo multimédaillé, également vainqueur d’un concours de plus beau bébé. Personne ne sait si l’athlète Boin fréquentait Hofstade, dont la saga tient aussi du puzzle belgo-belge. L’affaire commence pratiquement vers 1920 lorsque les habitants des environs sont attirés par le lac et s’installent à ses abords, en toute anarchie bienveillante, camping sauvage compris. Sous le regard sombre du proche évêché malinois rétif aux libertés du maillot de bain. L’ambiance est d’autant plus laxiste qu’aucune infrastructure n’entoure les visiteurs qui, de temps à autre, renforcent les statistiques des noyades. En 1924, quand la Ville de Malines décide de s’approvisionner en eau potable directement au lac, les visiteurs n’ont plus qu’un autre petit bassin pour se baigner. Peu à peu, sous l’impulsion du Touring Club puis d’Octave Le Maire, un avocat fameux de Vilvorde, se dessine une villégiature incarnant la prochaine révolution des congés payés.

Construit en bord de la plage, l'impressionnant bâtiment en bois tropical prêtait aussi son toit à la promenade.
Construit en bord de la plage, l’impressionnant bâtiment en bois tropical prêtait aussi son toit à la promenade.© AAM/CIVA, BRUSSELS / PHOTO LANDER

Serge Jaumain, historien du tourisme à l’ULB, évoque le contexte des années 1930 :  » En 1936, la Belgique suit le modèle du Front populaire français en accordant une semaine de jours payés, sans travail, aux ouvriers. On a cette image d’Epinal de hordes de travailleurs se précipitant sur les plages de la mer du Nord ou ailleurs, mais cela ne se passe pas du tout comme cela : les ouvriers restent dans leurs jardins, bricolent, visitent la famille et éventuellement, pratiquent le tourisme d’un jour « . Hofstade tombe pile dans le scénario vacancier de l’époque, d’autant plus que le lieu brabançon est desservi par une ligne de chemin de fer qui s’arrête à quelques minutes à pied du lac. Entre-temps, le site a développé ses à-côtés breughéliens, avec Gelders Gebroeders & De Gendt, le concessionnaire de Vilvorde qui, pour 100 000 francs à l’année, installe, dès 1932, des bâtiments de vieux style flandrien et une foire aux attractions : kiosque à fanfares, copie de Manneken-Pis, stand Côte d’Or, moulin qui ne passe pas inaperçu, restaurants, glacier et piste cycliste, sans oublier la reine de beauté 1933, miss Simone Verdoodt. Et même une version locale de l’Ancienne Belgique. Hofstade Plage est née. En 1937, l’Etat ne renouvelle pas la concession à Gelders, rase toutes ses constructions et prend les choses en main.  » Pour la première fois, explique Ron Wagemans, sous l’impulsion du ministère de la Santé publique, Hofstade bénéficie d’un concept global et de plans ambitieux, sous la conduite de l’architecte Victor Bourgeois, un élève d’Henri van de Velde, qui va donner l’allure moderniste au site.  »

La plage d'Hofstade : un petit air de mer du Nord, en moins fréquentée.
La plage d’Hofstade : un petit air de mer du Nord, en moins fréquentée.© PHILIPPE CORNET

Baraquements américains

La Seconde Guerre mondiale flingue Hofstade ou, plutôt, fait dévier le site de sa fonction récréative première : les Allemands s’y installent dès 1941, attribuant à leurs troupes le repos du guerrier germanique, orteils en permission en bord de lac brabançon, avec restaurants et bars en suffisance. Une fois les Américains revenus au premier plan, à l’automne 1944, l’espace devient un centre de maintenance de l’US Army qui y implante baraquements, ordonnances diverses et même une église. Le redémarrage d’après-guerre place le domaine sous différentes tutelles de ministères qui suivront les multiples adaptations de la (future) Belgique fédérale.

Pour faire court, depuis 1969, Hofstade dépend des instances néerlandophones, du Bloso – équivalent flamand de l’Adeps – rebaptisé depuis quelques années en Sport Vlaanderen, nom contemporain d’un cursus de loisirs et de sports qui ne doit rien au hasard.  » Hofstade a aussi été une sorte de lieu d’apprentissage, explicite Serge Jaumain, parce qu’initialement, les ouvriers ne savaient pas quoi faire de leur nouveau temps libre. Beaucoup ne savaient même pas nager, avaient peur de la mer. Même si les médecins d’époque recommandaient de se plonger dans l’eau salée. Et puis se posait aussi la question du costume de bain, de l’apparence, du dénudement : toutes interrogations que les classes privilégiées de l’entre-deux-guerres, ont longtemps monopolisées.  »

De 1941 à 1944, Hofstade est réservé à l’armée allemande

Celle qu’on a parfois baptisé dans les années 1920,  » la plage des pauvres  » va connaître un succès considérable pendant plusieurs décennies d’après-guerre mais la démocratisation du tourisme tiédit son attractivité. Même si le mois de juillet 2018 y a attiré 45 000 visiteurs payants – côté plage – sans aucun doute séduits par la baignade en temps de grande canicule.

Hofstade Plage, cet havre de paix à la longue histoire, prisé par les Belges
© PHILIPPE CORNET

Vaisseau fantôme

Si Hofstade a expérimenté, c’est indéniablement par l’espace à gauche de l’entrée du site, passé le parking (4 euros forfait journalier) : des bâtiments en péril visible, protégés de grilles plus symboliques qu’efficaces. Accompagné du directeur Bram Luyten et de Ron Wagermans, on se rapproche de la demi-ruine, classée, qui fut un jour piscine à records métriques.  » Cinquante mètres sur cent, l’équivalent de quatre jauges olympiques, elle fut à son époque la plus grande piscine de plein air d’Europe, et la pleine incarnation du modernisme « . Inaugurée en 1939, la piscine Bloso est le grand-oeuvre de l’architecte et peintre bruxellois Charles Van Nueten (1899 – 1989), moderniste proche de Victor Bourgeois. Sous l’influence de Le Corbusier, il va construire, dans les années 1930, des maisons en béton à Bruxelles et signer des bâtiments tels que l’ancien Planetarium du Heysel. Son bassin de natation d’Hofstade est raccord au goût de la ligne claire élégante et des découpes définissant une forme de pragmatisme architectural.  » Parce que les règlements concernant les piscines publiques, de plein air, ont changé au fil du temps, notamment les normes d’hygiène, Hofstade a dû fermer définitivement le bassin de Van Nueten en 1978 « , explique Bram Luyten.

Hofstade Plage, cet havre de paix à la longue histoire, prisé par les Belges
© PHILIPPE CORNET

Sous le soleil pâle de ce 20 août, l’impression est de découvrir un sanctuaire inconnu, temple dégradé sans autre idole apparente que la vieille eau saumâtre du bassin. Au fil des décennies, elle a produit une imposante verdure sous-marine venant lécher les contreforts érodés de la construction. Bien qu’Internet multiplie les images du lieu – must d’exploration urbaine (lire aussi Le Vif/L’Express du 9 août) – la réalité est plus cruelle encore. Comme la plupart des édifices « urbex », les bâtiments y ont été vandalisés, graffités et dépouillés de tout ce qui est transportable,  » y compris des faïences italiennes qu’on peut sans doute retrouver dans certaines maisons des environs « , plaisante à peine Ron Wagemans. La partie la plus distinguée du lieu, un édifice ovale dominant la piscine, autrefois restaurant, évoque à présent le corps de garde d’un vaisseau fantôme. Quarante ans après cessation de toute natation dans l’architecture de Charles Van Nueten, Hofstade s’est décidé à réagir :  » On travaille à de nouveaux plans, précise le directeur Bram Luyten. Deux autres bassins devraient être construits à côté de l’ancien site qui sera réhabilité mais pas comme piscine. Pour l’instant, on analyse nos propres besoins en la matière « . Espérons que cela ne prenne pas quarante autres années.

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