
Hedebouw, le De Wever wallon?
Le PTB ne cesse de grimper dans les sondages du côté francophone, en profitant du marasme social. Une explosion qui n’est pas sans rappeler celle de la N-VA. Faut-il craindre cette gauche radicale?
« Raoul Hedebouw ? C’est le Bart De Wever wallon. » Lancée spontanément par un député humaniste, la comparaison entre le porte-parole du PTB et le président de la N-VA vaut plus qu’un long discours. Il y a quelques années, le petit parti maoïste suscitait ricanements et haussements d’épaule dans les cénacles politiques. Aujourd’hui, on ne rit plus. La progression de la gauche radicale du côté francophone est telle que le PS change de stratégie en lui proposant de collaborer. Le MR y voit, lui, une possibilité de diviser la gauche ou une menace, c’est selon. Le PTB était crédité de 13,5% en Wallonie dans le dernier sondage Le Soir/ Ipsos/ RTL-TVI, publié mi-mai, devenant potentiellement le troisième parti devant le CDH et Ecolo. Une explosion, au regard des 5,5% récoltés lors du scrutin de mai 2014. Et un séisme potentiel dans une partie du pays où les mouvements d’ampleur sont rares dans les rapports de force.
La comparaison avec la N-VA est loin d’être dénuée de sens. Comme le PTB, elle est partie de pratiquement rien : avant de devenir la première formation politique du pays en explosant le plafond des 30%, elle s’était heurtée au seuil électoral des 5% aux élections de 2003. En guise d’exemple pour le PTB, elle a su profiter en très peu de temps du mécontentement des électeurs à l’égard du premier parti régional, le CD&V, contraint de faire trop de compromis au pouvoir. La N-VA, comme le PTB, a mis en avant un leader charismatique pour élargir le noyau des électeurs potentiels. Bart De Wever a déringardisé le discours nationaliste en participant à des jeux télévisés. Raoul Hedebouw dédiabolise l’idéologie d’extrême gauche en se démultipliant dans les médias. C’est la recette miracle.
Pourquoi cela marche ?
Dans une Belgique où coexistent deux démocraties, le PTB incarne, au même titre que la N-VA, la caricature du vote dominant dans la Région. Une expression tranchée, radicale, née de la frustration de voir l’autre communauté du pays nier le désir exprimé dans les urnes de sa propre communauté. La décennie passée, la N-VA a grandi en raison du blocage institutionnel, ce « non » francophone asséné en permanence à une Flandre en quête de réformes. Ces dernières années, le PTB se nourrit de la marche libérale forcée d’un gouvernement majoritairement dominé par les partis flamands, qui décide de réformes socio-économiques « injustes ». Un retour de bouclier.
Partout où il y a de la grogne sociale, le PTB fleurit. N’a-t-il pas commencé sa spectaculaire progression dans la banlieue rouge de Liège, à Seraing notamment, où il a décroché 16,5% des voix en 2014, sur le lit de la rancoeur ouvrière à l’égard de la fermeture d’Arcelor-Mittal ? Lors de la manifestation syndicale du 24 mai dernier, Raoul Hedebouw haranguait la foule depuis un podium. « 157 personnes ont rejoint le PTB, s’est-il réjoui. Nous avons désormais atteint le cap des 10 000 membres en ordre de cotisation. » La « violence sociale » du gouvernement Michel explique sans nul doute cet engouement, mais aussi le passif des participations passées du PS au pouvoir ‒ notamment cette « exclusion des chômeurs » que Di Rupo traîne comme un boulet.
Tout apporte de l’eau au moulin du PTB. Notamment ce fameux constat, devenu un slogan, selon lequel 1% des Belges possède la majorité des richesses du pays. Début juin, alors que le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) évoquait la suppression de la « mini-taxe sur la spéculation », le député fédéral Marco Van Hees avait beau jeu de ressortir sa proposition de loi instaurant une « taxe des millionnaires » : déposée le 21 octobre 2015, elle est censée rapporter 8 milliards d’euros par an. Faut-il le dire ? Chaque révélation de type Panama papers ou Lux Leaks est du pain bénit pour la gauche radicale, bien que de nombreux experts jugent ses propositions irréalistes.
Mais le succès du PTB est aussi le fruit d’un minutieux travail de présence sur le terrain, d’une infiltration permanente des milieux où l’agitation est perceptible. David Pestieau, actuel chef du service d’études du parti, a fait ses armes dans les manifestations étudiantes de la fin des années 1990, au sein desquelles les jeunes du Comac étaient omniprésents. « Ce qui explique le succès du PTB, c’est sa présence sur le terrain, à travers les maisons médicales, dans les quartiers, dans les syndicats, les entreprises, les manifestations, confirme Benoît Drèze, député CDH. A Herstal, trois mois avant le dernier scrutin, le PTB a fait campagne sur le coût des sacs poubelles, en disant que c’était aux entreprises de les payer puisque ce sont elles qui produisent les déchets. Le discours était simpliste, mais il a fait un tabac. » « Le PTB, ce n’est pas que Raoul, acquiesce le politologue Pascal Delwit (ULB), auteur d’un livre-enquête sur ce parti. Il est la face communicationnelle forte du parti par rapport aux médias, mais le parti s’appuie aussi sur des associations, des experts, des syndicats. Il a une présence très forte sur le terrain. » L’avis est unanime : il ne faut plus sous-estimer ce PTB devenu « une vraie structure militaire, avec une grande discipline ». Un parti ayant compris toute l’importance d’une forte implantation locale. Comme la N-VA.
Pourquoi le pouvoir « dans 15 ans » ?
Conscient de l’impact pris par son parti, Raoul Hedebouw évoque aujourd’hui ouvertement son arrivée au pouvoir. Mais dans… quinze ans. Ce faisant, il confirme, avec des mots feutrés, son caractère révolutionnaire : « Il y a un rapport de force à reconstruire avec les formations politiques qui acceptent de sortir du champ de l’austérité de l’Union européenne, souligne-t-il. Aujourd’hui, les quatre partis traditionnels francophones ont voté le traité de cette austérité. Dans ce cadre-là, le PTB ne peut pas participer au pouvoir. Il y a une stratégie importante et qui prendra du temps. » Il s’agit en réalité de recomposer une forme de Front populaire, comme il a existé en France dans les années 1930.
Le ministre-président wallon Paul Magnette (PS), idéologue de la « gauche qui ne va pas mourir », traduit cela comme suit : « Le PTB a une peur panique d’exercer le pouvoir. » « La participation au pouvoir constitue une tension centrale au PTB, souligne Pascal Delwit. C’est un ‘impensé’ pour eux. Les conditions que le parti met à une éventuelle participation sont telles qu’elles équivalent à un refus. Il peut du coup se contenter de dénoncer et de promouvoir des idées simples. »
Le seul endroit où le PTB a accepté jusqu’ici de se mouiller se situe en Flandre, à Borgerhout (Anvers), dans le cadre d’une coalition progressiste avec le SP.A et Groen. « Un district, avec de très faibles compétences », précise le politologue. L’échevine Zohra Othman, en charge de la Jeunesse, y a organisé des activités gratuites et misant sur la participation. Sous son impulsion, Borgerhout est aussi devenue la première commune flamande « hors TTIP » pour protester contre le traité de libre-échange en négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Une initiative comparable a été prise par… Paul Magnette dans sa ville de Charleroi.
« L’objectif du PTB n’est pas d’aller au pouvoir, mais bien d’influencer les autres partis qui, eux, doivent bouger », analyse un élu socialiste. Depuis sa percée, le PTB pèse il est vrai fortement sur le paysage politique, au sens large. Décontenancé, le PS a radicalisé son discours et songe désormais à une alliance des partis de gauche, ne fût-ce que pour tenter de dégonfler cette baudruche, comme Philippe Moureaux l’avait fait au début des années 2000 avec Ecolo. Elio Di Rupo a proposé d’ouvrir sa majorité au PTB à Mons, Paul Magnette n’exclut pas l’idée d’une alliance pour l’avenir. La force montante du PTB a également donné une impulsion nouvelle au mouvement syndical, une partie de la FGTB ayant adopté son langage révolutionnaire à coup de grèves sauvages ou de longue durée.
Le parallélisme avec la N-VA est troublant, là encore, bien que situé à l’opposé du spectre idéologique. Pendant de longues années, le parti nationaliste flamand a refusé de conclure tout compromis institutionnel ou de participer au pouvoir fédéral, tant cela était contraire à son objectif indépendantiste. Le noyau dur communautaire du début ne l’aurait pas accepté. Mais la progression électorale du parti et l’élargissement de son cercle de militants ont changé la donne. Désormais soutenu par le patronat flamand et une large partie de la classe moyenne, la N-VA est entré dans un gouvernement fédéral à vocation socio-économique. Sans abandonner pour autant sa quête confédérale. Le PTB finira-t-il lui aussi par participer au pouvoir dans une coalition, en mettant de côté son idéal ?
Faut-il avoir peur du PTB ?
Représenté par deux députés au parlement fédéral, crédité de fortes hausses par tous les sondages, le PTB n’est plus le groupuscule minoritaire qu’il fut par le passé. Faut-il dès lors craindre son positionnement idéologique ? A-t-il évolué derrière les sourires charmeurs de Hedebouw ? Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre, met en garde : « Je parle moins à Raoul qu’avant, prévient-il. Plus je vois comment les choses évoluent, plus j’observe une avancée dans le populisme de la part du PTB. Ce discours est dangereux. On les sent prêts à tout, comme l’extrême droite. Pour moi, ces deux extrêmes sont chou rouge et rouge chou. On observe au PTB la même violence et le même rejet de l’autre qu’à l’extrême droite, mais pour des raisons économiques. Avec le PTB, il n’y a pas de place pour un débat argumenté, ni pour le compromis essentiel qui y est lié. »
Ils sont nombreux à rappeler les amitiés passées du mouvement avec le régime chinois de Mao, leurs expériences totalitaires en lien avec le « Grand bond en avant » des années 1950 (NDLR, une révolution économique qui avait provoqué une grande famine) ou leur proximité avec la Corée du Nord. « Il y a une évolution au PTB, sur la forme et sur le fond, nuance Pascal Delwit. Le PTB ne soutient plus la Corée du Nord, même si Peter Mertens (NDLR, président du Partij van de Arbeid flamand, le PTB ayant encore une structure unitaire) a jadis été reçu par Kim Jong-Il. Mais le PTB fait toujours partie de la fédération internationale à laquelle appartiennent les jeunesses de Corée du Nord et l’on ne peut pas télécharger le discours que le PTB prononce dans ce type de réunion. Leur communication est pensée en fonction de l’auditoire. Ce manque de transparence est stratégique. Ils sont très attentifs à ne pas rendre tout accessible. Les médias belges ne reçoivent que ce que le PTB veut bien leur donner. »
Lors du dernier congrès, il n’y a toujours pas eu d’aggiornamento au sujet de pans de l’histoire pourtant largement controversés comme les régimes de Staline ou des Khmers rouges, avec des tensions internes à la clé. Cette rigueur idéologique n’est-elle pas susceptible d’effrayer les sympathisants potentiels ? « Pour les moins de 30 ans, qui n’ont pas connu la période avant chute du mur de Berlin ou les chars à Prague, cela n’est pas un repoussoir », glisse un Ecolo. Les références actuelles ce sont les Grecs de Syriza, les Espagnols de Podemos ou les Français de Nuit Debout. Le PTB a d’ailleurs réussi un tour de force en incarnant cette contestation nouvelle, au vu de son histoire. Un mouvement citoyen comme Tout Autre Chose correspondait mieux au profil.
« Le PTB est plus un parti léniniste que marxiste, précise encore Pascal Delwit. On y observe une énorme discipline. Son indice de démocratie interne est le plus faible du pays, plus bas encore que celui du Vlaams Belang. » Ou encore : « Refuser une décision du parti, pour un de ses membres, constitue une rupture totale sur le plan politique, familial et personnel. On le mesure mal. » Cette intolérance absolue tranche avec l’allure avenante de son porte-parole. Le parti est d’ailleurs encore largement fondé sur les familles historiques, les Pestieau, Merckx ou Hedebouw, précisément. C’est le véhicule d’un idéalisme absolu, sans concessions. Qui s’élargit peu à peu grâce à l’arrivée d’experts dans de nouveaux domaines et de personnalités qui vont émerger dans les villes et les provinces.
Si le PTB fait peur à gauche, c’est en raison de son côté « sectaire », mais aussi parce qu’il bouscule les cartes. « L’émiettement de la gauche renforce la droite », résume le député PS Ahmed Laaouej. Ce n’est pas pour rien que le PS tente de trouver une nouvelle stratégie pour le contrer. « Aujourd’hui, le PS applaudit Raoul au Parlement s’il est bon, constate un écologiste. Ce n’était pas le cas avant. Ils ont clairement reçu des consignes. »
« Moi, je préfère un PS moins fébrile et plus fort, davantage dans l’argumentation et moins dans l’émotion, insiste le libéral Denis Ducarme. Ma réaction est étonnante ? Si cela se passait à l’autre bout du spectre politique, entre le MR et le PP, j’espère que les partis de gauche réagiraient de la même manière que moi. Le PTB a mis le feu à la gauche, qui a perdu ses repères et ses acquis. »
Ce n’est pas le moindre des dangers. Une Wallonie à la sauce gauche radicale au lendemain des élections de 2019 serait un acte de résistance. En votant massivement pour le PTB, les francophones exprimeraient leur refus d’une Belgique à la sauce N-VA. Un retour du balancier de l’histoire. Les francophones dénonçaient la ligne communautaire du CD&V de Luc Van den Brande fin des années 1990, puis d’Yves Leterme au début des années 2000 ? Ils ont reçu en retour la N-VA. Aujourd’hui, les Flamands critiquent le conservatisme social du PS et des syndicats wallons ? Ils risquent bien de provoquer la vague révolutionnaire du PTB.
L’effet paradoxal de cette explosion, pour ce PTB resté unitaire, c’est qu’il aggraverait la tendance actuelle : inexorablement, notre pays se scinde au rythme de ces deux démocraties.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici