Christine Laurent

Guerre et paix

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

C’était au temps où la Belgique était une des premières puissances industrielles mondiales, même si le colosse avait des pieds d’argile. C’était au temps où l’Eglise catholique régnait sans partage sur les âmes et les institutions grâce à un système électoral qui récompensait la fortune et l’instruction.

C’était au temps où les élites bourgeoises tremblaient devant la menace « rouge ». C’était au temps où la fiscalité était socialement injuste et profondément inégalitaire, et où les pauvres trinquaient. C’était au temps où les femmes étaient privées de tous les droits et où les enfants travaillaient plus de quinze heures par jour dans les mines. C’était au temps où les Flamands ne supportaient plus d’être traités en parias et où ils donnaient, déjà, leurs voix à droite. C’était au temps où dix ministres à peine suffisaient pour faire tourner la boutique fédérale. C’était au temps où Albert Ier, précédant Di Rupo, s’improvisait en maestro de la com’. C’était au temps où, même si ce n’était pas le Pérou dans les chaumières, l’avenir semblait riche en promesses. Alors que le pays vivait sur un volcan. C’était quelques mois à peine avant que l’Europe ne bascule dans l’horreur d’une guerre qui se voulait expéditive et glorieuse… et qui se révéla interminable et monstrueuse, avec pour conséquence des millions de morts. Une véritable saignée qui, avec la redistribution géopolitique de 1918 et les erreurs coupables commises par les responsables politiques de l’époque, allait ébranler tout le XXe siècle.

Plonger dans le passé pour comprendre le présent. Au seuil de 2014, nous avons voulu explorer cette année 1914 dont l’Histoire a surtout retenu la déflagration du conflit qui a embrasé notre continent. Mais qu’en était-il du quotidien politique, social, économique des Belges ? Que vivaient-ils ? Quels étaient leurs combats, leurs espoirs ? Une immersion totale, fouillée, minutieuse qui nous réserve d’étonnantes surprises. 1914-2014, le rapprochement, au-delà du centenaire, est d’autant plus pertinent que sous les cendres et la poussière, on découvre tous les germes de notre destin au IIIe millénaire. Ainsi notre économie qui est descendue depuis belle lurette de son petit nuage. Profil bas. Le capitalisme belge n’est plus que l’ombre de lui-même. Pis, il est passé sous pavillon étranger. Et que dire de la peur du « Rouge » encore bien présente dans le nord et plus particulièrement dans les diatribes de Bart De Wever qui ne cesse de l’agiter devant l’électeur flamand ? De l’Etat-providence désormais au banc des accusés : trop généreux, trop dispendieux. Si, en 1914, la dette publique s’élevait déjà à 76 % du PNB, aujourd’hui, elle a non seulement explosé, mais c’est l’enfer fiscal pour les revenus du travail. Sans oublier les démons communautaires qui, malgré une sixième réforme de l’Etat, se sont dangereusement infiltrés au sein des partis. Rancoeurs et frustrations, le ver est dans le fruit, tout enjeu politique prenant ainsi une méchante tournure linguistique.

Non, rien de bien neuf sous le soleil de 2014. Si ce n’est le poids de l’Eglise, ratiboisé, tandis que celui des mosquées, lui, progresse. Un nouveau défi pour le bien vivre ensemble. Quant à la condition de la femme, peut mieux faire, c’est sûr. Reste la menace d’une nouvelle guerre, heureusement écartée. Grâce à l’Europe. Cette Europe tant décriée, méprisée, que certains rêvent d’incendier pour mieux retourner dans leur bac à sable, là où règne l’entre-soi, à savoir le repli identitaire, le nombrilisme, la régression. De quoi nourrir les ambitions des populistes de tout poil, mais quel recul pour les démocraties, l’ouverture d’esprit, l’échange, le progrès ! Et tout simplement, plus simplement encore, la paix.

Oui, en cette veille de célébration de 1914, alors que l’on se répète à l’envi « Plus jamais ça », merci à l’Europe, le projet le plus ambitieux et le plus noble que nous a légué le XXe siècle. Une Europe au coeur de la survie de notre pays aussi.

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