Marc Monbaliu. © Image Globe/Julien Warnand

Fonds libyens : une perquisition et un signal fort au politique

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Dans le dossier des fonds libyens gelés, le juge Claise frappe un grand coup en perquisitionnant la Trésorerie et auditionnant son ex-patron, Marc Monbaliu, ce lundi. Un signal clair au gouvernement, même si celui-ci se meurt.

Cela fait des mois qu’on tourne en rond et que les ministres concernés refusent de donner des explications claires. De qui se moque-t-on ? Voilà, en substance, le message que la justice a fait passer, hier, au gouvernement Michel. Alors que ce dernier est à l’agonie, le juge d’instruction bruxellois Michel Claise a perquisitionné le service de la Trésorerie, au SPF Finances, et a entendu son ancien administrateur-général Marc Monbaliu. En jeu : les intérêts et dividendes des fonds libyens gelés chez Euroclear Bank, que la Belgique a débloqué, soit 2 milliards d’euros selon un communiqué du parquet. Notre pays est le seul Etat européen à avoir procédé à un tel dégel, que les experts de l’ONU, venus enquêter cet été à Bruxelles, ont dénoncé dans leur rapport du 5 septembre dernier comme étant une violation des sanctions des Nations Unies à l’encontre de la Libye.

Dans cet obscur dossier, révélé par Le Vif/L’Express depuis février 2018, de nombreuses questions demeurent. Quelle autorité belge a réellement décidé de dégeler les intérêts des fonds libyens ? A la demande de qui ? Didier Reynders (MR), ministre des Finances jusqu’en décembre 2011 ? Ou Steven Vanackere (Cd&V), qui lui a succédé ? Et dans quelles mains les deux milliards débloqués par la Belgique sont-ils finalement tombés, alors que la Libye vit sous le joug chaotique des groupes armées depuis la chute de Kadhafi ? Le juge Claise mène l’enquête sur les fonds libyens depuis 2015, lorsque les avocats de l’asbl GSDT du prince Laurent ont porté plainte pour blanchiment et abus de confiance dans le cadre d’un litige avec l’Etat de Libye.

Une saisie et 10 milliards évaporés

A l’automne 2017, le magistrat avait déjà frappé un grand coup en opérant une saisie des fonds libyens (titres, obligations, cash…) gelés chez Euroclear Bank et estimés à 15 milliards d’euros. Mais la banque du groupe Euroclear, qui est une chambre de compensation internationale, s’est opposée à cette saisie, en vertu d’une loi de 1999 qui, confectionnée sur mesure pour cette institution financière, mettrait ses actifs à l’abri de toute saisie judiciaire. Par ailleurs, Euroclear Bank n’a déclaré au juge Claise, en tant que tiers-saisie, que la somme de 5 milliards d’euros de fonds libyens gelés sur ses comptes. Où sont passés les 10 milliards restant ? Les ministres des Finances (Van Overtveldt) et des Affaires étrangères (Reynders) ont certifié en choeur que ceux-ci se trouvaient toujours bien à la banque. S’ils disent vrai, alors pourquoi Euroclear ne les a-t-elle pas déclarés au magistrat ? Mystère…

En perquisitionnant la Trésorerie ce lundi, Michel Claise a frappé un nouveau coup. Un coup stratégique, car la justice montre ainsi au gouvernement qu’elle fait fi de ses turbulences politiques pour continuer son enquête. Marc Monbaliu était attendu au Parlement le 11 décembre dernier pour s’expliquer sur le dégel des intérêts libyens par le service « embargos » de la Trésorerie lorsqu’il la dirigeait, mais son audition a dû être reportée en raison des déchirements au sein de l’équipe Michel et ses répercussions à la Chambre. Vu l’évolution actuelle, Monbaliu ne devrait pas être entendu avant une date sur laquelle aucun pronostiqueur ne parierait un euro. Le parquet de Bruxelles a donc pris les devants en auditionnant l’ex-patron de la Trésorerie. D’autres interrogatoires devraient suivre dans les jours et les semaines à venir. Le responsable du service « embargos » de l’époque, Frans Godts, sera-t-il entendu ? Ce haut-fonctionnaire était au coeur de la décision du dégel au sein de la Trésorerie.

Ces perquisitions interviennent également alors que la question de la saisissabilité d’Euroclear (et donc de l’application, en l’espèce, de la « loi Euroclear » de 1999) est pendante devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles. Les plaidoiries du parquet et des avocats d’Euroclear sont prévues ce 20 décembre et la décision devrait être rendue en janvier. Une décision cruciale, comme nous le confiait, il y a peu, une magistrate dans les couloirs du palais de justice : « Si la chambre des mises donne raison à Euroclear, mes confrères juges financiers n’ont plus qu’à ranger leur robe et aller faire du jardinage… » En effet, cela ferait d’Euroclear de facto le coffre-fort le mieux gardé de la planète, où les mafieux du monde entier rêveraient d’y avoir un compte, protégé de toute saisie judiciaire par… l’Etat belge lui-même. Volontairement ou non, la perquisition de lundi met donc un peu plus la pression sur les magistrats de la chambre des mises en accusation.

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